Lascive.
Hydropyrique.
Constellation.
Orgasmique.
Ritournelle.
Insensible.
Sensuelle.
.
Lycoris vogue sur la mer de son duvet en plumes d’oie. Son verni de nacre sèche sous son regard gris ourlé de cils noirs. Elle vient souffler dessus distraitement, décroise puis recroise ses jambes nues. Le voile de sa nuisette chatoie sous les reflets du soleil matinal. Son corps brille du bout de ses ongles aux pointes de ses cheveux dorés en passant par le centre de son ventre où pulse une peinture éphémère en feuilles d’or. Elle est comète, elle est flamme et feu depuis hier soir, depuis l’année dernière, depuis un jour, elle ne sait plus lequel ; depuis toujours sûrement.
Son souffle frais s’échoit encore sur son verni de nacre. Elle pense aux pigments colorés de Basile, roi parmi ses pairs, roi sur un cheval et derrière son chevalet. Roi sur elle aussi… Et sous elle surtout.
« Lycoris ! »
Elle quitte instantanément le rivage des songes et des rêves, et revient en prison. Son regard langoureux se ternit lorsqu’il se lève vers l’orage qui gronde.
« Lycoris ! »
Finie la liberté de vivre.
« LYCORIS ! »
Elle leur a pourtant dit qu’elle se préparait. Son verni n’est pas encore assez sec. Il faut une journée entière pour le faire arriver à maturation.
En revanche, elle a besoin de bien moins de temps pour mûrir sa décision. Elle sait, depuis la veille, ce qu’elle répondra. Depuis avant-hier. Depuis toujours sûrement.
La porte s’ouvre à la volée. Elle tourne la tête avec ennui vers son père. Son teint rougit de manière intempestive. Ils sont tous si prudes ici, les hommes. Même sa mère est plus libérée, c’est peu dire.
Il entre dans sa chambre, et reste face à la porte qu’il vient de fermer.
Une vraie prison.
« Veux-tu me dire ce que tu fiches, Lycoris ? Tu te prépares où tu te fais désirer ? gronde son père auprès de la porte.
C’est amusant d’entendre son père se plaindre à une porte close. Elle a davantage l’habitude d’entendre Basile se lamenter ainsi ces temps-ci.
« Je me prépare, Papa, répond-elle en soufflant à nouveau sur son verni de nacre.
— Dépêche-toi de t’habiller ! »
Elle sourit à son verni séché en surface. La surface doit être impeccable, l’apparence sans bavure, la tenue sans faux-pli. L’intérieur peut bouillonner tant que l’extérieur est de glace. Uniforme et lisse.
Elle se trouble à peine même si l’exaspération démange ses pieds et ses bras ronds. Elle croise précautionneusement ses doigts, retourne ses mains, détend ses muscles vers le plafond pour s’étirer. Un bâillement lui échappe. Son père grogne. Sirius Black aurait dû être un chien.
« Lyco…
— Voilà, ça vient, je me lève, l’interrompt-elle. »
Elle est agacée et satisfaite à la fois. Agacée que son père fasse le pied de grue devant sa porte. Satisfaite de pouvoir lui couper la parole et qu’il soit trop soulagé pour lui faire la moindre remontrance. Elle rit légèrement en allant à son armoire. Quelle robe va-t-elle choisir ? La verte ? La mauve ? La bleue ?
La rouge. Sa préférée. Son père la déteste. Il trouve qu’elle fait… courtisane. Il est trop poli pour dire putain, même s’il le pense outrageusement. Il préfère dire courtisane, femme de cour, qui fait salon, qui flamboie sous le savoir. Il utilise ce mot pour ne pas trop contrarier sa mère qui la trouvait très belle dans cette robe. Impériale.
Aujourd’hui, elle la trouve femme fatale, un peu courtisane aussi. Putain sûrement. Peu importe ce qu’ils trouvent à cette robe, à son corps et à sa vie. Elle est Lycoris : c’est tout à fait suffisant.
— La rouge est parfaite, babille-t-elle. Je fais un essay…
— Mets-en une qui ne fasse pas catin pour une fois, lui ordonne-t-il d’une voix rauque de colère.
Catin, à présent. Il a du vocabulaire, le bougre.
— Mais tout le monde aime cette robe, geint-elle faussement.
Oh oui, ils aiment tous cette robe. Ils aiment aussi beaucoup la lui enlever.
— Je te garantis que personne ne l’aimera aujourd’hui, grogne-t-il. Mets une robe normale et descends. Retrouve-moi en bas dans une minute.
Il ouvre déjà la porte sans la regarder. Il a honte. Honte de sa propre fille. Lui, son papa chéri.
— Je sais pas comment on fait pour savoir combien ça fait une minute, le provoque-t-elle comme ça, par habitude : pour le faire enrager surtout.
— Soixante secondes. Pas une de plus, la prévient-t-il de ce ton dominateur qu’elle exècre.
Elle démarre au quart de tour.
— Si c’est comme ça, je viens tout de suite, se fâche-t-elle.
Son père se retourne enfin et fait un pas dans sa chambre. Son agacement se change instantanément en colère. Il déteste son insolence. Elle le sait bien. Il l’a assez punie de sorties avant qu’elle ne soit majeure, qu’elle ose lui tenir vraiment tête et tirer sa baguette pour ouvrir sa porte elle-même. Il la regarde comme quand elle était enfant et qu’il allait la punir. Il la regarde comme s’il ne savait plus quoi faire d’elle, comme s’il avouait enfin qu’il ne peut la contrôler.
Elle savoure. Elle jette insolemment la robe rouge sur le lit et court dans le couloir en petite tenue.
« LYCORIS ! »
Elle rit à gorge déployée en dévalant les escaliers. Elle s’esclaffe comme une bienheureuse. Le courant d’air qui s’infiltre partout sur son corps la plonge dans un état second de plaisir. Ses mouvements sont libérés de tissu encombrant, de normes vestimentaires écrasantes et de lourdeur inutile. Elle est plume, elle est vent, elle est zéphyr léger et éole déchaîné.
Elle traverse toute la maison, croise les yeux éberlués de sa mère, les joues pivoines de ses frères, la mâchoire décrochée de ses cousines, la bouche offusquée de ses tantes, le regard réprobateur de ses oncles. Et elle leur rit au nez de voir leur petite vie bien rangée être bousculée par un bout de peau, un bout de corps, un bout de beauté : un bout de nudité riante et insouciante.
Un bout de vie, la vraie, celle loin de la caverne du 12, Square Grimmaurd.
Elle rit encore lorsqu’elle pousse la porte du petit salon de l’entrée, celui où l’attend un potentiel fiancé.
Midas Crabbe est un cochon. Un bel homme, mais un sacré cochon. Il veut mettre la main sur elle depuis qu’elle s’est amusée avec lui le mois dernier. Il veut la priver de sa liberté, il veut l’enchaîner comme une esclave et l’empêcher de vagabonder où elle veut. Il veut le monopole de son cul.
Elle est plus ennuyée de devoir mettre les points sur les i avec lui que contrariée par son outrecuidance. Elle hallucine aussi face à son entêtement. Trois lettres de rupture, trois absences de réponse, trois gifles. À croire qu’il n’en a jamais assez, le cochon.
— Ah, Midas, comment allez-vous, chéri ? Vous m’ennuyez à me presser ainsi, mon verni a besoin d’une journée entière pour sécher, l’accueille-t-elle avec un soupir.
— Je peux attendre que vous vous habilliez, voyons.
Sous son sourcil haussé de surprise, il parle avec un stoïcisme doucereux, qui l’émoustille un peu et lui rappelle pourquoi elle a eu envie de lui le mois dernier. Mais en ce moment, Basile les surpasse tous. Elle n’a même plus envie de se faire courtiser, c’est fou.
— Allez vous habiller, Miss Black, siffle la voix du paternel Crabbe.
Elle le remarque à son tour. Cochon numéro 2. Il ose accompagner son fils pour sa demande en mariage. L’hypocrisie atteint des sommets chez les Crabbe.
— Tenez votre fille, Sirius, ajoute-t-il avec mépris lorsque son père arrive derrière elle.
— Que voulez-vous, Caton, Lycoris ne tenait plus en place, dit son père entre ses dents en se sentant humilié une fois de plus par son attitude.
— Un peu de respect pour sa future famille ne lui ferait pas mal.
Elle le savait misogyne, hypocrite et menteur, mais pas donneur de leçons. La scène promet d’être amusante. Lycoris raffole des jeux mondains : elle aime tout faire éclater et monter les acteurs les uns contre les autres. C’est parti, les cochons.
— Oh, Caton, aucun de vous trois n’apprendra quoi que ce soit sur moi en me voyant ainsi vêtue, dit-elle du même ton doucereux dont a usé Midas.
Le visage de Caton se fait impassible, celui de Midas se décompose, celui de son père devient rouge brique. C’est hilarant.
Elle s’approche de Caton Crabbe, jusqu’à se retrouver devant lui.
— Alors, lequel de vous deux a préféré mon cul au point de le demander en mariage ? demande-t-elle avant d’entendre avec délice le juron de son père. Et lequel pensez-vous que j’ai préféré ? Le père ou le fils ? Le riche ou le jeune ?
Ils n’osent rien dire : elle est le loup dans la maison des trois cochons, elle est en train de tous les dévorer de honte. C’est la meilleure humiliation qu’elle n’ait jamais orchestrée. Peut-être manque-t-il un fond musical dramatique et un public féminin pour des hourras. Peut-être manque-t-il Basile pour l’admirer et la peindre justicière pour l’éternité.
— Alors ? Les Crabbe sont joueurs pourtant, minaude-t-elle.
Midas perd l’équilibre et se raccroche au mur. Caton reste impassible comme le parfait hypocrite qu’il est.
— Allez, je veux bien accepter un partage : la bague du riche et le lit du jeune, comme ça, tout le monde est content !
La gifle de Caton Crabbe qui la cueille à la joue la fait couiner. Cochon numéro 2 est vraiment un salaud.
— Suis-je bête, il y a déjà une Mrs Crabbe, dit-elle avant de lui cracher dessus.
Son père la tire en arrière pour pointer son vieil ami de sa baguette. Il flambe de colère, et pour une fois, ce n’est pas contre elle. Elle en est presque jalouse.
— Votre fille est d’une indécence scandaleuse, Sirius. J’exige des excuses pour ces calomnies.
— Vous n’êtes personne pour gifler ma fille, Caton, siffle son père. Et je refuse de parler de la demande de votre fils en votre présence. Lycoris, voulez-vous un tête à tête avec Midas, ma fille ?
Le voilà soudain bien attentif à ses désirs. Bien désireux de montrer leur lien de parenté. Peut-être a-t-il enfin compris que ce n’est pas elle qui fait des avances à ses vieux amis, mais eux qui lui en font ? Peut-être veut-il tout de même la caser ?
— Midas, c’est donc vous qui vouliez à nouveau mon cul ? s’étonne-t-elle faussement. Chéri, c’est pas une bonne idée. Lycoris Crabbe, ça sonne si mal, se désole-t-elle. Et puis vous ne voulez pas seulement mon cul mais aussi mon ventre, non ? Pourtant je vous préviens chéri, je veux pas d’enfants : ça ramollit les fesses.
Elle écoute vaguement Caton perdre de son impassibilité et la traiter de tous les noms. Elle n’entend pas Midas qui semble avoir enfin compris qu’il ne l’intéresse plus. Elle entend seulement son père mettre dehors Caton, congédier plus joliment Midas, et calmer le boucan qui se joue dans le reste de la bâtisse trop curieuse.
Elle les laisse tous retourner à leur place pendant qu’elle contemple l’âtre de la cheminée avec une satisfaction délirante.
L’exodos lui tend les bras, elle est sur un char de soleil, prête à grimper dans le ciel étoilé. Elle n’est pas seulement une étoile de la Maison des Black. Elle est Lycoris, comète dans la constellation de l’univers.
Elle est Vénus qui fait sa révolution.