Lavande prit une profonde inspiration, commença à écrire ce qu’elle avait sur le coeur mais s’interrompit après quelques minutes, sceptique. Sur le parchemin, les mots dansaient devant ses yeux et ne parvenaient pas à décrire ce qu’elle ressentait. Insatisfaite, sa plume alla barrer ses phrases les unes après les autres.
Poussant un profond soupir, la jeune femme froissa le papier et l’envoya valser de l’autre côté de la chambre, agacée. Ses formulations étaient trop évasives, ce n’était pas assez déterminé, cela manquait de dignité. Après avoir déroulé un autre morceau de parchemin, elle reprit sa plume et la leva, cherchant une nouvelle fois ses mots. Lavande finit par les trouver et fit rapidement crisser sa plume sur le parchemin. Maintenant qu’elle avait suffisamment de courage, elle ne devait pas reculer.
« Drago,
Revoyons-nous afin d’en finir correctement avec cette discussion, ainsi qu’avec notre relation. Peu importe ce qui a pu nous lier, et nous lie sans doute encore. Retrouve-moi sur la place de Trafalgar Square, côté moldus, mercredi après-midi à 16h. Tu me dois bien ça.
Lavande. »
Cela suffirait amplement. Elle n’était pas certaine qu’il accède à sa demande, et elle n’était pas non plus persuadée qu’il s’agisse d’une excellente idée pour lui comme pour elle, mais elle devait mettre un terme à ce manque qu’il créait en elle, et leur dernière rencontre n’avait fait qu’ajouter des braises sur un feu incandescent.
Pourtant, plus elle passait de temps avec Alessandro, plus il devenait évident qu’il était tout ce qu’elle recherchait chez un homme. Il parvenait à la faire sourire, rire et, sous ses caresses, elle oubliait ses cicatrices. Seulement, il y avait l’autre. L’homme qu’elle ne soupçonnait pas sous le masque. L’homme qu’elle avait appris à connaître dans les abîmes, confrontant leurs traumatismes. Et elle était toujours incapable de l’oublier. Alors, attachant sa missive à la patte de sa chouette hulotte, elle pria intérieurement pour que cette demande ne soit pas une erreur.
***
Finalement, il était venu, et elle sentait son coeur battre à se rompre dans sa poitrine chaque fois que ses yeux gris la dévisageaient. Après s’être retrouvés sur la place de Trafalgar Square, ils avaient convenu de s’installer dans l’un des cafés à proximité. Depuis, le silence s’était imposé et aucun d’eux n’avaient encore eu le courage de le briser.
Drago, assis face à elle, paraissait extrêmement mal à l’aise dans cet univers qu’il ne connaissait pas, et Lavande, se souvenant de ses idées pro-sang-pur et de ses insultes envers les nés-moldus lorsqu’ils étaient adolescents, contempla l’homme qu’il était devenu essayer de se fondre dans ce décor qu’il avait exécré toute son existence. Malheureusement, s’il souhaitait ne pas attirer l’attention, la robe de sorcier qu’il avait revêtue attirait les regards et les murmures.
― Tu aurais dû mettre un pantalon… finit par lui souffler Lavande en se penchant vers lui.
― Je t’avoue que ce n’est pas dans mes habitudes, tout comme le fait de venir dans ce coin-ci de Londres, fit-il à mi-voix. Tu as sûrement oublié qui je suis et de quel monde je viens…
― Un Malefoy imbu de lui-même et de ses origines ? émit-elle d’un ton sarcastique.
Sa réplique lui valut un regard noir, mais elle ne baissa pas les yeux.
― Je sais qui tu es, Drago, martela-t-elle sèchement. J’étais là lorsque tu faisais tes petits sermons écœurants sur les moldus alors que nous n’avions que onze ans. Je sais qui tu étais à l’époque, et je sais qui tu es maintenant. Je sais aussi qui je suis. Je sais exactement qui nous sommes, et je t’interdis de croire que j’ai pu l’oublier ne serait-ce qu’une seule seconde, parce que c’est la raison même de notre présence. Pour tout te dire, j’étais convaincue que tu ne viendrais pas aujourd’hui, que tu trouverais ma demande absurde et que tu n’y répondrais pas…
― Tu ne voulais pas que je vienne ? s’enquit-il sans prendre la peine de rétorquer.
― Un peu des deux, je suppose, répondit-elle dans un sourire triste.
Drago hocha lentement la tête, semblant prendre toute la mesure de sa réponse.
― J’ai hésité à venir, avoua-t-il, fixant un point derrière elle.
― Pourquoi ? interrogea-t-elle.
― Te revoir me donne envie de fuir mes responsabilités.
Ses doigts vinrent caresser ceux de Lavande avec une douceur qu’elle ne lui soupçonnait plus. La tendresse qu’elle avait ressenti avec lui – dans ce baiser d’hiver au sein de ce manoir glacial – semblait ranimer une flamme presque éteinte. Les yeux gris brillaient de cette même lueur de tristesse et de sincérité qui vrombissait dans le coeur de la jeune femme. Cette lueur pleine de promesses et, en même temps, qui les effaçait toutes en un seul éclat dans ses pupilles.
― Mais je ne peux pas faire ça, Lavande. Si je le faisais… je détruirais tout ce que je suis. Ma famille, mon nom, mon héritage. Si je décevais mes parents, si j’effaçais notre seule chance de réhabilitation dans la société sorcière, ma vie n’aurait plus le moindre sens… déclara-t-il tandis qu’une larme roulait sur la joue de la jeune femme. A quoi bon avoir survécu et être revenu de l’île de Skye si je ne m’affronte pas moi-même ? Faire face à ce que ce que mon passé implique est sûrement l’une des choses les plus difficiles que j’ai dû faire au cours de mon existence mais je n’ai pas…
― Le choix, termina-t-elle à sa place, ses doigts venant s’accrocher aux siens. L’as-tu seulement déjà eu ?
***
Ils auraient dû se quitter ensuite, car tout aurait été plus facile s’ils l’avaient fait après avoir terminé ce café. Un adieu sans rancœur pour elle, un choix en toute connaissance de cause pour lui. Seulement, ils furent incapables de se laisser sur ce parvis, de rompre définitivement ce lien qui les unissait. Lorsque l’heure fut venue de s’en retourner chacun de leur côté, elle ne bougea pas. Lui non plus. Statufiés tous les deux au milieu d’une foule d’anonymes.
Et ils restèrent là, sur la place de Trafalgar Square, à se scruter l’un l’autre, à se dévorer mutuellement du regard. Comme pour dire « Ne m’oublie jamais ». Comme pour hurler « Souviens-toi de moi ». Comme pour murmurer « Embrasse-moi une dernière fois ».
Mue par une attraction évidente, immense, imposante, Drago s’approcha d’elle, si près, si près qu’elle pensa qu’il allait l’embrasser ; mais il lui enleva délicatement ses lunettes noires. Il attendit un signe, un geste de refus de sa part, mais elle n’en fit rien, le souffle coupé par l’émotion qu’elle lisait dans son regard. Alors, soulevant le cache-œil qu’elle portait depuis la guerre, il observa chaque trait, chaque cicatrice, chaque marque à jamais laissée sur son beau visage.
L’œil gauche de la jeune femme – aveugle – sembla chercher les yeux gris tant aimés un bref instant. Cependant, après quelques secondes – se sentant honteuse – elle voulut remettre ses accessoires, mais Drago l’attira brusquement dans ses bras et la serra, si fort, si fort qu’il crut pouvoir recoller tous les morceaux de son âme déchiquetée.
― Si j’avais le choix et que je pouvais changer le passé, je revivrais cent fois les tourments de mon existence, juste pour avoir la chance de te croiser dans ce train en partance pour l’île de Skye et ensuite dans cette auberge, chuchota-t-il à son oreille. Mais c’est cruel, pas vrai ? Parce que tu souffrirais aussi et je ne pourrais jamais me le pardonner… Tu ne mérites pas de souffrir pour un être tel que moi, Lavande. Tu n’as qu’une infime idée de ce que j’ai dû faire pour… Tu n’imagines pas le monstre que je…
― Et si je décidais de t’aimer quand même ?
Lavande posa une main sur la joue du jeune homme avec douceur. Les paupières de Malefoy clignèrent, dénotant le trouble d’un papillon de nuit en pleine lumière. En cet instant, elle ressemblait à l’adolescente qu’elle avait été. Cette jeune fille qui pensait trouver le prince charmant en lisant les lignes de la main, du destin. Insouciante, courageuse, incroyable Lavande.
― Tu n’es pas un monstre, Drago Malefoy. Et je t’interdis de croire le contraire.
Les doigts de la jeune femme vinrent caresser la joue mal rasée. Dans les yeux gris, elle traquait les ombres.
― Avant que je parte, tu dois me promettre une chose, souffla-t-elle, la voix tremblante.
― Laquelle ? s’enquit-il, ses mains posées sur ses hanches traçant d’indicibles cercles à travers le tissu de sa robe.
― Si je ne peux pas le faire pour toi, alors promets-moi de t’aimer.
Il la considéra sans un mot, le coeur asphyxié par les sentiments qu’il lui vouait. Cette femme l’avait sauvé de toutes les manières possibles. Et lui, lui n’avait rien fait pour elle, à part l’aimer. Elle lui souriait, et elle était belle. Tellement belle qu’il la rapprocha encore un peu de lui, comme par peur qu’elle ne s’envole avant que ce ne soit le moment fatidique.
― Promets-le, réitéra-t-elle, cherchant son regard.
― Je te promets de tout faire pour essayer.
Elle acquiesça doucement et se détacha de lui. Il eut froid soudain, malgré les rayons du soleil sur sa peau, mais il ne la rattrapa pas. Retarder l’échéance de leur séparation n’était que prolonger la souffrance, en définitive. Lavande remit son cache-œil et ses lunettes noires et lui sourit encore. Une dernière fois.
― Merci pour aujourd’hui.
Il voulait lui dire ce qu'il ressentait, le clamer au monde entier et l’embrasser. Il voulait la garder, l’épouser, la chérir jusqu’à la fin de sa vie, mais il savait que cela reviendrait à la perdre et à la faire souffrir éternellement. Les ombres ne cessaient jamais de le hanter. Ce qu’il avait fait, ce qu’il avait vu, les fantômes de son passé, elle ne méritait pas de les connaître. Elle valait tellement, tellement mieux que ce qu’il pouvait lui offrir. Rester auprès de lui revenait à l’entraîner dans les abîmes d’un enfer qu’il voulait lui épargner.
Il devait se marier avec Astoria Greengrass.
Pour son nom. Pour son héritage. Pour sa famille.
C’était sa destinée, sa malédiction. Son ultime punition.
― J’espère que tu seras heureuse.
― Je le serai, Drago, parce que je décide de l’être, dit-elle, déposant un baiser sur sa joue.
Et Lavande s’en alla, sa robe virevoltant autour de ses chevilles. Et Lavande le quitta en cet après-midi de mai ensoleillé. Et Lavande ressemblait à un papillon paré de mille couleurs, majestueux et de toute beauté. Déterminée à vivre ce qu’il y avait de plus beau dans l'univers, sans jamais regarder vers le passé.
Et Lavande Brown choisit de créer son propre conte de fées.