La main de Daphné effleure la vieille pierre familière. Sa gorge se serre et les larmes lui montent aux yeux. Elle les chasse en clignant rapidement des paupières – elle déteste pleurer en public. Peu importe les circonstances.
Tout est différent et similaire à la fois. Les quatre sabliers sont toujours là, au fond du hall, mais ils n’ont plus le même aspect qu’autrefois – ils ont été reconstruit, après la bataille. Des sortilèges avaient éparpillés rubis, émeraudes, saphirs et topazes sur le sol. En tout cas, c’est ce qu’on lui a dit. Elle n’était pas là, elle. Avec les autres Serpentard, elle était partie. Comme une lâche.
Ils avaient préféré tout reconstruire, plutôt que de réparer. Trop de douleurs, trop de souvenirs. Ses yeux attentifs voient bien quels endroits ne sont plus les mêmes qu’avant. Elle les connaît par cœur, ces couloirs, ces tableaux, ces armures. Elle a passé sept ans de sa vie ici, et malgré le mépris des élèves des autres maisons le jour de la bataille, elle a aimé ce château. Comme une seconde maison.
— Daphné ?
Une larme s’est glissée sur sa joue. Elle l’efface de la paume et se tourne vers Tracey, qui se tient en bas des escaliers. Son expression est neutre, son dos droit – comme toujours lorsqu’elle essaye de dissimuler ses émotions. Elle aussi est émue, même si elle le cache.
— Désolée, je… J’arrive.
Daphné traverse le hall et la rejoint. Elle ne pensait pas être aussi touchée par ce retour dans son passé d’écolière. Elle glisse sa main dans celle de Tracey et ensemble, elles montent jusqu’aux portes qui mènent à la Grande Salle.
Une nouvelle fois, Daphné sent sa gorge se nouer. Elle s’arrête un instant, incapable de continuer, submergée par ses émotions. Tracey la couve d’un regard inquiet et presse ses doigts un peu plus fort entre les siens.
— Tout va bien ?
Sa voix douce lui sert de point d’ancrage. Elle ferme un instant les yeux, prend une profonde inspiration.
— Tu te souviens de ce soir-là ? demande-t-elle, sa voix réduite à un murmure.
Elle n’a pas besoin de préciser de quel soir elle parle. Tracey comprend, elle la sent se crisper légèrement.
— Bien sûr.
— Tu y repenses, parfois ?
Question bête, elle le sait. Depuis les années, elle a appris à la connaître. Après un bref silence :
— Non. Je n’aime pas regarder en arrière.
Daphné hoche le menton, compréhensive, et laisse échapper un soupir.
— Moi non plus, en tout cas pas vraiment. J’en fais des cauchemars parfois. Je me souviens du passage… Ce long boyau noir, entre la Salle sur Demande et Pré-au-Lard. Le danger vers la liberté et la sécurité. Je… Je me rappelle ma course effréné, mon cœur qui battait si fort, mon sentiment de lâcheté mais totalement écrasé par ma peur. On ne voyait rien, on se cognait les uns aux autres, on avait peur et froid. J’ai eu l’impression que ça a duré cent ans.
Daphné se tait, à bout de souffle, Tracey ne répond pas – elle préfère ne rien dire plutôt que de sortir des platitudes.
— Tu penses qu’il existe toujours ?
— Le passage ?
— Oui.
— Il a été détruit pendant la bataille.
— Bien sûr…
Un souffle, qui se perd dans un murmure de bruits en provenance de l’extérieur. Daphné a voulu arriver en avance, pour s’imprégner de l’endroit, de ses souvenirs, de ce château dans lequel elle n’a pas remis les pieds depuis presque trente ans. A cet instant, leur bulle se fissure. Plusieurs silhouettes se dessinent à l’extérieur, traversant le parc jusqu’aux portes d’entrée grandes ouvertes.
Ce soir, c’est la commémoration de la guerre, et c’est la première fois que Daphné a tenu à être présente. Elle ne sait pas trop à quoi ça tient. Les souvenirs, les remords, le sentiment d’avoir enfin fait la paix avec elle-même et son passé.
Elle n’était qu’une adolescente terrifiée, il n’est pas étonnant qu’elle ait fuie quand on lui a offert l’opportunité – ce n’était pas de la lâcheté, c’était de l’instinct de survie.
Dans ses pensées, le souvenir du passage obscur s’éloigne. Elle se sent plus apaisée – un tout petit peu.
Elles sont rejointes, dépassées par plusieurs personnes. Tracey reste là, à ses côtés. Elle lui tient la main. Daphné se dit, un peu absente, que Blaise n’aurait jamais accepté de l’accompagner ici – elle chasse vite cette pensée. Blaise ne fait plus partie de sa vie.
Avec un sourire plus confiant, elle se tourne vers Tracey.
— Allons-y. Je suis prête.
Elles franchissent les portes de la Grande Salle ensemble, main dans la main, indifférente aux regards plus surpris qu’autre chose des Gryffondor, Poufsouffle et Serdaigle de leurs années Poudlard. Celles et ceux qui ont l’habitude de venir chaque année. Elle s’attendait à de l’animosité, de la colère, mais il n’y a qu’étonnement dans leur regard.
Et une lueur de paix qui lui fait du bien.