Finale de Hogwarts Drag Race, Grande Salle, 19h57.
Plus que trois minutes avant le grand show.
Plus que trois Queens.
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Sirius savait depuis assez longtemps, terme imprécis qui renvoyait à avant Poudlard, probablement, qu’il aimait les garçons.
Sirius savait depuis assez longtemps qu’on ne survit au Manoir Black qu’en ne se voilant la face d’un masque d’hypocrisie et de rancœur.
Sirius n’aimait pas tout ce qui était peint de noir et de haine. Sirius aimait les masques qui ne trompent pas. Sirius aimait les couleurs, tout l’arc-en-ciel et toute la palette et les paillettes.
Sirius Black n’avait de noir que son humour.
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« Je m’appelle Eclipse, j’ai dix-huit ans. Mon drag est joyeux, revendicatif et politique. Je pense que l’humour et les couleurs sont les premières armes que l’on puisse utiliser pour exprimer qui l’on est face à l’adversité.
— Vous vous revendiquez politique. C’est important, la politique ?
— Oui, bien sûr, Professeur McGonagall. Vous savez aussi bien que moi que sans politique, on n’a pas conscience des enjeux et on ne peut ni comprendre le passé ni dessiner l’avenir.
— Un dernier mot ?
— Vive l’Ordre du Phénix, à l’année prochaine les poussins ! »
Applaudissements nourris dans la salle. Le fan club d’Eclipse est là, t-shirt de Pink Floyd ou de Bowie, au choix, tout ce qui a un sens pour Sirius.
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La performance d’Eclipse tient en un sketch. Elle s’assied élégamment à la table du jury, entre Hagrid, ému par la trajectoire prise par le petit bonhomme derrière ce personnage énigmatique, et Dumbledore, qui a l’air tout simplement heureux d’être là – il est encore plus complexe à déchiffrer.
Sirius avait ce courage badin qui consiste à faire des blagues à moins d’un mètre du plus grand sorcier de tous les temps.
Après tout, Eclipse devait bien être une étoile filante intemporelle.
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« Bonjour, bonjour, comment allez-vous ?
— A merveille, répondit Chourave, déjà à fond dans le sketch alors qu’il n’avait pas commencé.
— Alors voilà, moi, je suis une personne très importante, il faut que je donne mon avis sur tout, donc je prends les idées là où je les trouve, mais souvent elles sont tombées des poches des gens donc elles traînent par terre, vous voyez.
Ça donne un parcours idéologique un peu chaotique, donc là en ce moment je trouve que Voldemort a un parcours très inspirant, il a quand même eu un mindset assez fou pour aller explorer des targets jamais encore exploitées… Enfin c’est vraiment l’exemple du self-made-man, moi je n’aurais jamais eu ce courage… De se couper le nez pour gagner en rewarding, vous vous rendez compte ?
En plus il a fait une levée de fonds en partant de rien, et là il y a la bourse du commerce qui tremble, on rentre en crise, c’est fin stratège. Il a vraiment percé dans la magie noire, il a le monopole sur les exportations des idées dégueulasses à l’étranger, c’est… enfin voilà… Oui je manque de vocabulaire, et alors ?
Quoi ? Les Moldus ? Oui, il est allé un peu loin. Mais ça arrive à tout le monde les erreurs de jeunesse. Enfin, franchement, Madame, il ne faut pas hystériser le débat, les faits sont prescrits depuis longtemps, enfin !
Alors sinon, moi j’adore les homosexuels. Ah ça oui, par contre, j’ai pas de problème avec eux. Bah, en fait, si tu veux, j’ai un ami homosexuel, il est vraiment très gentil, il est adorable, il ferait pas de mal à une mouche. Donc voilà, moi je pense que c’est généralisable, comme tout, d’ailleurs, donc oui j’adore les homosexuels.
Bon d’accord, en vrai, il ferait du mal à la mouche si elle était sang-de-bourbe, mais tu vois, lui, il est comme ça, il se dit, attention, tant qu’elle n’a pas prouvé qu’elle était sang-de-bourbe, alors elle reste sang-pure.
Il est fort, il est fort !
Bon après, c’est peut-être aussi que c’est moins impressionnant de créer des Horcruxes à partir de mouches que de serpents.
Horcruxes ? Vous ne connaissez pas ? C’est la nouvelle crypto, en fait, on s’échange des bouts d’âmes, comme ça, comme de la monnaie, c’est vachement pratique car on a toujours un peu sur soi, tac, tu vas à la boulangerie acheter des chouquettes, toc, ta carte heurte le plafond, boum, un petit peu d’âme, et hop, tu as tes chouquettes.
Des dérives ? Ah non non du tout, on a tout ce qu’il faut pour éviter les spéculations. Par exemple, on a la blockchain ici présente, nom de code : Dumby, en fait, elle sert à donner une apparence de régulation au marché… Tu ne comprends pas ? Moi non plus, ce n’est pas grave, c’est important d’avoir un avis sur tout.
Donc, moi, je disais, voilà, c’est vrai que je suis trop excitée par la nouvelle saison de la Carte au Trésor qui va venir dans quelques années. Oui, oui, mon ami très gentil homosexuel – c’est important de répéter ce qui n’a rien à voir avec le sujet – a organisé, comme ça, une petite course d’orientation grandeur nature, enfin grandeur Angleterre, donc les gens iront par équipe de trois, ils seront largués par Magicobus dans la campagne avec un Vif d’Or, un sac et une boîte d’allumettes et ils devront récupérer, comme ça, les divers items.
Pour rajouter du peps il y aura évidemment des paliers à franchir, donc avec des niveaux de difficultés. Par exemple si tu réussis à rentrer dans le Manoir des Malefoy, tu as un palier mort d’un personnage à valider pour en sortir. Je trouve ça hyper inspirant, l’univers est super bien construit. Vraiment, ça fait flipper, mais ça vaut le coup !
Par contre l’entrée sera interdite aux loups-garous, désolé Lunard, et le prix à payer sera un petit peu cher, normalement il faut prouver que tu n’as plus aucun lien avec tes parents… Mais bon, il y a déjà une telle sucess story avec la marque Mangemort Corporation que je pense que ça le fera largement, enfin d’ici la fin de la guerre on aura de quoi avoir quatre heures de queue pour l’entrée.
J’ai hâte, ça va être énorme ! »
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« Eclipse, raconte-nous un peu la genèse de ce sketch ?
— Il y a des gens qui ont des avis incohérents et insensés sur tout et n’importe quoi, et qui s’extasient de tout ce qui nous détruit, en l’occurrence j’ai parlé de Voldemort, de l’intolérance – j’ai évoqué l’homophobie bien-pensante de salon, il y en a d’autres bien sûr, mais je préfère l’auto-dérision –, et enfin du pouvoir de l’argent. Ces gens m’énervent au plus haut point, mais ils sont si convaincus de leurs idées que… c’est impossible de leur parler avec des arguments qui tiennent la route. Alors, j’ai décidé d’avoir un discours encore plus stupide qu’eux.
— J’ai trouvé que c’était joyeux, revendicatif et politique, annonça soudain McGonagall. Alors, joyeux, nous nous entendons bien… J’adore l’humour noir, j’ai ri. C’est pour ça que je dis ça. Je n’ai aucun problème avec, je pense qu’il est nécessaire de rire absolument de tout, pourvu que ce soit tourné d’une façon qui montre que c’est de la dénonciation, le cas échéant.
— Le cas a échu, répondit Eclipse en souriant.
— Tout-à-fait. Bravo.
— C’était très fort, très métaphorique, compléta Flitwick. Vous avez rendu absurde la notion même de Vous-Savez-Qui…
— Le but du sketch est aussi que l’on apprenne à nommer correctement les choses, interrompit Eclipse.
— Oui, pardon, Voldemort. J’ai adoré le parallèle entre les inanités du monde sorcier avec celles du monde moldu. Tout se répond, et, finalement, tous les fascistes sont de la même espèce.
— Résistance ! hurla soudain James depuis l’audience en levant les bras. »
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« Une Queen inoubliable, qui réussit encore à nous faire rire de ce qui nous effraie tous, qui nous donne du courage et de la vie, des couleurs, de l’espoir et l’envie de continuer à se battre en ces temps difficiles, la future égérie de l’Ordre du Phénix, bientôt en tournée pour faire tous les festivals financés par Mangemort Corporation… Eclipse est la grande gagnante de Hogwarts Drag Race !
— Euh… Je suis très touchée… Mais avant tout, Professeur McGonagall, est-ce que vous voulez faire une collaboration pour mes prochains textes ?
— Oh, Eclipse, ne faites pas de blague pour cacher vos émotions, enfin ! »
Elle était redevenue plus professeur que McGonagall. Elle avait néanmoins un sourire qui voulait tout dire ; empli de fierté, de joie, de satisfaction.
Eclipse s’avança sur le devant de la scène.
Et pour une fois dans sa vie, elle ne masqua aucune de ses émotions. Les pleurs perlèrent sur les maquillages colorés et solaires, formant des gouttes scintillantes comme des étoiles. C’était le vrai visage d’Eclipse, comète à la pointe entre le jour et la nuit.
Il y a une part de lumière et d’ombre en chacun de nous. Ce qui compte, c’est celle que l’on choisit de montrer dans nos actes. C’est ce que l’on est vraiment.