Le mois de mai venait de commencer et, avec lui, le soleil revenait plus régulièrement, assaillant de ses rayons chauds les passants du Chemin de Traverse. Un petit vent frais cependant, souvenir d’un mois d’avril mitigé, venait s’attarder sur la foule, les prévenant d’une bise qu’un pull chaud ou une veste légère n’était pas encore de trop en cette saison.
Resserrant les deux pans de son gilet rose en mohair sur sa poitrine pour se préserver du vent frais, Lavande Brown considéra le visage d’Alessandro Mancini, tiré par la réflexion.
― Nous devrions les attaquer de front, fit-il après plusieurs minutes, les sourcils froncés, se retournant vers sa coéquipière qui contemplait rêveusement les devantures fleuries des commerces.
― Il nous faut une véritable stratégie, répliqua Lavande.
― Pas nécessairement, justement, assena durement l’italien. Elias et Graham s’attendent à ce qu’on les prenne par surprise. C’est exactement la manière dont nous avons procédé pour vaincre Callum et Oliver. Et c’était parfait, je ne dis pas le contraire, ajouta-t-il, posant une main amicale sur le bras de sa partenaire. Mais nous devrions tenter autre chose. Prendre des risques. Ne dit-on pas « en avril ne te découvre pas d’un fil, en mai fais ce qu’il te plaît » ?
― Ce vieux dicton moldu parle du temps… rétorqua la jeune femme, ses lèvres se plissant d’amusement.
― Et alors ? Changer les règles fait partie du jeu, non ? Pourquoi ne pas laisser place à l’improvisation ?
Lavande haussa les épaules, se contentant de lui sourire. Après un mois et demi de formation ensemble, les deux coéquipiers étaient plus proches que jamais. Bien qu’ils n’aient pas la même vision des choses, ils s’accordaient parfaitement et étaient parvenus à réussir chacune des simulations de différents niveaux émises par l’instructeur Munch. Récemment, ce dernier avait élevé la difficulté et décidé de confronter les binômes. Au terme d’un duel acharné, Lavande et Alessandro avaient vaincu Callum O'Brien et Oliver Turner qui avaient été contraints de rendre les armes et de quitter la formation.
― Si nous échouons si près du but… soupira Lavande, se mordillant la lèvre inférieure.
― J’en prendrais toute la responsabilité. Mais, fais-moi confiance, je sais ce que je dis. Elias et Graham sont de bons duellistes, mais tout comme Callum et Oliver, ils manquent de coordination et d’esprit qu’équipe. Contrairement à nous deux, Brownie, explicita-t-il, sa main toujours posée sur l’épaule de Lavande et redescendant légèrement sur l’avant-bras de la jeune femme, lui procurant des frissons.
― Cesse de m’appeler ainsi, Mancini, fit-elle, avec une grimace faussement douloureuse.
― Tu adores ça, répliqua-t-il, hilare, retirant sa main et avançant de quelques pas.
Lavande secoua la tête, un peu désabusée par le comportement quelquefois immature de son collègue. Souvent, sans même le prévoir, elle se prenait à le comparer avec Seamus… ou avec Drago. Mais Alessandro Mancini ne ressemblait ni à l’un, ni à l’autre. Il n’avait pas vécu la guerre. Il était si libre dans sa manière d’être, si différent dans sa manière d’appréhender les situations, qu’elle l’enviait. Aucun traumatisme, aucune douleur ne transperçait ses prunelles brunes.
Alessandro ne côtoyait pas les ombres. Et, là où Seamus brûlait d’une rage dont les braises étaient presque éteintes, Alessandro ne faisait que rayonner de lumière. Là où Drago était dévoré par la noirceur des ténèbres, il était baigné de lumière. Dans le monde de Lavande – ce conte de fées détruit par les monstres – il était un être à part, un enfant ayant préservé sa part d’innocence. Une sorte de Peter Pan. Un homme entièrement fait de couleurs dans son univers en noir et blanc.
La façon dont elle le regardait sembla l’alerter et il se stoppa au milieu de la rue, attendant qu’elle le rejoigne.
― Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta-t-il
― Non… répondit-elle, passant son bras sous le sien dans un brusque geste affectueux. Tout va bien, Mancini.
― D’accord… acquiesça-t-il, se doutant qu’elle lui mentait délibérément. Je t’invite à manger une glace ?
Il était comme ça, Alessandro. Il ne la forçait pas à divulguer ses secrets, et il ne la prenait jamais en pitié. Il la voyait comme celle qu’elle était à présent, forte et fragile à la fois. Seamus ne voyait que ses forces, Drago ne distinguait que ses faiblesses. Si le premier lui avait permis de survivre durant l’Année des Ténèbres, le second l’avait compris si intimement qu’elle avait pu se relever. Mais, maintenant que le printemps venait de se dévoiler, avait-elle réellement besoin de regarder vers le passé, de regretter l’automne achevé et l’hiver glacé ?
― Il ne fait pas encore très chaud, mais… pourquoi pas, accepta la jeune femme, timidement.
― C’est la première glace de la saison ! s’exclama le jeune homme avec ferveur, souriant de toutes ses dents.
Oui, il était temps de faire face au changement. Elle ne pouvait pas rester indéfiniment bloquée dans le passé, à attendre un signe d’un homme qui avait fait le choix de ne pas être avec elle. Peut-être même Drago avait-il raison en lui disant qu’ils ne pourraient jamais être heureux ensemble, que leur relation était d’ores et déjà vouée à l’échec.
Trop d’antécédents, trop de difficultés, leur barraient le chemin. Dans les yeux de Drago, elle vibrait, pleine de vie ; mais, dans ses yeux gris, elle se mourrait aussi, les cicatrices béantes de son esprit ouvertes face à lui. Elle devait avancer. Laisser passer l’orage, et apprendre à danser sous la pluie.
***
En ce jour de mai ensoleillé, Lavande avait troqué son gilet rose contre un chemisier à fleurs. Le sourire aux lèvres lorsqu’elle distingua Dean attablé à la terrasse d’un café – du côté moldu de Londres – elle accéléra le pas pour le rejoindre. Ces deux derniers mois, son ami était devenu son plus intime confident.
La seule partie de sa vie qu’il ne connaissait pas, c’était celle qui concernait Drago Malefoy. Lavande – connaissant les antécédents de Dean dans le manoir des Malefoy – n’avait pas voulu mettre du souffre sur des douleurs encore vives. Et puis, elle avait peur, tellement peur de le perdre lui aussi s’il apprenait l’identité de celui qui avait remis en question ses fiançailles avec Seamus.
Elle n’avait pas revu son ancien fiancé – qui restait braqué sur ses positions – et ne discutait que très rarement avec Parvati ces temps-ci. Sa meilleure amie semblait mettre une certaine distance entre elles et, même si Lavande multipliait les tentatives de réconciliation, la guerre froide régnait.
Alors, Lavande se raccrochait à Dean comme elle pouvait, lui contant ses péripéties au sein de sa formation, ses relations parfois tendues avec l’instructeur Munch, l’amitié qui s’était formée entre Oliver, Elias, Alessandro et elle-même malgré l’éviction d’Oliver et Elias qui devraient retenter leur chance lors de la session de formation suivante, et son attirance de plus en plus concrète pour le bel italien qui lui servait de coéquipier.
Ce jour-là, elle était venu pour lui annoncer une grande nouvelle.
― Alessandro et moi sommes les prochains tireurs d’élite, exulta-elle, à peine assise face à lui, le coeur battant d’une fierté qui illuminait le moindre de ses traits. On a réussi, Dean ! On va enfin pouvoir aller s’entraîner sur le terrain avec des tireurs assermentés par le Ministère pour ce dernier mois de formation ! Ensuite, nous rejoindrons la brigade !
Dean s’empara de sa main et la serra avec affection.
― Félicitations, je suis fier de toi.
― Merci, Dean… souffla-t-elle, émue.
― Nous sommes tous fiers de toi, ajouta-t-il, reprenant une gorgée de limonade.
― Tu leur en as parlé ? s’enquit-elle, l’espoir refaisant surface dans le ton de sa voix.
Ses amis lui manquaient. Parvati, distante, lui manquait. Seamus, absent, lui manquait aussi. Sans eux et leur présence chaque jour de sa vie, elle avait l’impression d’être amputée d’une partie d’elle-même et sa joie ne pouvait pas être complète. Dean en était parfaitement conscient et faisait de son mieux pour combler le vide, mais ce n’était pas suffisant.
― Oui.
― Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
― Tu n’auras qu’à le leur demander toi-même, répondit Dean avec un sourire doux, désignant deux silhouettes qui se dirigeaient vers eux.
Une larme roula sur la joue de Lavande. Une larme d’espoir, pleine de regrets et d’amitié. Dean posa une nouvelle fois sa main sur celle de Lavande, comme pour lui apporter un soutien muet. Seamus et Parvati s’approchèrent lentement. Tous deux paraissaient hésitants, mais s’installèrent finalement sur les chaises restantes.
― Bonjour, Lavande, émit Seamus, le regard fuyant.
― Salut, Lav’, lâcha Parvati avec un petit sourire gêné.
― Hey, vous deux…
Lavande pria pour ne pas se mettre à pleurer. Les voir ainsi tous les deux face à elle la chamboulait plus qu’elle n’aurait jamais pu l’imaginer. Seamus se racla la gorge, Parvati posa une main sur son bras, comme pour l’encourager à exprimer ses pensées. L’irlandais se lança le premier, s’adressant à Lavande sans pour autant la fixer, portant son regard sur la devanture du café :
― J’ai mis du temps à te pardonner, Lavande. Encore aujourd’hui, je ne suis pas sûr d’avoir totalement réussi mais, si je suis certain d’une seule chose, c’est que je n’ai pas envie de t’effacer de ma vie. Pas après tout ce qu’on a vécu ensemble. Si tu ne m’aimes pas assez pour te marier avec moi, je t’aime suffisamment pour rester ton ami, murmura-t-il, sa dernière phrase se figeant dans l’atmosphère opaque qui venait de se former entre eux.
― Nous t’aimons, Lavande, ajouta à son tour Parvati, plongeant son regard franc dans le sien. Tous les deux. C’est juste que… c’était si soudain, si violent, que j’ai eu du mal à l’accepter. Pour Seamus, mais aussi parce que c’était comme si… à travers tes choix, je ne te reconnaissais plus, je ne te comprenais plus. Tu avais des secrets pour moi, alors que tu n’en avais jamais eu avant. Dean m’a dit…
Le jeune homme plongea le nez dans sa limonade, mal à l’aise. Lavande devinait que son ami avait dû user de patience et de diplomatie pour que ces deux-là – d’un tempérament particulièrement borné – lui tiennent ce discours.
― Dean m’a dit que je n’avais pas besoin de te comprendre, de cautionner tes choix, ou de tout savoir de toi pour t’aimer, que mon rôle était de te soutenir envers et contre tout, explicita Parvati, baissant les yeux. J’ai eu du mal à admettre que j’avais tort, mais j’aurais dû être là quand tu avais besoin de moi… Toi aussi, tu souffrais de cette décision et, même si tu n’es plus la Lavande que j’ai connu à Poudlard, tu restes mon amie… Ma meilleure amie…
Lavande, les larmes aux yeux, ne trouva rien à répondre à cela. La main de Parvati se posa sur celle de son amie. Seamus mit la sienne sur celle de Parvati. Et Dean compléta la pyramide de leurs mains. Comme avant.
Ils prirent un verre, discutèrent de l’instructeur Munch, de ses raisons pour intégrer la brigade, d’Oliver, d’Elias, de Graham, et un peu d’Alessandro à demi-mots. Seamus et Parvati expliquèrent qu’il comptait refaire leur septième année et passer leurs ASPICS une fois la reconstruction de Poudlard terminée, Dean leur parla de ses dernières œuvres, de son envie de les exposer, et de la toile dont il était le plus fier et qu’il avait nommé : « Un bouquet de lavande » en hommage à son amie et au renouveau dans sa vie. Lavande pleura en le prenant dans ses bras.
Cet après-midi là, elle aurait presque pu tout leur dire.
Leur parler de Drago, de leur voyage sur l’île de Skye, de leur envie de mourir, des tableaux d’Ethel, de leur remise en question, de leur relation si étrange, du destin, de leur envie de vivre, du manoir si terrifiant, de sa présence si réconfortante et effrayante en même temps, de ses secrets, de ses fiançailles et de leurs sentiments voués à l’échec.
Leur parler d’Alessandro, de leur rencontre tendue et conflictuelle lors de la première journée de formation, du binôme qu’ils avaient dû former pour réussir à intégrer la brigade de police magique, des pauses déjeuners qu’ils prenaient de plus en plus souvent tous les deux, de ses rires, du surnom dont il l’avait affublée, de ses doigts lorsqu’il effleurait sa peau, et de son attirance pour lui.
Mais Lavande se tut.
Il était trop tard pour leur parler de Drago.
Il était trop tôt pour évoquer Alessandro.