« Tu viens au Gai Rossignol, vendredi ?
— Je vais voir si je peux, répondit Peter. J’ai quand même mes Aspics à réviser. »
Il ne devait rien à Mick, et certainement pas qu’il attendrait de savoir s’il se remettrait bien de la fatigue de la pleine Lune du mercredi suivant.
« Je vais te montrer quelque chose d’incroyable, que tu n’as probablement jamais vu. »
Peter se dit que c’était tentant. Il ne répondit pas.
Il jeta un coup d’œil à gauche, à droite.
Personne.
« On peut y aller.
— Ça allait ?
— Quoi ? Oh, oui, bien sûr. Si tu veux, on pourra se retrouver encore ici un de ces quatre.
— Ca marche. On garde le même signe ? Poinçon qui vire au vert foncé dans le revers de la veste ?
— Parfait. »
Peter tâtonna la doublure : il était bien là, pour le moment bleu pâle.
« A plus tard, ou à vendredi. »
Et ils se coulèrent dans le couloir, sans plus mot dire, se séparèrent après un effleurement de mains, et se rendirent dans leurs dortoirs respectifs. Peter se glissa silencieusement dans son lit – ses amis étaient tous endormis. Il garda les yeux ouverts un certain temps encore. Il aimait ce qu’il faisait, c’était indéniable… C’était juste… Voilà, du temps où Peter avait senti qu’il était attiré par Sirius, il avait bien compris que ce dernier était purement hétérosexuel. Maintenant qu’il était attiré par James, il comprenait bien que ce dernier était purement hétérosexuel – voire complètement demisexuel puisqu’en fait de filles, il ne regardait que Lily. En tout cas, ça ne changeait rien au fait qu’il n’avait aucune chance, ontologiquement.
Il était heureux de découvrir ses semblables grâce à ce systèmes de badges par les gays pour les gays du château. Parfois, ils allaient discuter en groupe dans une salle de classe vide, d’autres fois, ils sortaient dans des clubs, des théâtres, des lieux underground, où étaient proposés tout un tas de choses… Mais de façon alternatives. Avec eux, il ne lisait pas les mêmes romans, ne regardait pas les mêmes films, ne s’attardait pas aux mêmes expositions, n’écoutait pas la même musique que la plupart des gens. Et s’il fallait faire de la provocation, évidemment, si deux d’entre eux avaient envie de faire l’amour, et bien ils ne le faisaient pas comme la plupart des gens.
La frontière était juste floue avec les goûts des uns et des autres dans son groupe d’amis. Il fallait dire qu’entre deux lesbiennes, un loup-garou, deux personnes atteintes de troubles de la santé mentale, il était difficile de faire plus a-normé comme groupe (a-normé n’existe pas comme mot, mais Peter était poète, alors Peter inventait les mots qui convenaient aux situations lorsqu’ils n’existaient pas).
Lily restait la soi-disant normée du groupe, mais elle avait l’air tellement différente de tant d’autres filles que Peter se disait qu’elle avait au moins deux ou trois choses à découvrir chez elle. Par exemple, ça se voyait assez bien qu’elle avait des fixations sur des détails assez précis, ou qu’elle gérait inversement son stress et son anxiété. Et Peter aurait dû moins cligner de l’œil, mais il était certain qu’elle avait regardé Mary, un jour. Peut-être même deux ou trois, mais ça s’était estompé et il y avait James.
Bref, Peter avait sous son oreiller les poèmes de Jean Cocteau à Jean Marais en français.
Alors, il alla au Gai Rossignol le vendredi.
Mick sourit en coin.
« Tu es venu. »
Il haussa les épaules, fourra dans sa poche.
« Tu ne lis pas le français, ce n’est pas grave, mais laisse-le traîner là où un autre comme nous pourra le lire. »
Mick siffla.
« De la poésie ! Eh bien, poète, rentrons. »
Dans le bar, il y avait toujours beaucoup de monde, beaucoup de paillettes de nuit et des éclats de voix libres.
Et là, la lumière d’un projecteur illuminait la petite scène au fond… Et il y avait… Un mime ? Une mime ? Un.e mime ? Une créature de blanc et d’argent vêtue.
Les cheveux s’échappent en escarboucles et des perles belles comme des larmes y pendent. Ses mains dessinent le destin dans l’ombre qui surgit de la lumière. Œil onirique. Tout est peint et tout est créateur.
« Peter ? Tu es avec nous ? »
Il sursauta.
« Oui, pardon.
— Alors, comment est-ce que tu trouves Madame Pingouine ?
— C’est la personne qui fait du mime sur scène ?
— C’est une drag queen. »
Peter assimila ce mot nouveau.
Je ne suis plus le seul. Mon Cocteau et mon Marais passeront de mains en mains et d’autres poètes inventent pour moi des mots poignants.
« Mick, où est-ce que tu t’es acheté tes boucles d’oreille ? »
Tout scintille et ce sont des lueurs d’amours, des émaux d’amitié.