Pomona ne rechignait jamais à mettre le nez dehors… Elle aimait le vent frais, le soleil brûlant, le froid givré, et même les ondées glaçantes qui s’abattaient au fil des saisons sur la contrée.
Pourtant, en ce début d’automne, elle devait bien l’avouer : la pluie incessante commençait à la lasser… Tous les matins, elle devait s’emmitoufler dans une cape qui lui tombait jusqu’aux genoux et y lancer un sort d’imperméabilité avant de se coiffer d’un chapeau à larges bords et de bottes en cuir épais. C’était la seule façon de ne pas finir la matinée trempée comme un jus de citrouille !
Depuis qu’elle s’était installée dans cette petite maison en marge du village de son enfance, Pomona Chourave pouvait se consacrer à sa plus grande passion : la Botanique ! Elle n’avait pas tardé à faire du lopin de terre qui lui appartenait un incroyable verger magique. Les pommiers et les pruniers faisaient des fruits exquis. Pomona les récoltait avec bonheur et essayait de temps en temps des sorts et des potions pour que telles pommes murissent avec un délicat parfum de cannelle ou que les prunes brillent dans la nuit… Ces subtiles interventions étaient toujours pratiquées dans le respect de la Nature. Pomona y voyait un dialogue avec elle. Un partenariat avec le monde végétal, une entente sacrée et dont elle n’aurait jamais imaginé révèlerer les secrets…
En s’avançant dans les allées de son potager, derrière la maison, Pomona ne manqua pas de remarquer les lumières allumées dans la chaumière voisine… Le couple qui y vivait depuis trente ans lorgnait jalousement les citrouilles et les potirons que la jeune sorcière parvenait à faire pousser…
« Vous avez forcément un secret… avait lâché un jour le vieil homme, penché au-dessus de la clôture »
Pomona s’était contenté de sourire.
Pourtant, à cet instant sous la pluie, elle ne souriait plus du tout.
Son visage ; ce visage jovial aux joues pleines et roses qui évoquait lui-même une pomme !, se crispa en une grimace. Tandis que le vent faisait danser la pluie battante, Pomona constata que la plus grosse citrouille de son potager avait disparu !
Elle releva instinctivement le nez vers la maison voisine. Mais aussitôt, la jeune sorcière s’en voulut un peu de penser du mal d’un vieux moldu… Un vol ?! Non, elle refusait de l’envisager. Peut-être que ses voisins enviaient un peu ses récoltes, c’était humain… Mais personne dans ce petit village d’Angleterre n’était assez mesquin pour voler une citrouille !
Pomona abandonna son râteau et sa serpette dans un coin du cabanon de jardin et battit en retraite vers la maison, le dos fouetté par l’averse.
Elle retira ses bottes couvertes de boue et y appliqua un récurvite avant de se diriger vers la minuscule salle de bain. Ses cheveux mal égalisés lui barraient le front où une petite ride s’était creusée depuis que les vols avaient commencés…
Car ce n’était pas la première fois. A présent, Pomona ne pouvait plus l’ignorer. Quelqu’un s’introduisait dans son jardin !
Les limaces, les scrouts et les gnomes de jardin n’avaient pas de secret pour Pomona Chourave… Au village, il était même arrivé qu’on lui demande comment elle s’y prenait pour repousser les nuisibles.
Les nuisibles… Ca irritait toujours un peu Pomona, cette façon qu’avaient les moldus de parler de ce qui échappait à leur contrôle. Ce soir-là justement, alors qu’elle attendait sa bière commandée dans le seul pub du bourg, les conversations moldues versaient dans les potins et les ragots malveillants !
« Tous mes magazines de tricot ont mystérieusement disparu ! Je suis certaine que c’est cette vieille grenouille de Gertrude qui est derrière tout ça… grogna Miss Scraft à l’adresse de ses trois amies du club de couture attablées près d’elle ».
Habituellement, Pomona ne prêtait aucune attention à ce genre d’échanges. Mais l’évocation d’un voleur mystérieux éveilla cette fois-ci sa curiosité.
« Pardonnez-moi, Miss Scraft… Vous dites qu’on vous aurait emprunté vos modèles de tricot ?
— Emprunter, emprunter ! Comme vous y allez, ma petite ! C’est tout bonnement du vol ! s’écria la vieille dame »
Pomona avait toujours préféré faire toutes les suppositions possibles avant d’envisager qu’un semblable puisse avoir de mauvaises intentions… Ce n’était pas de la naïveté, c’était de l’humanisme ! A Poudlard, on l’avait souvent traitée de bonne poire, mais rien n’aurait pu la faire dévier de cette règle de conduite. Et d’ailleurs, ça ne l’avait pas empêché d’être nommée préfète de Poufsouffle !
Toutefois, il y avait peu de rapport entre la disparition des livres de tricot de Miss Scraft et celle d’une citrouille…
Pomona avala une nouvelle gorgée de bière en regrettant que les pubs moldus ne proposent pas de bieraubeurre… A cet instant, elle aurait donné cher pour éprouver l’intense réconfort que procurait cette boisson magique. Au fond d’elle, Pomona se sentait un peu seule… Elle n’avait que 24 ans mais sa vie ressemblait déjà à celle d’une vieille sorcière perdue dans une société moldue : solitude, discrétion, bavardages limités... Pomona se tenait à l’écart pour ne pas être découverte en sa qualité de sorcière. Elle ne rencontrait les villageois qu’au marché, lorsqu’elle vendait ses fruits et légumes ordinaires (les produits magiques étant naturellement exclus de son stand !)
Pourtant, les gamins du village ne s’y trompaient pas. Elle le savait, ils l’appelaient la sorcière depuis que l’un d’eux l’avait surprise en train d’arroser ses tomates avec une baguette magique, l’été précédent… Mais là encore, Pomona ne voyait pas de mal. Les enfants étaient plus curieux qu’hostiles, plus étonnés qu’envieux et plus impressionnés que méprisants. En tout cas, elle n’imaginait aucun d’eux capable de lui voler des légumes.
Dehors, la pluie persistait. Pomona pouvait à peine discerner l’enseigne du seul hôtel à des kilomètres à la ronde. Le peuplier qui le bordait était secoué par d’intenses bourrasques qui en faisaient tomber les dernières feuilles…
« Est-ce que vous avez vu quel énergumène a pris une chambre en face, ces temps-ci ?! lança la voix rocailleuse d’un client accoudé au bar.
— Ne m’en parle pas ! s’écria le barman. Il s’est pointé là, l’autre soir… Il voulait un hydromel ! J’ai une tête à servir de l’hydromel ?! »
La bande des buveurs qui se trouvaient les plus près éclata d’un grand éclat de rire collectif !
Pomona se figea. Elle déposa sa monnaie sur le comptoir et piétina quelques instants pour tenter d’en entendre davantage.
« Mais oui, les cinglés viennent jusque chez nous, maintenant ! Autrefois, on était un peu épargné, mais avec la nouvelle gare… »
Pomona doutait sérieusement qu’une gare suffise à rendre le village si attractif, mais elle ne fit aucun commentaire. Ces quelques minutes dans le monde lui avaient suffi. Elle avait seulement envie de rentrer chez elle…
Cette nuit-là, Pomona vit son sommeil agité… Elle commença par rêver qu’un gnome de jardin entrait dans la maison, une bouteille d’hydromel à la main. Il prétendait qu’il était venu en train jusque chez elle pour fêter son anniversaire. Pomona se réveilla en sursaut au moment où le gnome se mettait à arracher toutes les citrouilles du potager !
Pomona se redressa dans son lit et s’empara de sa baguette pour allumer quelques bougies. Sa main tremblait légèrement. Et son corps était agité de frissons…
Il faisait un froid piquant dans la petite chambre. Voilà, pensa Pomona avec appétit. L’automne était bel et bien arrivé. Il faudrait qu’elle rallume le poêle… Elle se demanda s’il restait du bois dans le cabanon ou si elle aurait besoin d’aller s’en procurer dans la forêt… Couper du bois et le faire sécher n’était pas un problème pour une sorcière, dès lors qu’elle pouvait se dérober aux regards curieux des moldus. Parfois, Pomona se disait que ce serait plus facile de vivre dans une communauté uniquement composée de sorciers… Peut-être se sentirait-elle un peu moins seule, un peu plus entourée… ? Mais elle rechignait à quitter cette maison qui était devenue son foyer, et son jardin surtout pour lequel elle s’était tant investie ! Son potager, son verger, son carré de fleurs et de plantes médicinales…
Blottie dans le creux de son lit, Pomona écouta longuement la pluie tomber. Elle songeait à ses arbres et à ses légumes que la pluie nourrissait… Elle songeait aux champignons qui seraient bientôt prêts à être ramassés ! Les choux, les châtaignes, les noix et les noisettes… Imaginer leurs couleurs et leurs parfums lui apportait du calme et du réconfort… Si bien qu’elle ne tarda pas à se rendormir.
Ce furent les rayons d’un soleil pâle et lointain qui poussèrent Pomona à rouvrir les yeux. La pluie semblait s’être arrêtée et la jeune femme sauta dans sa robe de sorcière pour profiter de l’accalmie et aller examiner ses plantations…
La terre était noire d’humidité et chaque feuille, chaque fruit, chaque légume luisait encore de rosée. Pomona sentit instinctivement ses lèvres s’étirer en un sourire satisfait ! Elle passa la main sur les pommes charnues, sur les prunes tendres et les choux-fleurs délicats… Elle avait l’impression de renaître, de respirer !
Dans le silence matinal, un hululement se fit alors entendre. Les chouettes n’étaient pas rares par ici : elles habitaient les bois tout proches. Pourtant, il était un peu tard pour les entendre et Pomona réalisa bientôt que l’oiseau était un porteur de courrier…
Qui pouvait bien lui écrire ?! Ses parents s’en tenaient généralement à un paquet pour son anniversaire et une carte pour la nouvelle année. Pomona n’avait pas d’autres correspondant… Mais elle avait vu juste : une petite chouette gracieuse se posa sur un barreau de la clôture et lui adressa un regard ambré et perçant avant de lui tendre sa patte garnie d’une petite enveloppe…
Le courrier était rédigé avec le plus grand soin, dans un style d’une politesse à laquelle Pomona n’était pas habituée.
Chère Miss Chourave,
J’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé. Mais il me semble, pour vous avoir récemment aperçue, que vous vous portez comme un charme…
J’ose croire que ma démarche ne pourra pas vous déplaire et je sollicite votre bon-cœur si tel devait être le cas. Soyez assurée que mes intentions à votre égard sont parfaitement honnêtes.
Mais laissez-moi plutôt m’expliquer : j’ai eu connaissance de vos talents et je souhaiterais m’entretenir avec vous pour vous adresser une proposition.
Je me tiens à votre entière disposition car je suis justement installé à l’hôtel de votre village pour le weekend. Nous pourrions par exemple nous rencontrer dimanche midi, qu’en pensez-vous ? Il y a un adorable petit troquet en face de l’hôtel. Le barman est très sympathique mais je crois que vous connaissez déjà l’endroit…
Je vous y attendrai,
Bonne journée et au plaisir de vous rencontrer, je vous prie de recevoir mes plus respectueuses salutations…
La bouche de Pomona s’était légèrement entrouverte tandis qu’elle avançait dans sa lecture. Mais ses yeux faillirent sortir de leurs orbites à l’instant où elle découvrit la signature : A. P. DUMBLEDORE !
La petite salle de restaurant était déserte lorsque Pomona y pénétra. Déserte, non. Pas tout à fait… Paisiblement installé à la table la plus proche de la fenêtre, Albus Dumbledore examinait avec intérêt le point de couture des rideaux qui pendaient à côté de lui… Il affichait un sourire serein, tel que Pomona lui avait souvent vu aux lèvres lorsqu’elle étudiait à Poudlard.
Elle s’avança timidement vers lui.
« Oh, Pomona ! Vous êtes venue, c’est formidable… Je vous en prie, installez-vous ! »
La jeune sorcière retira sa cape et son chapeau pour s’assoir en face du grand Directeur.
« Bonjour Professeur Dumbledore… hésita Pomona. Comment allez-vous ? »
Dumbledore prit le temps de raconter à son interlocutrice les amusantes discussions qu’il avait eu le plaisir d’avoir avec les moldus du village depuis son arrivée. Pomona devinait sans peine que Dumbledore avait dû passer alternativement pour un fou et pour un crétin fini… Mais, malgré sa grande intelligence, l’illustre sorcier ne semblait pas en être conscient. Au contraire, il se réjouissait d’avoir partagé de joyeux bavardages et appris bien des choses au sujet des canevas et du point de croix !
« A propos, ma chère Pomona, je vous dois des excuses… confessa le sorcier »
La jeune femme le fixa avec un peu plus de curiosité : pour quelqu’un qui s’apprêtait à s’excuser, Dumbledore avait le regard singulièrement amusé !
« Je me suis permis d’explorer un peu votre potager… J’y ai même, je dois vous le dire, prélevé quelques légumes… »
Pomona acquiesça d’un air entendu :
« C’était donc vous ! »
Dumbledore rajusta ses lunettes en demi-lune et inclina la tête poliment comme un artiste saluant son public… Pomona trouvait que Dumbledore ne manquait pas d’air ! Mais elle était trop contente d’avoir trouvé la solution à l’énigme de ces disparitions pour s’en offusquer :
« Et je ne serais pas étonnée que vous ayez également prélevé quelques modèles de crochet chez Miss Scraft… souffla-t-elle.
— Je vois qu’on ne peut rien vous cacher ! s’amusa encore Dumbledore. Soit ! Puisque vous voyez clair dans mon jeu, je ne vais pas vous tenir en haleine plus longtemps… »
Pomona remarqua que Dumbledore prolongeait malgré tout le silence plein de tension. Et il prit même le temps de passer commande de deux verres d’hydromel auprès du barman (qui lui rétorqua sèchement qu’il n’en avait pas et que ce serait de la bière ou rien !) avant de reprendre :
« Ma chère Pomona, je suis à la recherche d’un professeur de Botanique… »
Pomona ne cilla pas. Elle se demandait quel rapport cela pouvait bien avoir avec elle. Puis elle se mit à supposer que, puisque le sujet l’intéressait, Dumbledore voulait peut-être lui demander si elle avait un professeur à lui présenter.
« J’ai bien observé votre travail… Et j’ai entendu comment les villageois parlent de votre production, au marché ! Sans compter les connaissances que vous semblez avoir acquises dans le domaine des plantes médicomagiques… »
Dumbledore raconta les histoires de guérisons miraculeuses qu’il avait pu entendre de la bouche de plusieurs témoins, toujours à la suite d’un remède apporté gratuitement par la jeune femme…
« Et… (il sortit de la poche de sa cape un morceau de parchemin) j’ai récupéré la copie de votre évaluation lors de l’ASPIC de Botanique… »
Pomona reconnut aussitôt son écriture brouillonne et en marge les lettres tracées par la main de l’examinateur. Ce-dernier avait pris le temps d’écrire la notation en entier, contrairement à l’habitude ; Optimal, et l’avait entourée et agrémentée de trois points d’exclamation !
Dumbledore considérait maintenant la jeune sorcière de son intense regard bleu… Pomona sentit ses joues s’empourprer et eut seulement le temps de penser qu’à cet instant, elle ressemblait sans doute plus à une tomate qu’à tout autre chose !
« Je pense que vous avez compris où je veux en venir… lui souffla Dumbledore tandis qu’on leur apportait leurs boissons »
Pomona aurait bien eu besoin d’une gorgée de bière, mais elle ne pouvait pas bouger !
« Miss Chourave, que diriez-vous de devenir Professeur de Botanique à Poudlard ?! »
De retour dans sa modeste maison à l’écart du bourg, Pomona s’installa sur la table de la cuisine, devant la fenêtre qui donnait sur le potager…
Sans surprise, la pluie s’était remise à tomber, mais plus doucement toutefois. Elle remarqua qu’une citrouille plus grosse encore que celle que Dumbledore lui avait dérobée mûrissait à quelques mètres.
Désormais, elle comprenait tout ce qui lui avait semblé bizarre ces derniers jours : les légumes envolés, la disparition des livres de tricot de Miss Scraft, les discours des villageois au sujet d’un drôle de touriste qui résidait à l’hôtel…
Dumbledore.
En pleine rentrée scolaire, à un moment où le Directeur d’une école devait être constamment occupé, Albus Dumbledore avait mené sa petite enquête de voisinage sur la jeune sorcière qui vivait là. Ne rechignant pas à écumer les marchés et à rapiner de ci et de là, le célèbre sorcier avait rassemblé toutes les preuves de la compétence de Pomona en matière de Botanique… Et il attendait à présent sa réponse en s’adonnant dans sa chambre d’hôtel à ses loisirs moldus favoris : le tricot et le point de croix !
Pomona se leva de sa chaise pour préparer du thé… Si elle acceptait cet emploi, il lui faudrait renoncer à son potager, à son verger, à sa vie ici ! Mais quelle vie… ? Et n’aurait-elle pas l’immense domaine de Poudlard pour terrain de jeu, si elle acceptait ce poste ?
L’image des serres du château sous la brise, des pelouses couvertes de givre et des dimanches matin emmitouflés dans la salle commune de Poufsouffle lui revinrent en mémoire… Un fumet de poêlée de champignons et de noisettes grillées lui caressa les narines…
Pomona fut secouée d’un frisson, comme un petit animal réveillé par le froid ! Elle arracha d’un pot en terre cuite une plume mal aiguisée et griffonna :
Cher Directeur,
Si votre proposition tient toujours, je suis d’accord.
Je peux être à Poudlard demain matin. Envoyez-moi un hibou si je dois réserver mon billet de train.
P. CHOURAVE