Mary était timide, réservée, gênée dans les foules, les groupes et les files d’attente. Seuls ses amis les plus fidèles – Lily, Marlene et James, connaissaient son humour léger et son sens de l’observation silencieux mais aiguisé. Evidemment, elle faisait partie de ces personnes particulièrement vulnérables en contexte scolaire, quel qu’il soit. Ses camarades de classe avaient pu remarquer ses joues rouges et ses balbutiements hésitants lorsqu’elle devait répondre à une question, et les plus moqueurs d’entre eux n’avaient pas oublié qu’elle s’empêtrait systématiquement dans une lanière de sac ou un pied de chaise lorsqu’elle était appelée au tableau – autant dire, pour elle, à l’abattoir.
Alors, quand Avery et Mulciber avaient remarqué que la « Sang-de-Bourbe » s’asseyait parfois avec Marlene à l’ombre d’un arbre du parc pour travailler, et que les deux adolescentes avaient entre elles des gestes particulièrement emprunts de tendresse, ils avaient aperçu une opportunité pleine de lâcheté. Comme tous les harceleurs, il était plus facile pour eux d’asseoir leur pouvoir en visant leurs camarades les plus vulnérables. Par exemple, Evans criait trop fort et rapportait tout aux professeurs, MacKinnon débittait trop de grossièretés et n’hésitait pas à donner des gifles, déclenchant les huées et les sifflements des Gryffondor à leur encontre.
Mary, au contraire, était indécise rien qu’à l’idée de croiser quelqu’un au détour d’un couloir : par quel côté porter ses pas ? A quel moment exact faut-il lever les yeux et dire bonjour ? Comment éviter de tomber dans la spirale infernale de la timidité qui aspire la volonté dès le premier embarras dévoilé, ouvrant la porte à tant d’autres ? Bref, Mary était pour eux une personne très facile à harceler. Elle avait par ailleurs le bon goût de prendre sur elle-même et de ne rien rapporter à personne pour éviter de déranger, qui ou quoi, elle-même ne le savait pas. Bien sûr, Potter avait assisté une fois à une altercation et l’avait emmenée à l’infirmerie. Maintenant, lui et sa petite bande s’en prenaient parfois aux deux Serpentards, mais le jeu en valait bien la chandelle.
Après tout, dehors on préparait une guerre.
***
Et puis un jour, Mary eut un nouvel ami complètement inattendu. Inattendu, car il n’avait pas son âge, n’était pas dans sa classe, n’avait aucun centre d’intérêt commun avec elle.
Ce jour-là, Mary avait accumulé les cours, les entraînements, les brimades, l’atmosphère trop bruyante de la Grande Salle et une interrogation au tableau de Minerva McGonagall qui lui avait fait perdre tous ses moyens. C’était l’hiver, sa saison préférée, parce qu’en général les personnes se réfugient au chaud en intérieur, et qu’il n’y a alors plus de bruit dehors. Mary aimait marcher seule et sentir son visage refroidi par le vent du Nord, regarder les arbres nus et les lumières aux fenêtres en fin d’après-midi, lorsque la nuit n’est pas encore tout à fait tombée et qu’on peut voir une ou deux hirondelles voler dans un ciel gris perle.
Parce qu’elle était fatiguée et parce qu’Avery avait été particulièrement méchant ce jour-là, de grosse larmes silencieuses coulaient sur ses joues adoucies et rosies par le froid, et se perdaient quelque part entre son menton et son écharpe. Parfois, elle reprenait un sanglot plus gros qu’un autre qui lui mangeait la poitrine de l’intérieur et ses épaules se soulevaient, ce qui faisait rentrer un peu de neige dans son cou.
Se promener l’apaisa, et elle fit des tours et des détours dans le parc, s’appliquant à mettre ses pieds là où personne n’avait encore marché, afin d’apprécier le craquement de la neige sous ses semelles. Les flocons qui tombaient du ciel étaient gros et tombaient pesamment dans un bruit sourd et doux. La nuit commença à tomber, mais Mary n’avait pas spécialement peur de la nuit. Elle avait peur des gens, c’était déjà bien suffisant.
Elle sortit sa baguette de son sac à dos et projeta un Lumos, continuant ainsi sa promenade. Elle se croyait un peu comme dans un conte : personne à l’horizon, les silhouettes sombres des sapins enveloppées dans le brouillard du soir, les collines environnantes enneigées qui renvoyaient le peu de lumière blafarde qui se dégageait encore un peu du ciel, le Lac Noir frissonnant sous le vent. Saisie par l’émerveillement, elle ne pensait plus à Avery, à présent.
Toutefois, quand la nuit fut tout à fait tombée et que le vent monta encore plus fort, amenant en un souffle glacé un grésil mordant, elle commença à avoir froid et se décida à rentrer. Elle réalisa qu’elle s’était perdue, la lumière pointée par sa baguette n’étant pas assez intense pour pouvoir repérer le château. Elle ne paniqua pas tout de suite, n’en voyant pas immédiatement la raison – après tout, elle était encore dans le parc ! Mais, eu fur et à mesure que le temps passait, force fut de constater que la tempête montait, qu’elle avait froid et qu’elle perdait des forces.
Elle remonta son écharpe sur son nez en grelottant, et se remit à pleurer, se sentant à nouveau nulle et illégitime, pensant qu’elle ne méritait pas sa place ici à Poudlard, parce qu’elle ne savait pas, en quatrième année, comment se repérer dans le parc – la honte. Rien que ça, la honte. Le grésil commençait sérieusement à attaquer ses pommettes et elle craignit de devoir attendre la fin de la tempête pour pouvoir rentrer. La lumière émise par sa baguette ne permettait pas de voir au-delà du rideau blanc et dense qui virevoltait dans un doux bruissement satiné sous ses yeux.
Enfin, Mary trouva ce qui lui semblait être un muret en pierre, qu’elle résolut de suivre, car il l’emmènerait soit dans le château, soit chez le garde-chasse, soit à Pré-au-Lard. Cependant, l’espoir ne dura pas longtemps, car il était très difficile de le longer, la neige et le vent y formant des congères. La jeune fille se sentit alors à nouveau bête et stupide de ne pas connaître son chemin, et ce d’autant plus qu’elle culpabilisait maintenant d’avoir été aussi bête et stupide de ne pas être rentrée au crépuscule. James connaissait tellement, tellement bien le château ! Et Lily aussi, quoique peut-être pas aussi précisément – elle avait tout ce qu’il fallait pour être préfète l’année prochaine ! Et Marlene, sa Marlene adorée, allait la trouver immature, enfantine, de s’être promenée seule par mauvais temps.
Et l’adolescente commençait à se faire des montagnes de cette neige qui lui collait aux paupières et se mêlait à ses larmes et à trouver, si d’aventure elle en avait besoin d’autres, des raisons pour être rouge et bégayante demain, en cours. Et tandis qu’elle se morigénait intérieurement, se lamentant de la façon dont elle allait devoir expliquer cette escapade à ses amis qui devaient s’inquiéter pour elle, maintenant, un aboiement surgit de derrière ledit muret.
Un gros chien noir et enthousiaste sauta devant elle, mit ses pattes sur son torse et commença à baver sur son écharpe, laissant échapper des glapissements heureux. C’était un animal : Mary, bien qu’un peu surprise de cette rencontre, fut contente de le croiser. D’ailleurs, ayant identifié Crockdur, elle se vit au bout de ses peines dans la nuit neigeuse. Ceci ne signifiait en rien le bout de ses peines au total, car elle n’avait aucunement envie de parler à un adulte, ce qui était pour elle encore plus terrifiant que de parler à une personne de son âge.
L’adulte en question ne mit pas longtemps à arriver.
« Hé bien, qu’est-ce que tu fais dans la neige, toute seule ? Tu as froid ? »
Une lanterne éclairait la barbe hirsute de Hagrid qui émergeait d’une gigantesque capuche doublée en fourrure, et elle était si haute que c’en était presque un soleil chaud et lumineux pour Mary. Elle se sentit rougir et transpirer, et déglutissant deux ou trois fois, elle ne put que lâcher que quelques bribes, envolées avec les flocons avant qu’elles ne parvinssent aux oreilles du géant.
« Ma cabane est à vingt mètres, il vaut mieux que tu viennes avec moi et attendes sagement la fin du grain. On mettrait une bonne demi-heure à revenir au château, et tu m’as déjà l’air frigorifiée. »
Une autre personne aurait su ce qu’il fallait dire – et même s’il y avait quelque chose à dire. Mary ne sentit pas la différence entre une proposition, une affirmation ou une question rhétorique, et pétrifiée davantage par son propre caractère que par le givre, elle préféra ne rien répondre du tout. Hagrid ne s’en formalisa pas et la conduisit jusque dans sa maisonnette.
Une fois qu’il eut fermé la porte, elle eut tellement peur de faire une erreur, qu’elle ne sut pas si elle devait enlever ou non ses chaussure, son bonnet, ses gants et son manteau, si elle devait avancer et s’asseoir, qu’elle resta sur la barre de seuil, indécise, embarrassée.
« Tu veux du thé ? Un petit gâteau ? »
Elle ne réalisa pas non plus qu’il s’adressait à elle, trop concentrée sur la problématique de l’espace qu’elle occupait dans cette cabane.
« Tu peux t’installer, te mettre à l’aise, tu sais. Je pense qu’il y en a encore pour une heure ou deux. Il ne sera pas trop tard quand je te ramènerai, ne t’inquiète pas pour ça ! Oh, mais tu as les yeux bien rouges, tu as pleuré ? »
Mary comprit enfin qu’il lui parlait, et posa ses yeux bleus et apeurés sur le visage de l’homme qui s’affairait avec ce qui semblait être une bouilloire. Elle hocha la tête très lentement, si bien qu’il dut répéter sa question pour s’assurer qu’il avait bien vu.
« Miss MacDonald, c’est bien ça, au fait ? »
Elle hocha la tête à nouveau, et commença à enlever son sac, son manteau et ses gants, et, se balançant d’une jambe sur l’autre, les garda à la main, ne sachant quoi en faire, et d’autant plus impressionnée par la situation que désormais, une tasse fumante l’attendait sur la table. C’était en effet un nouvel élément à prendre en compte dans les interactions sociales des prochaines minutes. Elle ne voulait pas non plus paraître impotente, alors elle décida de s’asseoir et de placer ses affaires sur la chaise.
Malheureusement, elle avait posé son sac et elle l’avait oublié – il était alors à moins de deux mètres d’elle, qu’importe, et elle se releva brusquement, faisant glisser son manteau à terre. Elle tenta de le rattraper, y parvint à peu près, récupéra son sac, et voulant le poser le plus vite possible contre le pied de la table, elle se bloqua elle-même le chemin pour s’asseoir à nouveau. En voulant corriger le tir, elle marcha sur son écharpe, et dut finalement s’agenouiller pour tout replacer.
Elle se releva avec une envie très nette de pleurer de honte, et les joues encore plus rouges que le feu de cheminée qui rendait la maison de Hagrid un peu plus accueillante qu’elle n’en avait l’air de prime abord. La main tremblante, elle tenta de prendre la cuillère, et réussit à viser à côté de sa propre bouche, renversant un peu d’eau chaude autour de ses lèvres. Et évidemment, elle n’avait rien d’autre que sa manche pour s’essuyer.
Et tandis qu’elle s’empêtrait toute seule dans sa timidité, plongée à nouveau dans la spirale infernale, elle ne s’était absolument pas rendue compte que Hagrid n’avait strictement rien remarqué. Il cajolait son chien, lui lançant de temps à autre des friandises, buvait son thé et surveillait deux ou trois potions qui bouillaient au-dessus de son foyer, probablement pour soigner ses pensionnaires.
Bref, il vivait sa vie et ne jugeait pas Mary.
Il parlait aussi, à lui, à son chien, à elle, peu importe, mais il ne l’obligeait pas à répondre, il avait compris assez vite qu’elle ne répondrait pas, même s’il trouvait ce comportement un tant soit peu étrange. En tout cas, il lui posait des questions, le regardait, voyait qu’elle n’ouvrait pas la bouche ou alors seulement pour bafouiller très bas deux ou trois mots inintelligibles. Ensuite, il reprenait d’un ton badin sa conversation, et ne lui asséna pas ce fameux : « Hum, Mary ? » accompagné d’un geste de la main et du menton, souvent suivi d’un : « Alors ? Je t’ai posé une question ? » dont ses parents éloignés raffolaient lors des fêtes de famille.
Ce qui la dérangea le plus dans les biscuits de Hagrid, ce n’était pas qu’ils étaient difficilement mangeables. C'était que le bruit que le premier d'entre eux avait fait contre sa dent était fort et qu'elle s’était probablement faite remarquer, par qui, par quoi, elle-même ne le savait pas.
Crockdur vint poser sa tête contre ses genoux, et elle osa lui caresser le museau, pendant qu’il glapissait de bonheur. Elle se sentit incitée à lui grattouiller l’encolure et à lui flatter le front et le dessus du crâne, ce qui sembla le réjouir. Elle s’en trouva enfin, enfin, un peu détendue.
« C’est un chien heureux, affirma Hagrid. Il a l’air de bien t’aimer, dis donc. Remarque, tu as l’air de bien l’aimer aussi. Tu es plus douée pour communiquer avec les bêtes qu’avec les humains, dis-moi. »
Les lèvres de Mary esquissèrent un frémissement qui s’apparentait probablement à un sourire d’acquiescement.
Quand la tempête fut finie et que la neige tombait de façon plus régulière et éparse dans un froufrou cotonneux – on aurait dit une sorte d’abîme de rêve, une limbe mystérieuse et attirante, il fallut bien sortir. Mary réussit à construire à peu près une phrase pour s’excuser du temps qu’elle avait fait perdre au garde-chasse et l’assurer qu’elle rentrerait toute seule car elle ne voulait pas le déranger.
« Mais enfin, Miss MacDonald, regarde comme Crockdur a été heureux de ta visite ! Alors, moi aussi, je suis très content, et je serais même très content si tu avais l’occasion un jour de revenir, quand un de tes petits camarades t’embête, par exemple, hein, tu vois de quoi je parle ? Et surtout, Miss MacDonald, qui se sent dérangé lorsque son chien est heureux ? »
Et il y avait une telle sincérité dans sa voix, que Mary retint un rire. Elle ouvrit la porte, et alors que le froid dehors la saisissait et l’attirait dans le monde merveilleux d’une nuit noire d’hiver blanche, grise et violette, elle racla ses chaussures contre le sol et Hagrid entendit un murmure, certes, mais un murmure clair et distinct, le murmure de la voix de Mary MacDonald qu’on n’entendait jamais :
« Au revoir et merci pour tout, Hagrid. »