30 avril 2000
18h10.
Le crépuscule avait pris les couleurs du printemps. Le ciel s'était paré de nuances florales, du jaune tulipe au rose pâle des boutons de cerisier. Quelques teintes de bleu subsistaient, presque effacées, grisonnantes. Sur le balcon, agrippée à la rambarde, Pansy perdait son regard dans cette marée dépourvue de nuages. Dans l'espoir d'y noyer la pointe d'anxiété qui transperçait son cœur par derrière.
Ce qu'elle détestait cette sensation qui la prenait du dos vers le ventre. Elle s'était dit que ça finirait par passer, pourtant, cela finissait toujours par revenir, comme une comptine insupportable. Maintenant que Lavande se remettait, il fallait que ce soit elle qui périclite. Non, quand même, je suis trop dramatique, on n'en est pas là. Elle n'était ni désespérée ni déprimée. Juste soumise à une tension permanente entre son travail au café et sa solitude face à une Lavande qui refleurissait.
— Tu me trouves comment, comme ça ?
Sa voix l'interpela depuis l'autre bout de l'appartement. Pansy se retourna : Lavande se retournait face au miroir pour inspecter sa tenue. Les pans roses et dorés de sa jupe voletaient autour d'elle comme une corolle de pétales en pleine éclosion. Dans son costume de fée, elle était plus vraie que nature. Teint de pêche, boucles parfaites et ongles en dégradé arc-en-ciel.
« Tu devrais sortir, toi aussi », qu'elle lui avait dit.
— Tu es parfaite, comme d'habitude.
Lavande lui servit ce petit sourire timide qu'elle aimait tant. Cet air qui disait qu'elle réapprenait à s'aimer. Pansy le lui répétait toujours : il n'y avait qu'elle qui ne se rendait pas compte d'à quel point elle était belle. Enfin, Lavande allait mieux. Lavande retrouvait sa coquetterie, son inspiration littéraire et sa joie de vivre. Lavande avait retrouvé ses amis, aussi.
Lavande allait mieux, et Pansy se retrouvait sans but, un peu perdue, un peu plus laissée à elle-même chaque fois qu'elle prenait le temps de regarder tout autour. Quand avait-elle autant fait le vide autour d'elle ? Était-ce lorsqu'elle avait été internée au Centre de Réhabilitation Sirona & Panacée que tous ses amis avaient disparus ? Pourquoi n'avait-elle réussi à se lier à personne dans son nouveau travail ?
Il n'y avait que Lavande, l'amour l'amour l'amour, et elle avait oublié le reste.
— Tu es sûre que tu n'es pas triste ? Que je sorte ?
Lavande le sentait, bien sûr. Pansy n'allait pas la retenir. Ce n'était qu'une question d'équilibre à retrouver, pas vrai ? Elles étaient heureuses.
— Non, je ne suis pas triste. Au contraire. Ça me fait super plaisir que tu sortes avec tes potes, même si ce sont d'anciens de Gryffondor.
Elle lui tira la langue pour souligner son ironie. Lavande souffla, soulagée. Et le poids que portait Pansy s'allégea. Bien sûr, qu'elles étaient heureuses.
Tout était simple. N'est-ce pas ?
— En fait, je crois que je vais sortir aussi.
— C'est vrai ? Oh, Pansy, c'est génial ! Tu sors avec du monde ? Ta collègue Min-Ji ? Tes anciennes copines de Poudlard ? Tu vas aller à une fête ? Sur le Chemin de Travers, ou à Édimbourg peut-être ? Oh, j'étais sûre que tu aurais quelque chose pour ne pas rester toute seule !
D'un bond, elle se pendit à son cou. Elle était surexcitée. Pansy n'avait pas réalisé qu'elle se sentait à ce point coupable de sortir sans elle.
— Du calme, enfin, je... Je ne sais pas trop, encore. Je vais voir. Mais vas-y, sinon tes amis vont t'attendre ! Et ne t'inquiète pas pour moi.
Lavande déposa un baiser sur ses lèvres, court et furtif.
— Tu me promets que ça va aller ?
— Oui. Et maintenant, si tu ne sors tout de suite d'ici, je vais devoir te chasser à coup de balai !
*
18h45.
Un ruban rose dans une main, un ruban bleu dans l'autre, Pansy hésitait. Droite ou gauche ? Les deux masques lui allaient à merveille : elle les avait retrouvés au fond d'une malle qui prenait la poussière sous leur lit. Un ramassis d'antiquités et de souvenirs, accumulés au fil des années de leurs vies et empilés sans grand ordre.
Elle n'avait jamais trop aimé se déguiser : dans sa famille, on était fier de son identité et on ne cherchait pas à la dissimuler. Mais il était de tradition, lors de la nuit de Walpurgis, de masquer son visage. Un anonymat pour commémorer les victimes, moldues et magiques, des chasses aux sorcières qui avaient décimé l'Europe. Tradition que même les familles de la haute société observaient avec déférence.
Le devoir de mémoire était un poids que portait toute leur communauté, d'autant plus depuis la fin de la guerre.
Fatiguée de réfléchir, elle jeta les deux fausses figures au fond de la valise et attrapa, à la place, l'un des masques vénitiens de Lavande : le violet qui remontait jusqu'à la racine de ses cheveux et descendait sous son menton. Elle était persuadée que celle-ci ne lui en voudrait pas de l'avoir emprunté. Elle l'ajusta derrière sa tête et regarda son reflet.
Elle ressemblait à n'importe qui, dans sa tenue d'aristocrate italienne. Les manches de sa robe se resserraient au niveau des poignets et bouffait au niveau de ses hanches. Tout le long, des liserés dorés et pourpres brodaient le tissu. Voilà qui ferait bien l'affaire.
Bien décidée à se joindre elle aussi aux festivités du printemps, elle ferma la porte à double tour derrière elle. Dehors, une foule s'amassait déjà dans les rues. Chacun se rendait vers le Portoloin qui le conduirait là où il célèbrerait le début du mois de mai. Et Pansy, elle, savait où aller : un comptoir de transport avait été installé pour l'occasion juste devant le café où elle travaillait. Elle avait eu tout le loisir de lorgner sur l'affiche du festival. C'était le nom de l'événement qui avait achevé de la convaincre : Hexenbreltaine. Le jeu de mot stupide entre « Beltaine » et « Hexenbrennen », l'autre nom de la nuit de Walpurgis, sonnait de façon dramatique et ludique à la fois.
— Bonsoir miss, belle fête de Walpurgis, veuillez prendre un ticket et attendre votre tour, le prochain Portoloin partira dans sept minutes.
Pansy se mit en ligne avec la vague de voyageurs. Leurs déguisements avaient tous quelque chose de classieux : il n'y avait pas de serpent grotesque ni de guérisseuse en petite tenue. Malgré le contexte léger, tous observaient un certain respect.
Si Beltaine, fête héritée de la culture galloise et irlandaise et célébrée le 1er du mois de mai, était avait tout joyeuse et associée au renouveau, la nuit qui précédait se targuait d'un passé plus sombre. La nuit de Walpurgis avait eu sensiblement la même signification païenne, jusqu'à ce que l'Église ne la dénature en une célébration maléfique et ne tue ceux qui l'honoraient.
— Que tous les voyageurs munis d'un ticket entre 150 et 165 se rassemblent autour du Portoloin ! Accrochez vous fermement à l'une des anses... Le départ est imminent !
Pansy sortit de ses pensées et joua un peu des coudes pour prendre sa place. Elle touchait la breloque informe du bout des doigts. Elle l'identifia comme une ancienne théière que l'on avait métamorphosée pour en faire un objet qu'ils pourraient être nombreux à tenir.
— Dix... neuf... huit...
Elle ferma les yeux.
Quand elle les rouvrit, elle se trouvait dans une vaste prairie. Quatre sorcières étaient en charge de l'accueil des visiteurs et on la guida jusqu'à sa destination finale : la colline la plus mythique du Lancashire. Pendle Hill.
— Les festivaliers munis d'un billet valide, sur la gauche ! Pour les autres, c'est à droite !
Fort heureusement, il restait encore quelques places. Il ne s'agissait que de la troisième édition et tout n'était pas parti lors des préventes – sa collègue Min-Ji, dont la demi-sœur faisait partie de l'organisation, lui en avait parlé la veille. Pansy ne prenait pas ses décisions que sur un coup de tête.
— Par ici pour le programme !
Elle se saisit d'un dépliant à la volée. Trois scènes dispersées chacune sur un versant de la colline et un programme de vingt-neuf heures en continu : du 30 avril à 19h jusqu'à minuit le lendemain. Les noms des artistes évoquaient les changements d'ambiance au cours de l'événement : du folk pour commencer avec Silas Verbensort, du rock pour tenir le long de la nuit avec The Spellbound Fury et Adeline Brisevoix, de la musique pop pour le matin avec Elara Luminara.
C'était la première fois qu'elle se rendait à ce genre d'événement : lors de son adolescence, la plupart des festivals de musique et autres fêtes sorcières avaient été annulés à cause de la guerre. Quant à l'après...
Eh bien, il lui avait fallu quelques années, à elle aussi, pour s'en remettre.
Elle n'y connaissait pas grand-chose en chansons, mais elle se dit qu'elle ne perdait rien à découvrir une chanteuse nommée Ariadne Goldenvoice – voix d'or – et prit le chemin du chapiteau Demdike. Ce ne fut que lorsque l'interprète le mentionna qu'elle se rendit compte que le nom de chaque scène rendait hommage à l'une des accusées du procès de Pendle Hill : Demdike, Chattox et Redferne.
*
23h51.
Le flot du public l'avait fait dériver. Elle ne se souvenait plus comment elle était passée de la fosse de Demdike à celle de Chattox, mais elle trouvait que c'était pour le mieux. Ici, pas de bâche tendue au-dessus de sa tête ni de barrière de métal ensorcelées pour l'empêcher de grimper sur l'estrade. Chattox était la plus petite scène du festival : elle n'y verrait pas The Spellbound Fury et n'y sentirait pas les flammes du Brasier de minuit. Non, ici, c'était Arcane Rebellion qui mixait avec Electrocharm – quoi que cela puisse vouloir dire.
Si Pansy n'avait que peu d'expérience musicale en dehors des classiques qui passaient sur la RITM, elle ne risquait effectivement pas de connaître les noms des DJs sorciers qui s'inspiraient de la musique électro des moldus.
Ce qui n'avait pas la moindre importance.
Elle percevait le beat comme tous les autres. Ces boum-boum qui résonnaient jusqu'au creux de sa poitrine, qui la faisait vibrer. Qui lui faisait oublier les gens en sueur autour d'elle, leurs odeurs de transpiration et le fait que leurs peaux humides touchaient parfois la sienne dans un mouvement en-dehors du rythme.
Pansy dansait en shuntait le reste du monde sur les notes synthétiques diffusées par les phono-amplificateurs. Elle fermait les yeux quand elle attendait le drop, les rouvrait pour s'imbiber de la lueur des étoiles. Elle tapait des pieds, sautait sur place, laissait ses bras voguer au gré de pas désordonnés.
Quand le morceau Mystic Pulse se termina par un decrescendo brutal, elle tituba un instant avant de retrouver son équilibre. Comme si c'étaient les notes, aussi, qui la portaient.
— Vous êtes toujours là les Hexen-not-burnt ?
Le vagissement approbatif de la foule indiqua qu'elle se souciait bien peu que la DJ mixe de l'allemand et de l'anglais dans ses phrases. Ils étaient les sorcières-pas-brûlées, peu importait la langue.
— Wunderbar. Il est presque minuit et ça va être le moment du feu de joie sur la grande scène. Si vous voulez jeter votre Incendio, vous avez encore le temps d'y aller. Pour les autres, on va se mettre un petit son plus calme pour continuer à danser en attendant la tödliche Stunde.
Une mélodie plus douce, toujours rythmée mais moins chargée en basses et en percussion, résonna. Pansy hésita un instant alors que de nombreuses silhouettes passaient tout autour d'elle pour rejoindre l'emplacement du Brasier de minuit. Elle décida, malgré tout, de ne pas bouger. Elle verrait les flammes de là où elle était. Elle avait déjà trop chaud, après tout...
La clairière dans laquelle elle se trouvait se vida peu à peu. Dans la nuit, elle pouvait apercevoir les silhouettes sombres qui s'agglutinaient un peu plus haut. Des couloirs en trou-de-ver permettaient aux participants de se déplacer plus vite d'un site à l'autre. Au pied de la colline, un espace de repos avait été érigé sur les berges de l'Ogden Clough, le ruisseau de Pendle.
Mais elle n'était pas encore fatiguée, oh, non, pas du tout. Elle referma les paupières pour se concentrer de nouveau sur la musique. Son corps ondulait en harmonie avec lui-même et rien d'autre. Elle était peut-être ridicule à regarder mais ça n'avait pas la moindre importance. Elle se sentait bien.
Quand elle regarda à nouveau autour d'elle, il n'y avait presque plus personne.
— On va devoir couper le son le temps du Brasier, annonça Arcane Rebellion dans le micro, pour éviter de surcharger les ondes et de risquer de tout faire péter. On revient dans quelques instants après que...
Un grésillement l'interrompit et arracha un soupir au faible public qu'il lui restait. Le Brasier était le premier point culminant du festival, avant le Ballet des fées du lendemain midi et la Danses des rubans de l'après-midi – et tant pis si cela mettait en pause tout le reste.
Pansy resta immobile un instant, en équilibre sur un pied, hésitante. Elle n'avait pas la moindre envie de rejoindre la scène principale. Finalement, elle imita les personnes tout autour d'elle qui s'asseyaient à même le sol. Derrière elle, deux d'entre elles maugréaient à voix haute :
— C'est toujours pareil, y'en a que pour leur délire de tout faire cramer.
— C'est la tradition, Mo, tu sais bien que...
— Eh bah c'est une tradition débile.
La dénommée Mo leva les yeux au ciel. Elle retira son masque pour s'essuyer la figure et remarqua le regard en biais que Pansy lui lançait.
— Je sais qu'il faut le garder jusqu'à minuit, grogna-t-elle de plus belle. Mais comme je trouve aussi que c'est une tradition stupide, et qu'il fait chaud...
— Mo n'a pas beaucoup de respect pour les traditions.
Pansy sourit, bien que les deux autres ne puissent pas voir son visage.
— Oh, je m'en remettrai, assura-t-elle. À vrai dire, je n'aime pas trop les traditions poussiéreuses non plus.
— On va bien s'entendre, alors. C'est ta première fois ici ?
— Je... Oui. Ça se voit tant que ça ?
— Pas vraiment. Mais tu es toute seule et, quand on est venu une fois ici, on aime en général tellement qu'on finit par ramener du monde.
Mo tapa sur l'épaule de son acolyte pour appuyer son propos. Pansy n'eut pas le temps de leur poser plus de questions : des hurlements déchaînés couvrirent toute conversation. Il était minuit et, selon la tradition, l'heure du feu de joie.
Au sommet de la colline, le « feu de Bel » brillait plus fort que les étoiles.
*
2h17.
Elle avait oublié le nom de l'artiste.
Elle avait oublié quand elle avait bu pour la dernière fois, là où elle avait rangé sa baguette et le fait qu'elle devrait travailler le surlendemain.
Elle avait oublié tout le reste de sa vie pour se perdre dans la cadence et se fondre dans les pas de Mo. Et, surtout, de la personne qui accompagnait Mo.
Elle n'avait toujours pas pu lui demander son prénom.
— Je pars sur Demdike, indiqua Mo en consultant sa montre. HexGroove commence sa session dans dix minutes et je ne veux pas en louper une seconde.
— Je vais rester ici, moi.
Sa voix était un peu étouffée. Tandis que Mo et Pansy avait toutes deux découvert leurs visages passé minuit, le dernier membre de leur trio nouvellement formé ne s'en était pas débarrassé. Mo n'avait pas commenté, alors Pansy non plus.
— Je... Je reste aussi, balbutia Pansy.
— Ok, ciao les nullos.
Mo leur envoya des baisers du bout des doigts avant de se précipiter vers le fond de la fosse.
Pansy frissonna. Maintenant qu'elle se retrouvait seule avec l'inconnu, c'était à peine si elle osait se retourner...
— T'as froid ?
Elle releva les yeux, osa détailler sa silhouette. Il y avait quelque chose qu'elle ne comprenait pas. Quelque chose qui lui donnait envie de se jeter dans les bras de cette personne et de s'enfuir à la fois.
— Ouais, un peu.
— Au début de la nuit, ça va encore, mais à cette heure-là... c'est pour ça que c'est un peu craignos, les festivals de printemps. Difficile de tenir jusqu'à la fin, hein ? Viens, je vais te réchauffer.
Les yeux illuminés, Pansy se glissa dans ses bras ouverts. Son oreille contre sa poitrine, elle entendit son cœur battre en rythme avec le sien.
Ses joues s'embrasèrent dans le noir alors que leurs deux corps se calaient sur le même balancement. La mélopée les enveloppait et Pansy grelotta un peu moins. Ou était-ce à cause de cette chaleur intense, tout d'un coup, au milieu de son ventre ?
Troublée, elle manqua un pas et trébucha. Des mains solides la rattrapèrent.
— Tu es fatiguée ?
Elle aurait voulu mentir. Elle aurait voulu avoir encore l'énergie de danser des heures, blottie contre ce corps inconnu qui lui paraissait pourtant familier, contre cette douceur rassurante. Mais Pansy ne savait pas, ne savait plus mentir.
— Je crois, oui.
— Tu peux aller te coucher, si tu veux. Et retrouver Mo demain matin.
— Je... Tu veux bien venir avec moi ?
Elle s'empourpra de plus belle et baissa le regard vers ses chaussures maculées de boue.
— Parce que je ne... Je ne connais pas trop, le festival, et tout ce...
Un rire chantant accueillit ses balbutiements gênés.
— T'inquiète. Moi non plus, j'en peux plus. Partons donc à la découverte du camping, on risquera moins de se perdre, à deux.
*
2h48.
Il avait été plus facile que prévu de se trouver une place pour se reposer. Les tentes dotées de sortilèges d'extension invisible constituaient de véritables hôtels et en quelques minutes seulement, on les installa dans une chambre fermée qui filtrait le bruit. Le sortilège de Son-Clair leur permettait de profiter des bruissements du vent dans les branches au-dessus de leur lit et des hululements des oiseaux nocturne, tout en les isolant des concerts bruyants.
La magie était bien utile, dans ce genre de situation.
À leurs pieds, il n'y avait qu'un seul très grand matelas.
— Je pensais qu'on pourrait dormir séparés. Mais si ça ne te dérange pas...
— Non, ça ne me dérange pas.
Pansy avait parlé un peu trop vite et, pour masquer sa propre confusion, elle se jeta entre les cousins. L'autre s'allongea à ses côtés et éteignit la lumière de la bougie, avant de retirer enfin son masque.
Dans l'obscurité, Pansy ne distinguait pas ses traits.
— Je peux te faire un câlin ?
Elle se surprit elle-même par son audace. Était-ce la fatigue qui la rendait si brave ? Les notes qui imprimées sur ses tympans qui résonnaient encore dans son crâne et l'étourdissaient ?
Elle ne pensait plus à hier ni à demain. L'instant présent occultait tout le reste.
— Allez, viens là, Pansy.
Elle se nicha sur son épaule.
— Je t'ai dit mon prénom ?
Elle ne s'en souvenait pas.
— Non.
— On se connaît ?
— Oui. Mais mon prénom à moi, il a changé, depuis la dernière fois qu'on s'est vus. Et mon apparence un peu, aussi.
— Pourquoi ?
— Parce que j'ai arrêté de faire semblant d'être un garçon alors que je ne le suis pas.
— D'accord.
Il y eut un instant de silence. De flottement.
— C'est Teddie, maintenant. Et j'utilise le pronom « iel » avec des accords neutres.
Et à la mention de ce prénom, Pansy fit le lien. Teddie. Ces boucles brunes, ce parfum sur sa peau, fragrance de musc et d'hellébore.
Comment avait-elle pu ne pas reconnaître Nott ?
— C'est joli, Teddie.
— C'est mon prénom, pas un surnom.
— J'ai bien compris.
— Et ça ne te perturbe pas ?
Pansy haussa les épaules et en profita pour rajuster la position de sa tête contre sa poitrine.
— Pourquoi, ça devrait me perturber ?
— Tu connais beaucoup de personnes trans non-binaires, Pansy ?
Elle répondit par un silence qui se suffisait à lui-même. Elle ne connaissait pas ce mot-là. « Trans », oui, mais « non-binaire », c'était la première fois qu'elle l'entendait. Le terme était à la fois nouveau et évident à décrypter, dans le contexte.
Teddie Nott lâcha un soupir fatigué.
— Il n'y a pas beaucoup de sorciers qui connaissent quoi que ce soit à la transidentité. Encore moins à la non-binarité. Alors, oui, la plupart sont perturbés quand je leur explique que j'ai changé de prénom.
— Avec ma copine, on va à des rencontres LGBT+ tous les mois. J'imagine que ça aide à mieux comprendre.
Sa copine. Elle avait dit ces mots par automatisme et sa conscience parut se réveiller. Sa copine. Lavande. Sa Lavande. Elle avait une copine.
Quelque chose d'acide lui passa le long du sternum. Sa copine, qu'elle aimait de tout son cœur. Sa copine qui lui manquait toujours dès qu'elles étaient séparées ; sa copine qui lui manquait, d'ailleurs, ce moment-même.
Alors pourquoi diable avait-elle envie d'embrasser Teddie Nott ?
— Je vois. Je... Tant mieux.
L'étreinte se resserra avec douceur autour d'elle.
— Bonne nuit, Pansy.
— Bonne nuit, Teddie.
Malgré les tressautements de son cœur et le mélange de désir et de culpabilité qui l'oppressait de toute part, Pansy sombra dans un sommeil agité.