- Ça va Lavande, tu as l’air dans la lune ?
- Un peu ironique venant de la part de quelqu’un qui s’appelle Luna non ? Répondit Pansy.
Ses amies ne s’en formalisèrent pas. Elles avaient l’habitude de l’humour un peu grinçant de Pansy, qui pouvait passer pour du sarcasme quand on ne la connaissait pas.
- Seamus m’a demandé en mariage.
- Quoi ? S’exclama Pansy.
- Quand ? S’enquit Parvati.
- Comment ? Demanda Luna.
- Ce matin, lors de notre promenade répondit Lavande la tête toujours dans les nuages et les yeux dans le vague.
- Tu n’as pas l’air si enthousiaste que ça Lav, tu es sûre que ça va ? Normalement, tu aurais dû sauter de joie. À Poudlard, déjà, tu imaginais ce qui allait être un des grands moments de ta vie.
L’expression de joie qui s’était peinte sur le visage de Parvati à l’annonce de son amie, c’était transformé en perplexité.
- Il n’a pas fait ce qu’il fallait c’est ça ? Demanda Pansy toujours aussi abrupte.
- Non, c’était parfait, murmura la jeune femme.
Suspendues à ses lèvres, ses amies attendaient la suite.
Pansy essayait de lorgner à l’annulaire gauche de son amie, mais il était caché par sa main droite qui reposait dessus. Et puis elle aurait dû la voir cette bague non ? Lavande n’aurait pas pu s’empêcher de mettre en valeur son doigt nouvellement couronné. Mais il n'y avait pas eu de gros diamants, et de grande annonce. Il y avait seulement les demi-mots de Lavande et l’incompréhension de ses amies.
Que s’était-il donc passé ce matin ? Lavande avait-elle dit non ?
C’était un matin de printemps. Une de ses journées où les tourterelles chantaient, le soleil brillait doucement et l’air vif encore froid de l’hiver vibrait de fragrances nouvelles, à moins que ça soit de pollen. C’était ces jours-là que Lavande préférait. De minuscules fleurs s’épanouissaient dans la prairie en contrebas du ruisseau, qu’elle entendait de la véranda. Partout ce n’était que camaïeux de verts, le vert tendre des feuilles nouvelles des arbres, le vert vif de l’herbe nouvelle, le vert translucide des insectes qui couraient sur les buissons et le vert de ses chaussures trempées de rosée. Par endroits, des fleurs offraient un peu de contraste, jaune vif des jonquilles, orange flamboyant et rose fuchsia des tulipes, rose tendre et violet pastel des campanules, beige translucide des narcisses.
Le printemps était sans conteste sa saison préférée. Elle avait l’impression de renaître avec le retour des beaux jours.
Et puis qui disait beaux jours disaient vide grenier, elle adorait chiner. Trouver la théière parfaite, le mug qu’elle n’avait pas dans sa collection. Seamus connaissait son amour pour ces moments, on était un samedi matin et ils avaient pris le sentier qui menait de l’auberge des gens brisés, où ils vivaient, au village en contrebas.
Une fois l’allée de grand arbre passé, ils s’engagèrent dans le sentier qui s’étirait au milieu de la lande des Moors. À l’ombre, il faisait encore froid, un frisson traversa Lavande. Mais heureusement, même si le temps était doux, elle n’avait pas oublié d’emporter un de ses châles colorés. Comme disait sa grand-mère « en avril ne te découvre pas d’un fil, en mai fait ce qu’il te plaît » .
Main dans la main, ils regardaient la campagne en pleine éclosion tout autour d’eux. Ils aimaient ces moments tout doux où ils n’avaient pas besoin de se parler. Le silence n’avait jamais été un problème entre eux. Au milieu du gué qui traversait le ruisseau qui balafrait le sentier, ils prirent le temps de s’arrêter. C’était le propre du printemps, on avait l’impression d’avoir le temps, et ils le prirent. Ils étaient jeunes, amoureux, ils renaissaient et ils avaient le temps. C’était un de ces jours où la vie souriait aux insouciants. Ils avaient laissé loin derrière eux la guerre, les cauchemars, la dépression et leurs peurs, du moins pour aujourd’hui. Là, accroupie au-dessus du ruisseau, la main dans l’eau encore glaciale, Lavande essayée de capturer les têtards qui grandissaient dans les trous creusaient dans le sol. Elle riait quand l’un d’eux venait lui caresser la main et Seamus amusait la regardait avec des étoiles plein les yeux. De temps en temps, il dégageait de son visage une grande mèche de cheveux qui cachait l’olivier qui fleurit sur sa joue gauche. Ce tatouage, il l’aime, il est né ce jour-là, au milieu d’un tribunal, au milieu de la douleur, de la rédemption et de l’amour. Il est né le jour où Lavande à affronter Greyback, où ils se sont retrouvés. Ce tatouage, c’est le plus beau de ceux qui parsèment le corps de Lavande et subliment ses cicatrices, son âme de Gryffondor. Elle était belle Lavande quand elle souriait, quand son tatouage s’étirait, avant elle n'aurait jamais osé par peur de se défigurer encore plus. Mais maintenant, quatre ans plus tard, elle s’en moquait totalement et elle souriait de toutes ses dents.
Il faisait beau, ils étaient jeunes, amoureux et c’était le printemps. Alors, insouciant, Seamus plongea sa main dans l’eau et déposa dans celle de Lavande, en prenant garde de ne pas écraser les têtards, une bague. On en était en avril 2002, la guerre derrière eux et Seamus avait envie d’avancer. De croquer l’avenir, de commencer la saison préférée de Lavande avec un beau souvenir.
- Tu nous montres la bague demanda tranquillement Luna.
Comme prise par traîtrise Lavande sursauta. Avant de montrer ses mains obstinément vides.
- Je lui ai dit que j’avais besoin de réfléchir bredouilla-t-elle en baissant les yeux.
Mais ce qu’elle ne disait pas, ce qu’elle taisait, c’était la petite voix qui lui murmurait que si elle devait réfléchir c’est que ce n’était pas le bon. Que ce n’était pas comme ça normalement qu’on accueillait une demande en mariage. Qu’elle aurait dû sauter de joie, et ne pas rester là, la main dans l’eau, la bague ornée d’une améthyste au creux de la paume et Seamus qui se décomposait tandis que les secondes passaient.
Elle était perdue. Elle avait eu envie de dire oui. Mais la petite voix, celle qui était toujours là depuis cette nuit fatidique lui chuchotait qu’elle ne pouvait pas l’épouser. Qu’il ne pouvait pas s’unir à un monstre comme elle. Qu’elle était souillée, déchirait par les crocs de Greyback et qu’elle ne pouvait pas s’imposer à tout jamais dans la vie de Seamus. Il avait droit à mieux. Elle ne le méritait pas. Elle ne pouvait pas le condamner à une vie de misère, de cauchemars, de sautes d’humeur à chaque pleine lune. Il valait tellement mieux. Eux deux ce n’était qu’une parenthèse, mais qu’un jour elle serait assez forte pour le laisser partir. En attendant, elle était égoïste.
Cette petite voix, elle était toujours là alors qu’elle parlait à ses amies, qu’elle les entendait lui demander pourquoi elle doutait. Qu’elles lui expliquaient les qualités de Seamus. Qu’ils étaient adorables ensemble et que Seamus l’aimait vraiment. Pendant tout ce temps, dans sa tête, la voix lui répétait qu’elle était hideuse, horrible, une abomination. Elles se trompaient, ce n’est pas Seamus qu’elle rejetait, mais elle. Elle n’était pas la fille qu’elles voyaient. Ils méritaient tous mieux qu’elle. Tout allait bien jusque-là, elle pouvait se convaincre que tout allait bien. Mais il avait suffi de cette petite bague, de cette nouveauté dans l’équation, dans sa vie, pour que la voix se remette à chuchoter, à souffler, sur les braises de ses angoisses.
- Lavande, la main de Parvati la ramena dans le présent, tu n’as quand même pas dit non parce que tu penses que c’est toi le problème ?
Ses yeux devaient s’être éteints, car ses amies lui prirent toute la main. Et l’une après l’autre elles entreprirent de citer une qualité qu’elles aimaient chez elle. C’était le jeu qu’elles avaient inventé Parvati et elle lorsqu’à Poudlard l’une d’elles se mettait à se déprécier.
- Tu es franche commença Parvati.
Cela fit sourire un petit peu Lavande, on le lui avait souvent reproché, mais Parvati avait toujours dit que c’était plus grande qualité.
- Tu es une amie fidèle renchérit Pansy.
C’est vrai qu’avec elle l’amitié c’était pour toujours. Elle était prête à gravir les cieux pour ceux qu’elle aimait.
- Tu es pétillante assena Luna.
Il n’y avait que Luna pour trouver de pareils adjectifs pour la qualifier. Mais c’était un très beau compliment.
- Tu es fleur bleue et venant de moi, c’est quelque chose rigola Pansy la pragmatique.
- Tu es courageuse lui rappela doucement Luna la combattante.
- Tu es, commença Parvati l’optimiste.
- Tu es parfaite, pour moi, tu es parfaite, la coupa Seamus dont la silhouette se découpait dans l’embrasure de la porte.