Sirius, angoissé, jetait fréquemment des coups d’œil à la fenêtre, espérant voir à travers le feuillage des tilleuls un signe quelconque, qui pourrait, de près ou de loin, lui signifier l’arrivée imminente d’Euphémia. Quand il en avait marre de tourner en rond, il ouvrait à grand peine le battant de la fenêtre, dilaté par la chaleur, et s’asseyait sur le rebord pour fumer, une, deux, trois cigarettes. Et les heures brûlantes de l’après-midi passaient, une, deux, trois.
Un, deux, trois jours sans nouvelles…
Dans la torpeur du crépuscule, lorsque des raies de nuages bleues se fondent dans un ciel rose et métallique, il tendait l’oreille. Il ne percevait rien d’autre qu’un léger souffle annonciateur d’une nuit lourde, comme une chappe de plomb qui s’abat en silence pour clore un monde silencieux et languissant de fatigue moite. Une, deux, trois nuits de canicule.
Et alors, surgissant des ténèbres d’un minuit noir et clair, Euphémia avait illuminé de sa prestance et de sa bienveillance le carrelage bruyant et froid de l’atrium des Black. Ses yeux semblaient de ceux qui ont vu la mort sans pouvoir la toucher, et elle venait enfin apporter à Sirius la confirmation de la vie de James, ultime lumière qui évapora les doutes de Sirius.
« Walpurga, je vous le prends jusqu’à la rentrée de septembre.
— Comment osez-vous, Euphémia ? Vous n’avez déjà pas assez fait en corrompant votre fils, encore faut-il que vous corrompissiez le mien ? »
Et le regard d’Euphémia lui rappela, à elle, Walpurga, qu’elle vivait dans une maison de plomb et de silence et elle se mura dans ce silence de plomb. Seul Sirius, lorsqu’il était enfermé dans cette haute prison noire, avait la préférence de ses hurlements insultants, parce que d’un enfant à un parent le seul silence commun qui prévaut est celui qui fait tout taire, en rempart, à ce qui est au-dehors.
La liberté guida Sirius dans le petit havre de paix des Potter, château biscornu et moyenâgeux surplombant une campagne riche et dorée de blés et d’herbes.
L’aurore balaya d’un revers de Soleil la brume du matin et les souvenirs embrumés de doutes. Dans ces brumes d’il y a trois jours, Sirius avait cru voir la mort aussi.
« Il a tenté de mettre fin à ses jours. Il a eu, je ne sais pas, une fulgurance… Je ne sais pas comment il a fait pour te joindre si vite…
— Nous avons un miroir à double sens. »
Sirius sortit de sa poche cet instrument qui le liait, lui, à James, à la vie avant et à la mort maintenant, cet objet qui réfléchit les rayons de lumière et sonde les âmes en peine à la vitesse folle de trois fois dix puissance huit hésitations par minute. La dernière d’entre elles avait rencontré encore un grain de désir de vie dans le cœur de son ami. Tout était allé encore si vite et si lentement après, que Sirius n’avait pas été mis au courant de ce que James avait fini par voir au fond de ce miroir, la lumière aveuglante du ciel ou la sombre paix de la Terre ?
Et la vie de Sirius avait été de suspens en suspensions au ralenti depuis cette tentative de mort, accrochée à ce souffle de vie qu’il avait pu percevoir chez son ami, avec l’angoissante incertitude de ne pas savoir si c’était le dernier, ou non.
Et non.
« J’ai trouvé ça. Il nous a écrit, à Fleamont et moi. Je ne suis pas sûre qu’il voulait vraiment nous quitter. »
Euphémia égrène les feuillets sur la table, les mots de James prennent toute la place disponible sur la table, plus que ne l’avait jamais fait n’importe quel petit déjeuner. Ils envahissent l’espace de leur importance, c’est un cri de plume, un cri de cœur impossible à transcrire.
« Il voulait juste… partir un peu loin de tous ses problèmes. Il te racontera à la rentrée, il doit rester en soin, loin de ses problèmes justement – et donc de nous aussi. Quant à moi, je voulais tout simplement te remercier. »
Sirius avait bravé les insultes sonores de sa mère qui lardaient la pesanteur du manoir Black de leur acide rancœur. Il avait bravé l’interdiction de transplaner à son âge. Il avait appelé des adultes de confiance, ceux qui seront bientôt – il commence à le concevoir dans sa tête, à le vouloir de toutes ses forces – ses parents. Car lui aussi veut fuir loin des ses problèmes, mais ceci est une autre histoire.
Pour le moment, tout ce qui compte, plus que la reconnaissance d’Euphémia, c’est que sa vie fraternelle avec James continuera d’exister, plus que jamais. Une, deux, trois secondes pour se rendre compte de l’importance des mots qui aiment et des mots qui donnent confiance et des mots qui valorisent et des mots qui consolent. James s’était accordé ces quelques heures, une, deux, trois, pour adoucir ses doutes et ses peines dans un torrent de larmes et d’écriture, trace tangible qui avait maintenu son corps là.
Sirius tourne la tête, alourdie d’une, deux, trois nuits blanches et chaudes. Plus que son mal de crâne, ce qu’il dissimule, ce sont ses émotions bloquées au fond de sa gorge et de ses rétines.
Un, deux, trois mois avant qu’il n’abîme sa peau dans ses propres malheurs, ne se souvienne lui aussi des mots en écriture dont la nécessité a sauvé celle de son meilleur ami, et ne quitte définitivement la maison noire.