Mary rentra dans le dortoir en espérant que ni Marlene ni Lily ne verraient qu’elle avait pleuré. Elle pensait qu’elles ne pourraient jamais comprendre pourquoi il valait la peine de souffrir pour danser. Mais à peine deux minutes plus tard, elle ne put contenir un reniflement.
« Ça va, Mary ? demandèrent-elles immédiatement.
— Oui, je vais me doucher. »
Elle posa son sac de danse sur sa chaise, sortit son pyjama et une culotte propres et se dirigea vers la salle de bains. Le temps qu’elle s’y déshabille, elle put entendre ses deux amies discuter, de l’autre côté de la cloison.
« Elle n’a même pas enlevé ses pointes, remarqua Marlene.
— J’ai tenté un jour de calculer la pression exercée sur le bout du chausson et donc sur la pointe des pieds et euh…
— Ca confirme l’impression générale qu’a la néophyte qui se dit simplement « ouah c’est vachement petit comme surface ! », compléta Marlene.
— Oui, admit Lily en riant.
— Je serais tellement épuisée, si je devais faire un sport-études.
— C’est peut-être parce qu’on n’a pas vraiment de sport favori, suggéra Lily.
— Même… Le corps prend tellement cher ! »
A ce moment précis, Mary dut enlever ses pointes.
Elle avait beaucoup, beaucoup forcé dans l’après-midi. On était en période de révisions pour l’examen de fin d’année, autant dire qu’on chaussait les pointes bien vite et qu’on répétait inlassablement des combinaisons périlleuses. La professeure les avait fait passer une par une, seule à seule. Les autres avaient quartier libre dans une autre salle, ce qui signifiait en l’espèce qu’elles n’avaient pas pris une seule pause de toute la séance.
Mary avait été appelée vers seize heures, épuisée, les jambes lourdes. Elle avait fait deux fautes techniques importantes, conduisant chacune à recommencer. Puis elle n’avait pas eu la force mentale de se donner pour passer un pas qu’elle avait abandonné, conduisant à recommencer. Ensuite, elle avait été arrêtée parce que l’artistique n’y était plus, conduisant à recommencer. Et ainsi de suite pendant vingt minutes environ, jusqu’à ce qu’elle soit capable de conduire sa variation de façon satisfaisante du début jusqu’à la fin.
Le pire était que Mary n’avait pas pour autant cessé de travailler une fois sortie du champs de vision de sa professeure. Elle s’y était remise dans la salle attenante, avec toutes les autres, jusqu’à une heure plus tardive que d’habitude. Elle avait voulu peaufiner toutes les corrections.
Lorsqu’elle était revenue de son voyage en Portoloin dans le bureau de MacGonagall, cette dernière avait eu pour réflexe de lui proposer un gâteau. Elle avait décliné la proposition, elle n’avait pas faim. Elle n’avait jamais faim en période de révisions intenses ; elle pensait sincèrement que son corps passait dans un autre mode à ces moments-là.
Marlene et Lily, malgré leur bienveillance, montraient des avis plus nuancés, voire opposés.
Mary ôta donc ses pointes, ce qui lui causa d’abord une vive douleur lorsque le sang afflua là où il avait déserté. Elle passa sa main sur toutes les marques laissées par les coutures et les élastiques, le peau y était toutes fripée. Elle enleva ses embouts, quelques pansements sur ses ampoules. C’était comme si ses pieds gonflaient à goûter de l’air. Elle avait la sensation de voir une fleur déplier ses pétales.
La douche – froide – éteignit les conversations de ses amies et arrêta le saignement des coupures entre ses orteils.
Lorsqu’elle sortit enfin de la salle de bains, elle fut touchée de remarquer qu’elles lui avaient déjà préparé le seau d’eau glacée salvateur. Que Lily ait trouvé avec Remus le moyen de confiner de l’air froid dans des tiroirs donnait un charme sans commune mesure à ce dortoir, où l’on avait donc un réfrigérateur et un congélateur à portée de mains. Les trois amies les avaient rempli de nourriture exclusivement moldue, douce nostalgie, et Marlene et Lily avaient accepté sans difficultés les sachets de glace pilée de Mary. Pour une fois qu’elle faisait quelque chose qui n’avait pas l’air d’abîmer son corps…
Mary releva donc son pyjama au-dessus du genou et fit pénétrer ses pieds et ses mollets dans le seau. Elle perdit d’abord le souffle, comme chaque fois qu’elle se donnait ce moment pour ses jambes, et ensuite, malgré la brûlure, y trouva bientôt un réconfort ultime. C’était comme si la glace allégeait ses chevilles et ses muscles de tous les efforts consentis.
Elle resta là à barboter presque deux heures, révisant en même temps son cours de botanique. Elle retirait parfois ses jambes pour les réchauffer un peu. Ce n’est que vers l’heure du coucher qu’elle s’en extirpa définitivement.
Marlene et Lily lui proposèrent un petit soin des pieds supplémentaires.
« De quoi parlez-vous ?
— Allonge-toi, tu verras. »
Mary s’allongea donc, tandis que ses amies se plaçaient chacune sur une chaise au bout du lit.
« Tends les patounes ! lança Lily.
— Chacune sa patoune ! enchérit Marlene. »
Mary se prit à sourire. Elle les trouvait adorables. Et alors qu’elle se faisait cette réflexion, elle sentit très nettement des petits doigts qui faisaient des ronds sous la plante de ses pieds, là où les muscles étaient tendus par l’effort – inflammés, presque. Les petits doigts explorèrent ensuite toute la plante des pieds, les coussinets des orteils, et revenaient ensuite énormément sur l’articulation.
Au début, cela faisait bien mal, mais au fur et à mesure, les meurtrissures s’assourdirent. Quatre jours encore de ce traitement devraient l’aider considérablement à réussir à rentrer dans ses pointes le jour de l’examen. C’était tout de même une condition importante pour pouvoir envisager de le valider.
Mary, regardant alternativement à gauche et à droite ses amies si concentrées, si attentives, fut saisie d’émotions. La fatigue joua aussi, sans nul doute. Il n’empêche qu’elle ferma les yeux et sentit franchement un filet continu de larmes couler sur ses joues.