Dring ! Toc, toc, toc.
Pétunia regarda l’heure, surprise. Ce n’était pas à sept heures du soir qu’elle attendait Vernon, il devait aller dans pub fêter un gros contrat avec quelques-uns de ses collègues. Elle baissa le feu sur la gazinière, essuya ses mains sur les poches de son tablier, et alla ouvrir la porte. Et manqua de tomber à la renverse.
« Lily ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
— Bonjour Pétunia. Je suis désolée de venir remuer des choses dont tu voulais te détourner, mais il fallait que je te prévienne, et comme rien n’est sûr en ce moment… »
Elle avait l’air un peu gênée et cherchait manifestement ces mots. Elle avait la mine de quelqu’un qui va annoncer une mauvaise nouvelle. Or, une mauvaise nouvelle annoncée de surcroît par Lily, ce ne pouvait qu’être très important pour Pétunia. Bon gré mal gré, elle ne lui claqua donc pas la porte au nez. Et puis après tout, c’était sa sœur. On ne claque pas la porte au nez de sa sœur, même si elle est plus jolie, intelligente, populaire, serviable, bienveillante, encouragée par vos parents que vous. Et surtout quand c’est la petite sœur. Une grande sœur protège sa petite sœur, c’est ainsi.
Bref, Pétunia trouva assez de raisons pour ne pas faire tout ce qu’elle avait promis, juré, craché, à Vernon qu’elle ferait si d’aventure sa sœur se présentait un jour sur le seuil de leur maison.
« Il y a une guerre dans le monde des sorciers, avança enfin Lily. L’objet de la guerre est le racisme, rien de moins que ça.
— Comme partout, dit Pétunia sèchement. »
Sauf que Lily ne la contredit absolument pas. Tout au plus elle la regarda vraiment.
« Oui, bien sûr ! Donc, pour faire simple, très simpliste, ceci oppose le camp d’un dénommé Voldemort, qui veut que seuls les sorciers descendant de sorciers puissent pratiquer la magie, et Dumbledore, qui défend que quiconque dispose de pouvoirs magiques devrait pouvoir apprendre à les maîtriser et à s’en servir. Après comme dans tout ce genre d’idéologie, il y a des corollaires concernant les créatures magiques, je n’aime pas le mot ‘créatures’ mais c’est comme ça que c’est dit, les gens qui naissent sans pouvoirs magiques dans des familles de sorciers, etc.
— Oui, s’impatienta Pétunia. Tu vas donc revenir chez papa et maman ?
— Mais enfin, ce serait trop dangereux ! s’emporta Lily. »
Et Pétunia réalisa tout d’un coup qui Lily était pour son monde à elle d’une part et pour le monde des sorciers d’autre part.
« Tu veux entrer ? »
C’était une phrase de politesse, de convenance, pour occuper ses mots, pour occuper ses mains, pour surtout occuper son cerveau. Elle pressentait quand même que la petite sœur, la si courageuse petite sœur, si brillante élève, qui sortait, si elle avait bien compris, avec un sorcier de la haute parmi les sorciers, avait une cible dans le dos. Pétunia, qui avait si souvent hurlé qu’elle ne voulait plus voir Lily, réalisa que sa mort signifiait qu’elle ne la verrait effectivement plus du tout, mais que c’était une perspective intolérable. Et sa poitrine se serrait beaucoup plus que ce à quoi elle se serait attendue elle-même.
Lily ôta ses chaussures, et sortit sa baguette. Pétunia l’invita dans son salon, lui proposa un siège, quelque chose à boire.
« C’est spacieux, chez toi.
— Oui, ça change de chez nos parents, pas vrai ? »
Les sœurs sourirent de connivence, mais aucune n’osa encore l’admettre et elles baissèrent toutes deux le menton.
« Tu vas faire quoi ? demanda Pétunia.
— Les instances politiques des sorciers sont malheureusement très gangrenées par les idées répandues par Voldemort, ce qui fait que même les sorciers censés nous protéger, nos policiers en quelque sorte, ne sont pas nécessairement tous fiables. Dumbledore, comme tu le sais, est directeur de Poudlard ; il nous connaît donc bien. Il a fondé un groupe de résistance. Moi et quelques-uns de mes camarades, dont mes plus fidèles amis et mon copain, avons décidé d’en faire partie.
— Papa et maman sont au courant ? glapit Pétunia, trahissant sa peur.
— Oui, je les ai prévenus avant de passer ici. C’est comme ça que j’ai eu ton adresse.
— Ah oui, c’est vrai, je suis bête.
— Non, ne dis pas ça, Tunie, tu n’es pas bête parce que tu n’es pas au courant de la façon dont j’ai récupéré une adresse… »
Ah, elle l’avait appelée Tunie. Pétunia songea fugacement qu’elle avait encore deux heures à peu près devant elle avec sa sœur, jusqu’à la prochaine fois qui sera… quand ?
« Moi et mon copain, pour m’assurer une certaine sûreté à cause de mon origine, avons décidé de nous fiancer, ce qui sera fait dans le courant de l’été. On ne se mariera qu’au dernier moment lorsqu’il y aura une urgence. Je ne vais aussi plus habiter à la maison, évidemment. Mon copain est… très aisé et ses parents ont, euh, un genre de maison secondaire, que nous occuperons, avec trois de nos amis qui sont aussi dans des situations compliquées pour se loger avec toutes ces idées discriminatoires. Nos autres amis ont chacun un endroit où loger.
— C’est risqué ? s’enquit Pétunia, de plus en plus inquiète. »
Le regard vert de sa sœur devint grave. Elle ancra ses yeux dans les siens et hocha de la tête.
« C’est aussi pour ça que je suis passée.
— C’est bien, merci de m’avoir prévenue, il n’y a pas de quoi.
— Tunie, tu es ma sœur, je ne vais pas t’abandonner, promis.
— Lily ! Est-ce que tu es vraiment en train de dire que… ?
— Oui, Pétunia. Je te promets que je ferai tout ce que je peux pour que tu ne sois, toi, personnellement, jamais en danger, tout comme Papa et Maman.
— Oh Lily… »
Il y eut un silence, le temps que Pétunia digère toutes ces informations.
« Et tes études ?
— Je vais les continuer, tant que j’ai encore le droit de le faire. L’activité de résistance est clandestine et mes études utiles aussi à court terme pour la guerre, donc, c’est très bien comme ça. »
Tout avait été pensé, réfléchi, mesuré. A dix-huit ans. Et pas qu’elle ! Non, elle avait parlé en tout d’au moins cinq personnes : elle, son copain, et leurs trois amis dans des situations compliquées. Quel courage, vraiment. Pétunia admirait beaucoup sa sœur pour ça, même si elle préférerait se jeter du haut d’une falaise que de l’admettre à voix haute, car après tout, elle avait une jalousie à tenir.
Les deux sœurs discutèrent encore de longues minutes, puis Pétunia lui fit visiter sa maison, elles parlèrent de choses plus futiles mais importantes – Pétunia, en tant que grande sœur, ne pouvait pas ne pas faire de remontrances à sa petite sœur au sujet de la contraception par exemple, de la vie de Pétunia et de Vernon. C’était bon, mine de rien.
Dring ! Toc, toc, toc.
« C’est Vernon ! s’exclama Pétunia. On va se disputer s’il te voit…
— Je comprends, Pétunia. Moi-même ça m’ennuie vraiment d’osciller entre deux mondes différents, d’avoir des semblants d’identité, alors oui, je comprends. Mais je peux partir d’ici sans qu’il ne me voit.
— Lily, alors, juste, un dernier truc… C’est risqué, de s’écrire ?
— Euh… Pourquoi ?
— J’aimerais… Enfin si j’ai de tes nouvelles de temps en temps, rien de long, même deux mots, juste pour savoir de temps en temps que, et bien, tout va bien pour toi ? »
Impossible pour Pétunia de dire à voix haute « pour savoir que tu n’es pas morte ».
« Je le ferai, promis, Tunie.
— Désolée, Lily, pour, euh… Enfin, j’ai grandi moi-aussi.
— Allez, il faut vraiment que je parte. »
Pétunia ne put résister, elle se jeta dans ses bras et lui fit une étreinte. Puis, un craquement, et la voilà qui serrait du vide. L’impression laissée dans son cœur fut à peu près identique.
En bas, Vernon posait ses affaires et délaçait ses chaussures.
« Pétunia, je suis rentré ! Tu es où ?
— Oui, je… je, euh… je rangeais du linge, j’arrive ! »