Hestia s’estima satisfaite. Dans l’ensemble, la plupart des personnes de l’Ordre qui l’avaient vue et reconnue telle qu’elle était – femme, d’apparence féminine, de prénom féminin – à l’enterrement de MacDonald n’avaient fait aucun commentaire particulier. Une partie n’était pas venue, une autre pensait qu’elle était de la famille de MacDonald.
Il avait fallu faire une garde rapprochée pour sa famille, et rester digne malgré le danger et la douleur.
La tristesse des parents de MacDonald était déchirante. Parfois, lorsqu’ils se calmaient, tout d’un coup, leurs sanglots reprenaient de plus belle, comme de grosses averses d’été lorsque le ciel peine à tonner. Sa copine MacKinnon, dont on ne voyait plus la tête tant ses pleurs la portaient vers la terre, était littéralement portée par son grand ami Black, qui jouait souvent les insensibles mais dont le nez reniflait actuellement toutes les cinq secondes. Evans, maladivement pâle, était soutenue par son mari.
Toute ce désespoir accumulé était lourd émotionnellement, et bien qu’elle n’était pas particulièrement amie avec la célébrée du jour, Hestia se sentit étreinte au fond de sa poitrine. Elle lui devait un prénom – à moins qu’elle n’ait choisi cette proposition pour lui rendre hommage. Dans tous les cas, elle avait bien été nommée par MacDonald.
Toutefois, Hestia conservait un certain recul, probablement parce que c’était la première fois qu’elle se présentait sous son vrai jour devant ses camarades de l’Ordre, et dernière fois d’ailleurs. Il était vrai que l’apparence garçonne dont la vie l’avait précédemment affublée avait un avantage considérable : Hestia pouvait marcher chaque jour dans la rue sans craindre de se faire alpaguer par un partisan du mage noir. Elle craignait aussi moins les agressions transphobes depuis qu’elle se faisait entraîner par les Aurors du Ministère, mais ceci était une autre histoire.
Ce fut seulement à la fin de la cérémonie, alors qu’ils sortaient tous du cimetière, qu’elle remarqua l’adolescent entre les parents de MacDonald. Ce fut comme un couteau dans son cœur, la goutte de trop. MacDonald laissait derrière elle des parents, ce qui était déjà inhumain, mais alors un petit frère de quinze, seize ans au jugé… Le garçon ressemblait un petit peu à Mary. Ou bien c’était elle qui voyait cette ressemblance, cherchant le visage enterré là où il n’était plus qu’un souvenir… Saleté de guerre.
Dumbledore lui-même raccompagna la famille.
« Je vais au café du coin, annonça Black. Je ne peux pas rentrer maintenant, là, et je veux quitter ce lieu au plus vite, je suis désolé mais je déteste tout ça, surtout pour elle. »
Hestia trouva que c’était une bonne idée, elle n’avait pas envie de rentre au Havre, où personne ne connaissait cette autre facette militante de la jeune femme. Au Havre, on se préoccupait uniquement de luttes pour les droits des personnages LGBTI, le temps requis occupait déjà tout le temps du Havre, et c’était tant mieux puisque c’était sa raison d’être. Alors, Hestia n’avait pas trop envie de s’en retourner si vite, et ce d’autant plus qu’elle savait que, pour le moment, elle serait incapable de raconter sans pleurer de tristesse comment elle avait trouvé son prénom.
Hestia aurait voulu en pleurer de joie mais la guerre des Sorciers jetait des voiles noirs sur toutes les célébrations. C’était aussi pour ça qu’elle se battait ici.
Black, Pettigrow, la sœur Prewett et elles prirent une table au fond du café alors que des premières gouttes de pluie commençaient à mouiller le trottoir. D’autres gens de l’Ordre se placèrent au bar ou ailleurs. Dehors, MacKinnon était désormais assise contre le mur de l’immeuble d’en face, Evans lui caressait les cheveux, d’un air absent, celui des gens trop épuisés d’avoir pleuré. McGonagall tenait le bébé Potter entre ses bras, le temps que Potter fasse transplaner les filles.
« C’est comme si Mary était d’accord pour qu’on aille se terrer ici, et qu’elle signalait sa présence en nous rendant nos larmes, reprit Black.
— Trope très, très usité, mais ne nous fais pas pleurer pour autant avec, répondit Pettigrow.
— Trope ? demanda Hestia.
— Figure de style qui, en utilisant un mot dans un sens différent de son sens littéral, permet de donner des images mentales, souvent afin de renforcer ce que le texte veut communiquer.
— Tu fais de la littérature ? demanda Hestia, se rendant compte qu’elle ne savait vraiment rien de ses camarades de l’Ordre.
— Non, non, je suis un peu en errance, je n’ai rien fait comme étude après mes Aspics. J’adore la poésie et je voudrais vivre de ma plume, mais plus personne ne lit vraiment de la poésie.
— Il n’y pas de mauvais rêve, intervint Prewett sœur. Et pas de mauvaise lecture.
— En l’espèce, pour pouvoir en vivre, il faudrait que je me fasse connaître, éditer, acheter, beaucoup de choses, et rien qui ne se fasse correctement actuellement avec la guerre.
— Moi je lirai tes poèmes, déclara Black. D’abord, les chansons de rock sont aussi des poèmes. »
Tous sourirent.
« Et enfin, dans les familles Sang-Pur les plus rétrogrades, l’art n’a pas sa place du tout.
— Tu te positionnes beaucoup par rapport à ta famille, remarqua Hestia.
— En général, mon instinct me dit que c’est la bonne voie à suivre, en effet. »
Hestia ne répondit rien. Elle avait des raisons de comprendre ce qu’il disait. Ses yeux partirent dans le vague, plus ou moins entre la tête de Black et de Prewett sœur, cheminant sur les lambris marquetés du mur. Elle songeait au gamin désespéré de la sortie du cimetière. Aux gamins désespérés du Havre. Le Havre…
Flûte !
Elle s’était beaucoup investie dans l’Ordre en contrecoup à ce qui s’était passé avec MacDonald. Elle en avait oublié une tâche militante pour le Havre, pour le jour-même.
« Pettigrow, parles-tu français ?
— Oui.
— Ils parlent tous français, c’est incroyable, marmonna Hestia en aparté.
— Héritage Sang-Pur rétrograde, mais je n’irai pas jusqu’à renier l’apprentissage de cette langue qui a un petit charme discret, intervint Black.
— Dis plutôt que tu t’en sers pour draguer des Françaises, fit remarquer malicieusement Pettigrow.
— Il habite dans une maison que lui a léguée un oncle, en France, contextualisa Prewett sœur à l’attention de Hestia. »
Hestia la remercia bien sincèrement d’un sourire. Elle aimait bien cette femme, elle la sentait absolument ignorante sur tout un tas de sujets, mais aussi la bonté même, tolérante, bienveillante, incapable de vouloir du mal à n’importe qui, même si n’importe qui est différent. Ainsi, Hestia aurait aimé que toutes les mères du monde soient des sœurs Prewett.
« Alors, j’ai une requête, Pettigrow. »
Hestia choisit ses mots avec soin. On savait depuis quelques mois qu’il y avait un traître dans l’Ordre. Elle ne voulait pas signer l’arrêt de mort du Havre pour un instant de complaisance.
« Peu importe comment cela m’est venu, une association de soutien française a lancé un appel à textes afin de préparer un grand livre international des fiertés sorcières transgenres. Je dois donc en écrire un. Evidemment, on peut rendre le texte dans notre langue natale, mais après il faut faire de la traduction, ça prendra du temps aux Français, d’autant que le travail est intégralement bénévole… J’ai répondu, mais je pense que tu travailles ton style et tes constructions, donc ça sera forcément mieux que ce que je ferais toute seule.
— Tu préfères que j’écrive directement un texte en français, c’est ça l’idée ?
— Oui.
— Ce sera un poème.
— C’est très bien, ça ne doit être ni trop long ni trop court.
— Il y aura mon nom ?
— Je ne sais pas, tu viens de dire que tu veux te faire connaître et que c’est dur avec la guerre, non ? Il n’y a pas de guerre en France. Tu pourras signer Peter Pettigrow, poète anglais. »
Pettigrow regarda Black, l’air un peu perdu.
« Ca me paraît judicieux d’être d’accord avec Jones, souligna ce dernier. »
Les clients aux autres tables commençaient à partir. La sœur Prewett culpabilisa pour ses enfants, mais Black la retint par le bras et elle avoua qu’elle avait très envie de lire le poème de Peter, et qu’elle pourrait donner son avis de personne qui n’y connait rien.
« Par conséquent, tu restes. »
Elle capitula.
Pettigrow demanda à Hestia des éléments pour mieux comprendre les luttes et la colère. Puis, il sortit un parchemin et une plume, et s’attela à la tâche. Il ratura, griffonna, reprit ses phrases, des mots, chuchota parfois, et demanda aussi une ou deux précisions à Sirius concernant le vocabulaire ou la grammaire.
Ils lurent ensemble sa production, en discutèrent, la sœur Prewett donna son avis, Black le sien, Pettigrow fit aussi son autocritique, Hestia eut le privilège de trancher, bien qu’en fin de compte le progrès fut collectif.
Trois mois plus tard, Hestia ramena à une réunion de l’Ordre un exemplaire de l’ouvrage. Elle avait bien choisi son moment ; McGonagall leur expliqua qu’on n’allait plus jamais revoir les Potter jusqu’à la fin de la guerre. Sans explication. Au moins, ils étaient vivants, eux. Il n’empêche que l’information était déroutante.
Les trois amis de Potter faisaient donc grise mine à dessein.
« Salut, Ed, fit Black. »
On restait là-dessus, d’ailleurs – à la demande de Hestia. Rester Edgar Jones pour l’Ordre impliquait d’être appelée régulièrement Edgar. Ed était toujours mieux, car pouvait tout aussi bien être le diminutif de son nouveau deuxième prénom Edeline, tout en restant relativement ambigu. C’était une sorte d’attention de la plupart des gens qui avaient compris qui avait été cette femme pas inconnue à l’enterrement de MacDonald.
Hestia tira une chaise et s’assit à côté de Pettigrow. Elle regarda autour d’elle, personne ne faisait attention à eux. Les gens devaient peut-être même croire qu’elle se sacrifiait pour aller oser demander des nouvelles des Potter à ses amis. Elle tira de son sac le livre, en tourna les pages.
« Regarde, Pettigrow, ton premier poème publié !
— Félicitations, Peter ! congratula Lupin. »
Black apprécia le texte en silence et hocha la tête, dans un mouvement de satisfaction, en direction de son ami.
« Merci Jones, balbutia Pettigrow, et merci les gars. »
***
Smash the cis-tem.
You throw the bottle of wine, and the noise splatters you. You listen to a summer storm, and the noise rumbles you. You walk on gravels roads, and the noise blunts you. Your senses yearn to be at one with the world.
I live in dissonance. She or her. He or his. His or she. Her or he. They – in the sky.
That is the melody that bends me and twists me and makes my mind grow in harmony.
I dance alone in the town square while umbrellas, caught on the wind, fly off to a different somewhere. I stand restless at the edge of this departure. Suddenly a bow curves with me in front of the railway platform, happiness.
Your senses rise towards the sky as you yourself rose with the banner. In the symphonic crowd you are singing your resonance. Your soul wears these colores, pink, white, blue. Any colour you like, high hopes!
And them are rushing to the big gig in the sky where the eclispe is no more.
Us and them.
My senses are at one with the world.
And now noises are not breaking me anymore, for it is I who chant a theme to smash them all. My pride is dancing under the flags, she or her, he or his, his or she, her or he. They – in the sky.
***
« On va traduire pour Remus, suggéra Black. Tu veux le faire toi-même, Peter ?
— Non, vas-y, toi, ça me fait tout drôle de me lire devant des gens. »
Lupin sourit, se pencha et pressa sa main sur son épaule.
« Ne t’inquiète pas Peter, ici tu es libre, tu sais. »
Pettigrow semblait avoir envie de parler, de répondre, mais ce qui sortit de sa bouche fut si relativement anodin, que Hestia sentit, en son for intérieur, qu’il avait des choses à dire qu’il ne disait pas.
« Pour le titre, j’ai hésité entre ça et Pink Float.
— Le bateau rose, traduisit Black.
— Je vois le délire, mais je préfère ce jeu de mots-là, affirma Hestia. »
Et comme il y eut un silence, Black se chargea de traduire le poème à Lupin, en prenant soin de respecter, du mieux possible, l’original.
***
Brise le cis-tème.
Tu jettes la bouteille de vin et le bruit t’éclabousse. Tu écoutes un orage d’été et le bruit te gronde. Tu marches sur des graviers et le bruit t’émousse. Ta sensibilité voudrait épouser le monde.
Je vis en dissonance. Elle ou elle. Il ou il. Il ou elle. Elle ou il. Iel – dans le ciel.
C’est la mélodie qui me ploie et me tord et fait grandir mon esprit harmonie.
Je danse seul sur la grande place pendant que les parapluies ventent autre part - ailleurs. Pas de repos avant le grand départ. Et soudain l’arc se courbe avec moi devant le quai de gare, bonheur.
Ta sensibilité monte vers le ciel car tu te grandis avec l’oriflamme. Dans la foule symphonique tu chantes tes résonances. De bleu, de blanc et de rose se pare ton âme. Quelle que soit ta couleur, ô espoir...
Et eux se précipitent dans la grande musique du ciel où l’éclipse n’est plus.
Nous et eux.
Ma sensibilité a épousé le monde.
Et maintenant les bruits ne me brisent plus, car c’est moi qui entonne un thème qui les brise tous. Ma fierté danse sous les oripeaux, elle ou elle, il ou il, il ou elle, elle ou il. Iel – dans le ciel.