Impressionnée par ce hall sous forme de cercle, lumineux, gigantesque et sertie de colonnes ioniques, ainsi que par la foule qui s’y pressait, Lavande resta plantée sur le seuil de l’ascenseur du Ministère de la magie, observant ce nouvel environnement où elle espérait un jour obtenir sa place.

― Deuxième étage, Département de la justice magique, répéta la voix qui annonçait les étages au fur et à mesure.

Comme elle ne sortait pas et qu’elle bloquait les portes, trois hommes la bousculèrent sans ménagement, et l’un d’eux poussa un grognement en lui lançant un regard noir. Soudainement piquée au vif, son angoisse disparaissant derrière de la révolte, Lavande le dévisagea d’un air de défi. L’homme en question – un grand brun qui la dépassait de deux têtes – n’en fit aucun cas et disparut à grandes enjambées.

Maudissant le malotru, Lavande sortit à son tour, et l’ascenseur s’envola aussitôt vers les étages supérieurs. Bientôt, elle se retrouva perdue au milieu de cette foule de sorciers et tenta de se frayer un chemin à l’aide de ses coudes. Elle parvint finalement de l’autre côté du hall et découvrit une porte immense sur laquelle était inscrit en lettres d’or : Bureau des aurors. Tournant la tête à droite, elle découvrit un autre porte, beaucoup plus petite et quelque peu miteuse, où était écrit : Service des usages abusifs de la magie. Enfin, à gauche du bureau des aurors, elle trouva ce qu’elle cherchait : une porte de taille moyenne, qui n’avait rien de très spécial au premier abord et qui renfermait la Brigade de police magique.

Lavande, le coeur battant, toqua trois fois contre le battant et attendit quelques minutes que quelqu’un vienne lui ouvrir. Dans un grincement, la porte s’ouvrit après une dizaine de secondes sur un homme de taille moyenne, au menton protubérant, dont le regard, autoritaire derrière de grosses lunettes rectangulaires, trahissait son statut. Il portait sur sa longue robe bleu nuit un badge annoté de la mention « instructeur Munch ». Il darda sur la jeune femme des yeux emplis de sévérité alors qu’il lui faisait signe en silence et d’un geste sans amabilité d’entrer dans la pièce suivante.

Un peu tremblante, elle le suivit et découvrit une pièce circulaire aux murs d’un blanc immaculé où se tenaient cinq hommes autour d’un cercle dessiné au sol.

Le premier était un blond immense aux épaules carrées et à la barbe épaisse, et semblait tenir ses origines des vikings. En pleine discussion avec le second, il eut à peine un regard à son égard. Celui-ci, justement, était deux fois plus petit que le précédent ; c’était un brun trapu, et ses grands yeux d’un bleu azur parurent la sonder un dixième de seconde avec une facilité désarmante. Le troisième, plus âgé que les deux autres, déposa sur elle un long regard méprisant. Le quatrième, les yeux perçants et le faciès écrasé, ne fut pas plus accueillant que ne l’avaient été les trois derniers et croisa les bras sur sa poitrine avec un air fermé. Quant au cinquième, Lavande n’eut aucun mal à reconnaître l’inconnu au regard noir de l’ascenseur. Visiblement surpris de la trouver ici, il haussa un sourcil fourni auquel elle répondit par un rictus en coin.

― Je vous prierai, reprit sèchement l’instructeur Munch, d’être ponctuelle à l’avenir, Miss…
― … Brown, souffla-t-elle, impressionnée par ce dernier et les cinq paires d’yeux qui s’étaient brusquement posées sur elle.
― Miss Brown, donc, répéta-t-il, les lèvres pincées. Sachez que votre célébrité dans la presse et votre statut d’héroïne de guerre, s’ils vous ont permis d’obtenir une place au sein de cette formation réputée pour être l’une des plus difficiles, ne vous octroiera aucun passe-droit de plus me concernant. Je n’ai pas pour habitude d’attribuer de telles mérites au sein de notre société sans mesurer le talent… Si j’en juge par votre capacité à respecter des horaires, vous aurez assurément des progrès à faire.

Outrée par la manière dont elle était accueillie et prête à défendre ses intérêts avec force en clamant qu’elle avait passé tous les tests avec succès – comme les autres – et qu’elle ne réclamait absolument aucun traitement de faveur, Lavande ouvrit la bouche mais l’instructeur Munch, fidèle à ce qu’elle avait pu entrevoir de sa façon d’être, ne lui prêta pas la moindre attention et poursuivit, désignant ses camarades de promotion.

― Vous êtes six à intégrer cette formation au sein de la brigade de police magique, mais seulement deux d’entre vous seront admis pour rejoindre les rangs – ô combien sélectifs et élitistes – des tireurs d’élite. Avant que je ne commence à vous expliquer les bases de notre programme, veuillez vous présenter en quelques mots.

Le plus âgé des cinq hommes fut le premier à s’avancer au centre du cercle. Ses petits yeux perçants passèrent de l’un à l’autre de ses camarades avec un petit air résolument supérieur. Son attitude, pernicieuse et arrogante, déplut fortement à Lavande qui le trouva aussi antipathique que leur instructeur. Lorsqu’il s’exprima, ce fut d’une voix lente, mesurée, et froide.

― Je me nomme Callum O’Brien. J’ai quarante-deux ans. Je travaille dans la brigade de police magique depuis vingt ans. Devenir tireur d’élite est, pour ma part, dans l’ordre des choses.

L’instructeur Munch hocha légèrement la tête et se permit même un petit sourire en direction d’O’Brien, ce qui révolta d’autant plus Lavande qui remit rapidement en cause les valeurs profondes de leur formateur. Callum O’Brien se recula et l’homme blond à la carrure imposante fut le deuxième à s’avancer au centre.

― Je suis Elias Virtanen, fit celui-ci avec un accent prononcé. J’ai trente ans, et je viens de Finlande. J’étais auror dans mon pays.
― Je m’appelle Oliver Turner, j’ai vingt-deux ans, se présenta le brun trapu, ses yeux bleus s’attardant sur Lavande. J’ai travaillé en tant que stagiaire pendant trois ans au Service des usages abusifs de la magie avant de parvenir à intégrer ce cursus.
― Graham Wright, trente-six ans, ancien langue-de-plomb, continua l’homme au faciès écrasé, les bras toujours croisés.

Si Lavande n’eut aucun préjugé sur les deux premiers qui avaient plutôt l’air d’être des individus sans histoires, le dénommé « Graham » l’intriguait. Son ancien métier, loin d’être anodin dans la société sorcière, faisait se demander à la jeune femme ce qui avait pu le pousser à ce brusque changement de carrière. Songeuse, elle faillit ne pas entendre la présentation du dernier de ses camarades.

― Alessandro Mancini, vingt ans, dit-celui-ci d’une voix profonde et grave, relevant la mèche de cheveux noirs qui lui tombait devant les yeux. J’ai fait mes études à Incantesimi, l’académie de magie italienne d’où je suis sorti brillamment diplômé l’année dernière. Je suis ici pour être le meilleur de cette promotion. Évidemment.

Après cette annonce, l’italien sourit. Il paraissait tellement sûr de lui que Lavande en perdit soudainement tout le courage qu’elle venait de rassembler. Pourtant, loin de se renfermer dans cette coquille dans laquelle elle se réfugiait trop souvent, elle fit un pas en avant, prenant la place d’Alessandro dont le sourire était devenu sarcastique en la considérant de haut en bas. Sans doute imaginait-il la mettre sur la touche sans trop de difficultés. Piquée au vif par cette pensée, Lavande se promit de lui donner du fil à retordre au cours de cette formation.

― Je… je m’appelle Lavande Brown, et j’ai dix-neuf ans. J’ai passé les tests pour entrer dans cette formation et je les ai réussis avec succès… Avant cela, j’ai participé à la bataille de Poudlard… et j’ai passé trois mois à Sainte Mangouste.

Pour quelle raison, tout à coup, se sentait-elle illégitime à se trouver parmi eux ? Pourquoi la regardait-il tous avec cette forme de condescendance, un mélange de pitié et de mépris non dissimulé ? Elle avait pourtant combattu pendant la guerre et elle n’avait pas à rougir de son parcours douloureux et chaotique mais, devant ces six hommes qui l’observaient comme si elle n’était rien d’autre qu’une jeune fille sans aucune expérience, elle avait l’impression d’être toute petite. Elle était la seule femme parmi ce groupe d’hommes et jamais, non jamais, elle ne s’était sentie si fragile.

Ensevelie sous une honte infâme, la colère qui tempêtait en son for intérieur ne parvint pas à sortir ce jour-là. Lavande écouta l’instructeur leur expliquer les bases des séances qu’ils allaient suivre dans cette pièce au cours des prochains mois d’une oreille distraite, son attention détournée par un sentiment de culpabilité envers sa propre personne.

***

Le deuxième jour de sa formation ne commençait pas sous les meilleurs auspices. Lavande, trempée jusqu’aux os après avoir essuyée une averse soudaine, tentait de faire bonne figure en pénétrant dans la salle aux murs blancs où avaient eu lieu les présentations la veille. Or, cette fois-ci, elle était arrivée en avance et l’instructeur Munch n’était pas encore présent. Seul Alessandro Mancini, qui usa d’un sourire moqueur en la voyant entrer dans cet état, se tenait au milieu de la pièce. La jeune femme, piquée au vif face à son comportement, fit claquer sa langue contre son palais avec mépris. Le sourire d’Alessandro s’agrandit sensiblement et il émit même un petit rire.

― Tu devrais te détendre, Brown. Nous n’avons pas encore commencé à nous affronter…
― Ce n’est pas un affrontement, rétorqua-t-elle sèchement. Nous participons au même programme.
― Il n’y aura que deux titulaires, reprit-il en s’approchant d’elle, son sourire esquissant des fossettes. Et je serai l’un d’eux.

Lavande rencontra le regard profond de l’italien. Dans les prunelles du jeune homme brillait une lueur étrange dans laquelle, sans le prévoir, elle se perdit quelques millièmes de secondes. Inclinant la tête sur le côté, il semblait songeur en avisant ses lunettes de soleil noires derrière lesquelles elle se cachait depuis leur rencontre. Munch devait être au courant de ce qui s’était passé durant la guerre, et il ne lui avait pas demandé de les enlever lors de la première séance, mais ses camarades considéraient sans doute cet artifice comme un accessoire superficiel ou un manque de respect envers eux. Alessandro, lui, trahissait plutôt une sorte de curiosité.

― Je pensais que tu finirais par enlever tes lunettes pour nous impressionner lorsque nous nous sommes présentés. Si j’avais été à ta place, c’est ce que j’aurais fait. Au moins pour déstabiliser cet enfoiré de Munch !

Elle allait lui répondre vertement que sa blessure de guerre n’était pas une gloire qu’elle se plaisait à exhiber aux yeux de tous, mais elle n’en eut pas le temps. La porte s’était ouverte sans qu’ils ne l’entendent et, sur le seuil, l’instructeur Munch leur lança un regard torve. Ses yeux, petits et étroits derrière ses lunettes rectangulaires, se plissèrent pour observer les vêtements dégoulinants d’eau de Lavande. Puis, il se tourna vers Alessandro et son visage, glacial, effaça toute trace de sourire sur les lèvres de son camarade.

― Sachez, Monsieur Mancini, qu’il est important de contrôler ses mots et de faire preuve de discrétion lorsqu’on officie en tant que tireur d’élite dans ma brigade. Je vous prierai donc, à l’avenir, de garder votre avis sur ma personne et celle de votre camarade pour vous-même. Quant à vous, Miss Brown, c’est la dernière fois que vous apparaissez devant moi dans un tel état sans avoir le réflexe de vous sécher… Exsiccesco ! conclut-il, dirigeant sa baguette vers elle.

Aussitôt que le sort fut prononcé et l’eut touchée, le pull rose de Lavande et son jean séchèrent instantanément. Les joues rougies par la honte de ne pas y avoir songé elle-même et la tête baissée, la jeune femme échangea un regard de circonstance avec Alessandro Mancini. Celui-ci, dès que Munch eut le dos tourné, se pencha vers elle :
― Je suis impatient de voir de quoi tu es capable, lunettes noires ou pas.

***

Les deux premiers jours de formation n’étaient qu’une simple entrée en matière. Si la première journée de leur cursus, l’instructeur Munch leur avait explicité les règles et les lois qu’ils devaient suivre, notamment concernant le secret magique, le deuxième jour, il leur fit réviser une cinquantaine de sorts mêlant la Métamorphose, la Défense contre les forces du mal et les Sortilèges sur divers objets et mannequins mis à leur disposition. Enfin, la dernière heure de leur deuxième journée de formation, il les fit s’affronter en duel.

Lavande, contrairement à ce que pensaient ses pairs, était douée. Les longues heures passées dans la Salle sur demande à s’entraîner pour l’Armée de Dumbledore avaient portées leurs fruits. Elle paraît les coups avec agilité et attaquait lorsqu’il le fallait, si bien qu’elle battit aisément Oliver Turner et Elias Virtanen, trop immatures dans la gestion de leur baguette, mit à mal la défense solide de Graham Wright pour le vaincre, et combattit férocement Callum O’Brien dans un duel acharné qu’elle gagna au terme d’une vingtaine de minutes.

Seul Alessandro Mancini lui résista. Trop sûre d’elle et de son talent, elle en oublia toute méfiance, persuadée que l’assurance de l’italien n’était qu’une apparence. Mais elle se trompait lourdement. Avec un sourire narquois, alors qu’elle levait sa baguette pour lui lancer un sort d’immobilisation, il la déjoua facilement et la prit de vitesse avec un « tarrentallegra ». La jeune femme se retrouva donc, sans pouvoir s’en empêcher, à danser, danser, et danser de manière endiablée devant son instructeur et ses camarades de promotion.

Oliver et Elias l’observaient, hilares, tandis que Callum, sans doute blessé dans son orgueil après sa défaite, usait d’un rictus. Graham était le seul à rester impassible et silencieux, visiblement indifférent à son sort. Lavande finit par s’arrêter de danser après plusieurs minutes, les jambes en coton et les joues rouges de honte.

― Pas mal, Brown, mais pas suffisant pour devenir danseuse étoile, persifla Alessandro, le menton relevé.
― Ce sort… tu n’avais pas le droit de… fulmina-t-elle, le fusillant du regard.
― Cessez de marmonner, Miss Brown, la coupa Munch, les sourcils froncés. Vous vous êtes bien défendue, mais il semblerait que Mancini soit plus habile dans le maniement de sa baguette. Il en est, de ce fait, plus rapide et meilleur que vous en terme de duel, conclut-il, jetant un coup d’œil à Alessandro qui se rengorgea instantanément. Cependant… votre défense est meilleure que la sienne. S’il n’avait pas eu cette adresse dans son mouvement du poignet, il n’aurait probablement pas percé vos barrières.

L’instructeur Munch fit une pause, les considéra longuement tous les deux, et reprit :
― Vous êtes complémentaires malgré vos divergences. C’est pour cette raison que vous serez en binôme durant cette formation.
― Pardon ?! s’écria Lavande, choquée par cette décision sans le moindre sens.
― Vous déconnez ?! s’exclama Alessandro, pris d’un rire nerveux.
― Pas le moins du monde, Monsieur Mancini. Dans notre métier, il est nécessaire d’apprendre à travailler ensemble en faisant fi de nos différences. Brown, vous serez la binôme de Mancini à partir de demain. O’Brien, votre binôme sera Turner. Et Virtanen, avec Wright.

Callum O’Brien jeta un regard méprisant au jeune Oliver Turner. Quant à Graham Wright, il n’accorda pas la plus petite attention à Elias Virtanen qui s’avançait pourtant vers lui pour lui serrer la main. Lavande, elle, tentait de contenir la colère qu’elle ressentait à l’égard de Mancini. Cette colère, cette rage de vaincre, elle était pourtant parvenue à la maîtriser durant ces derniers mois mais, à cet instant, elle ressurgissait avec une force si terrible qu’elle ferma les yeux et serra les poings jusqu’à se faire blanchir les jointures des mains.

― Deux d’entre vous seront choisis pour être des tireurs d’élite au sein de la brigade de police magique. Sachez qu’ils appartiendront au même binôme. A partir de maintenant, si l’un échoue, l’autre aussi. A partir de maintenant, vous ne faites qu’un. Je vous souhaite une excellente soirée.

Un sourire vicieux se dessina sur les lèvres de l’instructeur Munch alors que les six camarades prenaient connaissance de l’étendue de ses paroles. Callum O’Brien, ayant travaillé vingt ans dans la brigade de police magique, paraissait ulcéré de devoir travailler de concert avec Oliver Turner, le jeune stagiaire du Service des usages abusifs de la magie. Graham Wright, en apprenant qu’Elias Virtanen était celui qui lui permettrait de devenir tireur d’élite, eut un clignement des paupières nerveux.

Alessandro Mancini et Lavande Brown, eux, se regardèrent longuement d’un air particulièrement mauvais. Lorsqu’ils passèrent la porte qui les menait vers le hall du Département de la justice magique, l’italien se pencha vers elle et murmura :
― Tu n’as pas le droit à l’erreur, Brown. Il n’est pas question que j’échoue si près du but.

Ce fut à cette seconde précise que Lavande Brown sentit sa carapace se fêler, et qu’elle prit conscience que la chrysalide dans laquelle elle était enfermée depuis trop longtemps venait de la libérer.