First Bullet
Dans la famille d’Andromeda, on ne montrait pas ses émotions. Quand les filles pleuraient, que ce soit de tristesse, de douleur ou de rage, on les ignorait. Lorsque les parents étaient en désaccord, jamais ils ne criaient, ils ne faisaient que s’ignorer jusqu’à ce que ça passe. Le jour où Bellatrix avait reçu sa première lettre de Poudlard, Cygnus avait exhibé sa grande fierté pour son aînée en lui serrant la main.
Mais surtout, surtout, dans la famille d’Andromeda, on ne s’embrassait jamais. En public, du moins. Les filles ne savaient pas ce que faisaient leurs parents derrière les portes closes de leur chambre, mais après le jour de leur mariage, leurs lèvres ne se touchaient plus quand autrui pouvait les voir. Et même si Andromeda avait vu une fois sa mère déposer un baiser sur la tête encore chauve de Narcissa, quand celle-ci n’avait que quelques mois, et supposait qu’elle aussi avait dû recevoir des preuves d’affection quand elle était bébé, elle n’en gardait aucun souvenir.
C’est pourquoi elle était particulièrement excitée le matin du 1er septembre, sa première rentrée. Les Black insistaient pour ne pas emmener leurs trois filles, seules celles qui prenaient le train – ils ne voulaient pas offrir de ces portraits d’affection qu’ils voyaient chez les autres familles sur le quai –, mais en même temps ils tenaient à être là tous les deux. Bellatrix ne lui avait rien raconté sur les deux fois où elle avait déjà pris le Poudlard Express, mais tout cela piquait la curiosité d’Andromeda. Se passait-il quelque chose de spécial sur le quai 9 ¾, quelque chose qui devait rester entre les Black de plus de onze ans ?
Quand ils quittèrent enfin le Manoir, Andromeda réprima toutes ses émotions pour souhaiter une bonne année à sa petite sœur, puis sortit avec ses parents et Bellatrix. Lors du trajet vers l’aire de transplanage, elle marchait sobrement, comme on lui avait enseigné depuis ses premiers pas, mais à l’intérieur de son cœur, elle gambadait. Elle gambadait dans Londres, dans la gare, à l’entrée du quai. En émergeant sur le quai 9 ¾, tout d’un coup, elle fut prise d’un sentiment de gêne.
Toute sa vie, elle n’avait fréquenté que des gens importants, dignes, bien élevés, bien habillés. Des gens dont approuvaient Cygnus et Druella ; des Lestrange, des Malefoy, des Carrow, des Goyle. Bref, des familles au sang pur, plus bleu que rouge. Et elle avait cru que c’était toute la société sorcière qui était comme ça, toujours polie, toujours sérieuse. Elle croyait être une anomalie qui aimait rire un peu trop fort, s’amuser un peu trop souvent.
Mais ici, pour la première fois, elle voyait une variété de sorciers telle qu’elle n’en avait jamais vue, ni même imaginée. Des sorciers de toutes les tailles et de toutes les couleurs, vêtus de toutes sortes de styles. Elle entendait des pleurs, des rires, des cris ; était-ce juste pour ça que ses parents n’avaient pas voulu exposer leurs filles au monde avant d’y être obligés ? Pour ne pas qu’elles se posent de questions trop tôt ?
— Je vois mes amis là-bas, dit Bellatrix. Je peux y aller ?
Cygnus observa un instant le groupe qu’indiquait son aînée, puis hocha la tête. Andromeda, elle, vit son cousin Sirius et voulut aller le rejoindre, mais sa mère lui prit le bras et l’obligea à rester près.
— Andromeda, reste ici, nous avons à te parler avant ta première rentrée.
Sirius avait lui aussi repéré sa cousine, mais Andromeda lui indiqua par une moue qu’elle ne pouvait pas le rejoindre. Cygnus suivit son regard puis, avec une grimace, se plaça directement devant sa fille, qui n’eut d’autre choix que de lever les yeux vers lui.
— Tu rentres à Poudlard cette année, et tu emportes avec toi la réputation des Black, commença son père. Toujours pur, toujours dignes, toujours nobles.
Andromeda imagina son cousin lever les yeux au ciel à ces mots et dut réprimer un sourire. Mais Cygnus dut deviner ce à quoi elle pensait, car il fronça les sourcils et poursuivit :
— Ce qui veut dire que tu te tiendras loin de ton cousin. Nous ne lui faisons pas confiance, et nous ne voulons pas qu’il t’entraîne sur le chemin de la rébellion et de la décadence. Non, pour bien représenter les Black, tu suivras l’exemple de ta grande sœur.
Il hocha la tête vers Bellatrix, et Andromeda examina plus attentivement ses amis. Une majorité de garçons, seulement deux filles, en plus de sa sœur. Certains portaient déjà en partie leurs uniformes, leurs cravates ou leurs capes. Tous de Serpentard, bien sûr. En fait, elle remarquait que tous lui étaient déjà familiers, les enfants d’amis de la famille. Oui, là, c’était Rabastan Lestrange, et à côté de lui, Evan Rosier, pour qui elle avait le béguin depuis des années.
— Nous sommes fiers d’elle, et nous tenons à être fiers de toi également. Tu étudieras fort, mais surtout, tu te prépareras pour l’avenir en formant des liens avec les personnes appropriées. Tu vois ce que je veux dire ?
Andromeda hocha la tête.
Son regard fut alors attiré par une petite famille qu’elle voyait derrière son père – deux adultes et un garçon blond de son âge. Elle ne put retenir un sourire à la vue de leurs expressions émerveillées, leurs grands yeux qui buvaient tout ce qui les entourait, du vieux train rouge aux hiboux en cage, en passant par tous les gens plus étranges les uns que les autres. Druella les avait vus également, mais loin d’être attendrie, elle avait froncé le nez, comme si elle avait senti une odeur de moisi.
— Par-dessus tout, tu te tiendras loi des sales Sang-de-Bourbe, dit-elle en tirant brutalement le menton de sa fille pour qu’elle la regarde. C’est inacceptable que cette race soit toujours acceptée à Poudlard pour salir l’eau dans laquelle nous baignons, mais au moins Salazar Serpentard avait les principes à la bonne place, lui, et tu n’en côtoieras pas dans ta future salle commune.
À nouveau, la jeune fille hocha la tête. À ce moment, Bellatrix revint vers eux, tout sourire, et s’adressa à ses parents :
— Rodolphus et Lucius ont réquisitionné un wagon pour nous, je vais y aller.
— Amène ta sœur avec vous.
Mais Andromeda n’avait pas prêté attention, à l’échange. Son regard s’était à nouveau porté sur la famille de Sang-de-Bourbes – nés-Moldus –, qui se souhaitaient adieu. Les deux parents embrassaient leur fils de toutes leurs forces, l’embrassant sur le front, le nez, les deux joues. Et il ne semblait même pas en avoir particulièrement honte.
Ils l’accompagnèrent jusqu’à la porte du train, sa mère ne lâchant sa main que quand il fut à l’intérieur. Il envoya un dernier baiser à ses parents, puis se tourna vers sa droite et disparut dans le wagon, traînant sa malle derrière lui. Andromeda se tourna au moment où son père leur disait, à Bellatrix et à elle :
— Passez une bonne année. Ne nous faites pas honte. Souvenez-vous, vous êtes des Black.
Puis, sans plus de cérémonie, sans rien dire d’autre ni même toucher les enfants qu’ils ne verraient plus avant des mois, Cygnus et Druella partirent vers l’aire de transplanage qui les ramènerait à la maison. Bellatrix pressa sa petite sœur :
— Viens, on va retrouver les Serpentard. Non, laisse ta malle, on demandera à quelqu’un de venir la chercher.
En se dirigeant vers le train, elles croisèrent les parents Moldus du garçon blond, qui s’étaient éloignés de la porte mais allaient visiblement rester sur le quai jusqu’au départ du train. La femme, sentant un regard peser sur elle, baissa les yeux et sourit à Andromeda. Dans ce sourire, la jeune fille sentit un peu ce que ce serait d’avoir des parents aimants, une famille qui s’appréciait sans condition.
Mais elle était une Black, alors elle se tourna sans répondre, et grimpa les marches à la suite de sa sœur. À sa droite, elle aperçut le garçon blond, tirant toujours sa malle, qui frappait à la porte d’un compartiment. Elle pourrait le suivre, passer le trajet avec lui. Après tout, qu’est-ce qui l’obligeait à faire ce que voulaient ses parents ? Elle était une Black, pas une marionnette.
— Andromeda ! appela Bellatrix, qui avait déjà parcouru la moitié du wagon de gauche. Viens !
Avec un soupir, elle tourna le dos au garçon blond et obéit à sa sœur.
Second bullet
Habituellement, pour les cours où ils devaient travailler en binôme, Andromeda se mettait avec Mae Fawley, une camarade de dortoir. Les Fawley étaient neutres quant aux questions du sang et des Moldus qui occupaient de plus en plus les esprits, mais ils faisaient partie des « vingt-huit sacrés », alors Bellatrix, et par extension leurs parents, approuvaient de l’amitié et du binôme.
Mais ce jour-là, Mae était malade. Elle était restée dans son lit quand ses camarades s’étaient levées, se tordant de douleur et maudissant les crampes menstruelles, priant Andromeda de l’excuser auprès des professeurs.
En cours de métamorphose, la jeune Serpentard s’assit donc, seule, à sa table habituelle après avoir transmis le message à la professeure McGonagall. Dans le brouhaha des adolescents de Serpentard et de Poufsouffle qui s’installaient bruyamment, elle sortit ses affaires de son sac, posant sa plume sous le nez de la statue de lapin qui allait leur servir de cobaye.
Soudain, quelqu’un tira la chaise voisine et s’y installa, la faisant sursauter. La place de Mae était occupée par Ted Tonks. Un garçon, Poufsouffle, Sang-de-Bourbe. Celui-là, sa famille n’approuverait certainement pas.
— Mon binôme est absent ce matin aussi, expliqua le Poufsouffle avec un sourire. Prof McGonagall m’a dit de venir ici. Ça te va si on travaille ensemble aujourd’hui ?
— Euh…
Andromeda regarda furtivement autour d’elle. Aucun autre membre de sa maison n’était libre, mais certains la regardaient avec un mélange de pitié, de dégoût, et de curiosité. Qu’allait-elle faire ?
Elle haussa une épaule, prenant l’air le plus désinvolte possible, et marmonna :
— Mouais, pas le choix, je suppose…
Pendant que le garçon s’installait avec enthousiasme, Andromeda déplaça sa chaise à petits coups jusqu’à se retrouver tout au bout du bureau double, le plus loin possible du Poufsouffle.
— Bon courage, lui murmura un de ses camarades de Serpentard, se penchant au-dessus de l’allée qui les séparait.
Avant qu’elle ne puisse répondre, la professeure de métamorphose se racla la gorge à l’avant de la classe et, dès que l’attention de tous les adolescents fut portée vers elle, commença à expliquer leur projet de la journée. Alors qu’elle écoutait le cours et prenait des notes, Andromeda ne put se retenir de jeter des coups d’œil furtifs à son voisin. Elle ne lui avait jamais parlé avant aujourd’hui, même si les Serpentard et les Poufsouffle avaient partagé au moins un cours par année depuis leur première. Lui ne lui prêta aucune attention, prenant assidûment des notes avec le coin de la langue qui lui dépassait du coin des lèvres. La Serpentard sourit à cette image.
— À vous d’essayer, annonça enfin la professeure après quelques minutes d’explications. Je veux qu’un membre de chaque binôme tienne la statue pendant que l’autre lance le sort. Je ne veux pas avoir à pourchasser des lapins traumatisés dans toute la salle !
Tonks posa sa plume et leva la tête pour la première fois. Il haussa les sourcils en voyant sa binôme assise si loin de lui, et fit un geste vers la statuette.
— Qu’est-ce que tu fais aussi loin ? Je vais pas te mordre ! Viens tenir le lapin, je vais commencer.
Andromeda s’approcha en silence et attrapa le petit lapin de marbre, le tenant à bout de bras à la hauteur de sa poitrine. Ted ne semblait pas soucieux du tout d’avoir été mis en partenariat avec une Serpentard. En fait, depuis deux ans et demi, Andromeda ne l’avait jamais vu se soucier de quoi que ce soit, il semblait toujours heureux, souriant. Comme s’il n’était pas au courant des préjugés que les gens comme elle étaient censés avoir contre les gens comme lui.
Quand il leva sa baguette, Andromeda ne put s’empêcher de dire :
— Fais attention de bien viser !
— Ah ? Un petit nez rose frétillant, ça serait mignon sur toi pourtant !
Andromeda dut se mordre l’intérieur des joues pour ne pas rire, mais ne put empêcher ses joues de devenir roses. Elle détourna le regard, le temps de retrouver sa contenance, et croisa celui d’Alecto Carrow, sa camarade de dortoir la plus critique. Elle savait que si elle faisait quoi que ce soit qui soit digne de reproches, du point de vue « sang-pur », Alecto serait la première à le rapporter à Bellatrix. Alors elle renifla avec dédain, leva les yeux au ciel et se tourna à nouveau vers Ted, brandissant la statuette.
— Bon allez, tu te dépêches ? demanda-t-elle d’un ton ferme, assez fort pour que ses amis de Serpentard l’entendent. J’ai pas que ça à faire.
— Ah bon ? répondit le Poufsouffle en baissant quelque peu sa baguette, l’air de ne pas remarquer le ton froid de sa binôme – ou de ne pas s’en formaliser. Tu as quoi d’autre à faire ?
Andromeda resta coite quelques secondes, voulant à nouveau se mettre à rire mais sachant qu’elle ne pouvait pas se le permettre. Alors elle ne dit rien, ne fit que remuer la statuette devant elle en lui lançant un regard pointu. Ted comprit ce qu’elle voulait et brandit sa baguette.
— Lapifors !
La statue de marbre entre les mains d’Andromeda ne bougea pas, ne changea pas de température, ne montra pas de fourrure ni de moustache, et encore moins de petit nez rose frétillant. Après quelques secondes, elle soupira exagérément et poussa le lapin contre le torse de Ted.
— Tiens ça, je vais le faire, moi.
Le Poufsouffle attrapa la statuette et la tint devant lui comme s’il s’agissait déjà d’un lapin en chair et en os, les paumes contre ses flancs et ses doigts s’entrelaçant sous le ventre rebondi. Andromeda fixa son regard sur les yeux de marbre de la statue et dit d’une voix ferme :
— Lapifors !
Cette fois, un frémissement parcourut le marbre blanc, de l’extrémité des longues oreilles jusqu’au bout de la queue floconneuse. Les yeux durs et aveugles devinrent noirs et mouillés, la pierre froide des poils brun pâle.
— Oh, il est trop doux ! s’exclama Ted en posant doucement l’animal contre sa poitrine. Viens voir !
Andromeda voyait, à quelques tables d’eux, Alecto et Cordelia Rosier s’amuser avec leur lapin tout blanc, ayant laissé pour une fois tomber leur façade adulte et sérieuse pour s’extasier devant le petit animal. Mais, même si elle avait fort envie elle aussi de mettre ses doigts – et son visage – dans le poil soyeux, elle savait qu’elle ne pouvait pas risquer de sembler sympathiser avec un né-Moldu, pas aussi publiquement. Alors elle secoua la tête à regret et se rassit au bureau.
— Tu sais pas ce que tu manques ! l’informa Ted.
Puis il tourna le lapin pour que celui-ci lui fasse face et lui déposa un baiser sonore sur le bout du nez. Avant qu’elle ne puisse réagir, Andromeda entendit distinctement un de ses camarades de Serpentard marmonner d’un ton moqueur :
— Tapette…
Son dos se raidit et elle eut envie de se tourner et d’envoyer une baffe à cet idiot. De sauter à la défense d’un Sang-de-Bourbe ? Ça, il était certain que les autres Black ne lui pardonneraient pas. Mais Ted n’avait pas entendu – ou avait fait semblant de ne pas entendre. Il continuait à câliner leur lapin, lui grattouillant le ventre et lui murmurant dans les oreilles. Andromeda sourit presque, attendrie. Mais tout de suite elle se redressa et dit d’un ton détaché.
— Tu veux réessayer ?
Le Poufsouffle déposa un dernier baiser sur la tête du lapin avant de le reposer sur le bureau.
— À tout à l’heure, dit-il pendant que sa binôme lui faisait reprendre son état de marbre.
*
Le cours suivant, Mae était de retour, comme l’était le partenaire de Ted. Ils ne travaillèrent plus jamais ensemble, mais à partir de ce jour, Andromeda envoya toujours un petit sourire vers le garçon sensible et souriant dès qu’elle le pouvait.
Third Bullet
Debout à l’avant de la chapelle, un bouquet de fleurs dans ses mains entrelacées, Andromeda ne prêtait pas attention à ce qui se passait près d’elle. À sa droite se trouvait Narcissa, ses cheveux blonds joliment tressés et sa robe élégante mettant en valeur la finesse de son corps adolescent. À sa gauche, Bellatrix, frappante de beauté, ses longues boucles paraissant d’un noir encore plus profond contre la blancheur immaculée de sa robe et de son voile.
Entre son futur mari, Rodolphus Lestrange, et elle, un vieux sorcier en longue robe noire était en train de psalmodier d’une voix rauque et ennuyante tout un sermon qu’Andromeda n’écoutait pas. Oh, elle avait essayé au début, mais vers la troisième minute de la cérémonie, son esprit s’était mis à vagabonder, et son regard l’avait suivi, examinant la foule qui était assemblée dans la chapelle.
Toute la crème de la crème sorcière, selon ses parents, avait été invitée à ce « mariage de l’année ». Autrement dit, pas une goutte de sang impropre dans un rayon de deux cents mètres.
À droite de l’allée centrale, dans la toute première rangée, ses parents, avec son oncle Orion et sa tante Walburga. Derrière eux, son cousin Regulus. Mais pas Sirius, évidemment. Andromeda avait entendu, même si personne n’en parlait jamais à voix haute, qu’il avait fugué pour vivre chez son meilleur ami, et que Tante l’avait violemment supprimé de l’arbre généalogique des Black. Cela ne devait pas trop le gêner. Il lui avait toujours dit qu’il trouvait cette tapisserie ancestrale particulièrement moche, d’un point de vue esthétique. Andromeda ne pouvait pas vraiment lui donner tort sur ce point…
Quelques rangées derrière eux se trouvait la famille Yaxley. Andromeda croisa le regard de Corban, le jeune homme de dix-sept ans qu'elle fréquentait depuis qu’elle en avait eu seize, trois mois auparavant. Ce n’avait pas été son choix ; ses parents avaient décidé que, comme elle n’avait pas encore montré de velléités pour former une bonne alliance à sa sortie de Poudlard – pas comme Bella, qui s’était mise avec Rodolphus dès qu’elle avait eu quatorze ans –, c’était à eux de lui trouver un futur mari digne de ce nom. Ils avaient choisi Corban.
Corban Yaxley était aussi à Serpentard – évidemment –, mais il avait un an de plus qu’Andromeda, et celle-ci était soulagée de ne pas avoir à partager ses cours avec lui. Quand elle voulait s’échapper, elle n’avait qu’à prétexter un devoir à finir ou un examen pour lequel étudier. N’ayant jamais été un étudiant particulièrement assidu, Corban ne se faisait pas prier à ces moments pour la laisser avec ses livres.
Oh, il n’était pas méchant ! Andromeda savait que le choix de ses parents aurait pu être bien pire. Ils auraient pu la mettre avec Amycus Carrow, le petit crapaud gluant de cinquième année, et elle était bien reconnaissante qu’ils ne l’aient pas fait. Mais Corban était juste un peu… insipide. Et elle, elle avait toujours rêvé d’étincelles, de papillons dans l’estomac. De quelqu’un qui la ferait rire, qui lui donnerait envie de l’embrasser et de se faire embrasser en public.
À ce moment-là, Corban croisa le regard d’Andromeda et répondit à son sourire. Bon, s’il pensait que son amie souriait pour lui, grand bien lui en fasse. La jeune femme replaça ses mains sur son bouquet et poursuivit son observation.
De l’autre côté de l’allée, la famille Lestrange, entourée des Rosier et des Malefoy. Au bout d’une rangée, Andromeda voyait le jeune Lucius, un ami de sa petite sœur, qui n’avait d’yeux que pour elle ce jour-là. Elle sourit tendrement. Peut-être qu’au moins un couple Black se formerait par amour plutôt que par obligation.
À ce moment-là, les paroles du célébrant ramenèrent ses pensées et son attention à la cérémonie qui tirait enfin à sa fin :
— Avec ce baiser, je déclare Rodolphus Lestrange et Bellatrix Black liés à tout jamais.
Andromeda joignit ses applaudissements à ceux de la foule – plus polis qu’enthousiastes – quand les lèvres de sa sœur se posèrent sur celles de son nouveau mari, leur premier baiser conjugal – lui aussi plus poli qu’enthousiaste. Elle souriait, mais derrière son visage heureux se cachait l’appréhension de ce que cachait l’avenir pour les filles Black.
Fourth Bullet
C’était la dernière sortie à Pré-au-Lard de la Saint-Valentin de la scolarité d’Andromeda, et elle était seule. Non seulement Corban, qui avait fini sa scolarité l’année précédente, était-il trop occupé pour venir la voir, comme il lui avait expliqué dans une courte lettre envoyée la veille – qui ne l’avait pas déçue outre mesure, devait-elle avouer –, mais ses amies, étant en couple elles avec des garçons ayant pu se libérer ou étant aussi toujours à Poudlard, l’avaient toutes abandonnée pour un rendez-vous galant ou un autre.
Alors Andromeda se promenait dans les rues poudrées de neige du village, profitant du soleil qui rendait ce jour froid de février un peu moins glacial. Tout autour d’elle était silencieux, elle ne voyait même pas de ces batailles de boules de neige qui faisaient habituellement rage au village en hiver. Cupidon occupait tout le monde, supposa-t-elle. Ou bien peut-être était-ce l’ambiance de plus en plus sombre du monde sorcier en entier qui s’étendait jusqu’ici.
La solitude ne la gênait pas. Bien au contraire, même. L’année précédente, Corban avait insisté pour l’emmener chez Madame Pieddodu pour la fête de l’amour, et avaient suivi des heures de conversations insipides – et de baisers qui l’étaient tout autant. Si elle devait se condamner à une telle vie, à suivre dans les pas de sa mère et de sa grande sœur (et le « si » était conséquent, mais elle n’avait pas encore trouvé d’alternative), elle profiterait autant qu’elle le pouvait de ses derniers moments de liberté.
— Abandonnée par tes amis toi aussi ?
Andromeda se retourna quand elle remarqua que c’était à elle qu’on s’adressait, et sourit poliment à Ted Tonks qui, de l’autre côté de la petite rue, l’avait interpellée. Elle croisait souvent le Poufsouffle à Poudlard, surtout depuis qu’ils avaient tous les deux été nommés préfets deux ans auparavant. Elle avait toujours bien aimé la légèreté et l’humour du jeune homme, aimé qu’il soit capable de la faire rire, mais… il était à Poufsouffle. Il était né-Moldu. Dans un autre monde, un univers alternatif, peut-être auraient-ils pu être amis, mais dans celui-ci…
Il traversa la rue en trottinant pour s’arrêter face à elle.
— Les miens m’ont tous lâchement planté là pour des rendez-vous galants, dit-il, son souffle formant un nuage de buée devant sa bouche. Ça m’apprendra à être célibataire le jour de ma dernière Saint-Valentin à Poudlard.
— Pas moi. Je veux dire, je le suis pas. Célibataire.
Andromeda soupira pendant que Ted inclinait la tête. Elle sentait ses joues rougir, mais avec un peu de chance son écharpe verte lui couvrait suffisamment le visage.
— Corban était juste occupé aujourd’hui, ajouta-t-elle d’une voix plate.
— Un célibataire et une amoureuse abandonnée, alors, conclut Ted, toujours avec le même ton enjoué. Ça te dirait d’aller prendre un verre ensemble pour passer le temps ? Entre deux amis éperdus de solitude ?
— Euh…
Malgré son premier réflexe d’accepter immédiatement, Andromeda se mordit la lèvre et regarda autour d’elle.
— T’as peur que tes copains te voient en compagnie du grand méchant Poufsouffle ? dit Ted. Quelle horreur ça serait ! Ta réputation ne s’en remettrait jamais !
Elle se tourna vers lui pour le foudroyer du regard, mais il arborait un air tellement amusé qu’elle ne put faire autrement que sourire en secouant la tête. Il n’avait pas entièrement tort, elle craignait que ses camarades les voient ensemble, mais pas à cause de sa réputation, à cause de… à cause de quoi, en fait ? Ted et elle étaient collègues préfets, tous les deux en septième année. Ils se côtoyaient souvent au château en raison de leurs fonctions communes ; était-ce si incroyable de penser qu’ils aient pu devenir proches avec le temps ? Il ne restait que quelques mois à Poudlard pour Andromeda, puis elle ne reverrait plus jamais Tonks ni les gens comme lui. Elle décida que pour une fois elle ferait ce qu’elle avait envie de faire sans craindre les jugements des autres et accepta de se rendre avec lui aux Trois Balais.
— Vous préféreriez peut-être marcher dix pas devant moi, madâme, dit Ted en faisant une révérence moqueuse. Afin de ne pas laisser flotter l’illusion outrageuse que nous sommes ensemble.
Cette fois-ci elle ne put retenir un rire.
— Marche à côté de moi comme une personne normale, abruti !
Ted et Andromeda marchèrent donc côte à côte sous la neige légère qui commençait juste à tomber. Quand ils arrivèrent à la porte, il trottina pour s’y rendre avant elle et l’ouvrit.
— Après vous, gente dame.
La Serpentard passa devant lui, hésitant entre lever les yeux au ciel, rire et rougir. Corban aussi la traitait comme une reine quand ils étaient ensemble, mais ce n’était pas pareil. Quand son copain lui ouvrait une porte, c’était guindé, traditionnel. Mais Ted, il rendait ça drôle, naturel. Il le faisait parce qu’il en avait envie, pas parce que ses ancêtres dictaient que c’était ainsi qu’il devait se comporter.
— Tu veux quoi ? lui demanda-t-il, la tirant de ses pensées.
— Oh ! Un chocolat… Non en fait, je viens avec toi.
Ted haussa les épaules sans insister, et ils se rendirent tous les deux au comptoir, derrière lequel la jeune serveuse Rosmerta s’approcha pour les servir. Andromeda commanda son propre chocolat chaud, le paya et le transporta elle-même vers une table. Histoire que personne ne se fasse de fausses idées sur ce qu’elle faisait là cet après-midi. Pas les gens qui pouvaient les voir, pas Ted… et pas elle-même.
Si au début elle s’était sentie gênée, ayant l’impression que les yeux de tous les clients des Trois Balais étaient posés sur son compagnon et elle – qu’ils appartiennent à des étrangers ou des élèves de Poudlard, des Gryffondor ou des Serpentard –, Ted lui fit rapidement oublier son malaise. Pas de façon réfléchie, mais simplement en lui parlant, en étant intéressant et drôle, tellement drôle qu’elle rit plus qu’elle n’avait ri depuis… depuis elle ne savait même pas quand. Ils parlèrent de tout et de rien, des cours, de leurs tâches de préfet, de leurs salles communes dans les cachots, de leur proximité avec la cuisine. Pas de guerre, pas de pureté du sang. Andromeda n’avait pas réalisé à quel point ça lui manquait de ne pas avoir à penser à ces sujets trop lourds, trop sérieux.
Ils restèrent là durant des heures, jusqu’à ce que leurs tasses se vident, jusqu’à ce que les clients des autres tables se lèvent et soient replacés par d’autres, jusqu’à ce que le soleil touche le toit des maisons de l’autre côté de la rue. Quand son ventre gronda et qu’elle se rappela qu’elle n’avait rien mangé depuis le déjeuner, elle regarda sa montre… et jura tout haut, ce qui fit rire Ted.
— C’est pas drôle ! pesta-t-elle. Ils ont déjà commencé à servir à manger dans la Grande Salle, on va se faire punir si on se dépêche pas pour rentrer !
— On dira qu’on avait des trucs de préfet à faire !
Mais le jeune homme se leva et s’habilla lui aussi, suivant la Serpentard quand elle sortit du café – trop rapidement pour qu’il puisse tenir la porte pour elle, cette fois.
Pendant qu’ils marchaient vers le château d’un pas pressé, marquant un nouveau chemin dans la neige fraîche qui était tombée depuis le passage des autres élèves, Andromeda semblait ne pas se préoccuper de pouvoir être vue avec un Poufsouffle né-Moldu qui n’était pas son copain. Ils marchaient côte à côte, et elle n’avait même pas l’air de remarquer quand leurs mains gantées se frôlaient. De toute manière, comme elle l’avait dit plu tôt, il était tard et tout le monde était déjà rentré ; il n’y avait personne sur le chemin du château pour voir le couple étrange qu’ils formaient.
Elle s’arrêta seulement quand ils atteignirent la grille, pour se tourner vers Ted. Elle ne dit rien, mais il sourit et dit :
— Vas-y en premier. Je reste ici quelques minutes, puis je te suis.
C’était ce qu’elle avait voulu, mais elle hésita, incertaine. Ils avaient passé un si bon après-midi, ça lui semblait étrange de se laisser comme ça, comme s’ils allaient redevenir des inconnus une fois la grille passée.
Encore une fois, Ted lut dans ses pensées et eut exactement le geste qu’il fallait. Il prit la main gantée d’Andromeda dans la sienne et la monta vers ses lèvres pour y déposer un baiser sonore.
— J’ai passé un excellent moment avec vous, gente dame.
Son ton à moitié moqueur donnait le choix à Andromeda : elle pouvait tout prendre comme une blague, ou bien le traiter avec son sérieux habituel. Elle opta pour un simple geste de la main avec un sourire qui pouvait vouloir tout dire, avant de lui tourner le dos pour remonter vers le château. Quelques minutes plus tard, elle rejoignait la table de Serpentard sans s’être fait prendre, son sourire encore sur ses lèvres et des questions plein la tête.
Fifth bullet
Andromeda se pencha pour remplir le bol d’eau du chat, et lui grattouilla la tête quand il s’en approcha à toute vitesse, se frottant contre ses jambes au passage.
Cela faisait deux mois qu’Andromeda avait quitté la demeure Black pour vivre avec Ted, et six semaines qu’ils avaient adopté le jeune chat errant gris à l’oreille cassée qu’elle voyait tous les matins.
L’appartement de Ted se trouvait bien sûr dans un quartier moldu, et si Andromeda avait d’abord été ravie – jamais ses parents n’oseraient venir la chercher ici ! –, elle avait vite déchanté. Depuis le temps qu’elle se posait des questions sur le mode de vie de sa famille, sur sa prétention, l’importance démesurée qu’elle mettait sur l’héritage et la pureté, elle avait eu hâte de faire l’expérience d’un mode de vie plus simple, plus terre-à-terre, plus normal. Elle s’y épanouirait enfin, croyait-elle. Elle était faite pour une vie moins compliquée que celle qui avait été prévue pour elle.
Mais quand elle y était arrivée, dans cette vie, sa jeunesse de petite princesse privilégiée l’avait frappée de plein fouet. Elle n’avait jamais vécu où que ce soit sans elfe de maison, pour commencer, et dès le premier matin, quand elle avait réalisé qu’il fallait qu’elle fasse son propre lit, son propre petit-déjeuner, et qu’elle n’avait aucune idée comment fonctionnait la machine à café, elle avait failli fondre en sanglots. Mais Ted avait été là pour la rassurer.
— Ça va venir, t’inquiète. Prends ton temps.
Le deuxième choc était venu quelques semaines plus tard, quand étaient arrivées toutes les factures. L’eau, l’électricité, le loyer. Qu’elle avait vu la majorité du salaire de Ted lui couler entre les doigts. Qu’elle avait réalisé que cette vie dont elle avait tant rêvé n’était finalement pas si simple que ça.
— Il va falloir que je trouve un emploi aussi, pour aider avec… ça ?
— Ça aiderait, oui, mais il n’y a rien qui presse. Prends ton temps.
La jeune femme avait donc pris du temps, seule sans l’appartement les journées où Ted allait travailler avec l’entreprise de construction de son oncle. Andromeda l’embrassait tous les matins quand il partait, vêtu d’un survêtement bleu qui ferait hurler d’horreur toute sa famille, puis retournait dans la cuisine ranger les couverts, comme une bonne petite femme au foyer. Avec quelques coups de baguette en plus, mais une femme au foyer quand même.
Était-ce cela qu’elle avait voulu ? L’idée d’un avenir avec Corban Yaxley, avec aucun but dans la vie autre qu’être une gentille femme sang-pur de Mangemort et de pondre des enfants au sang aussi pur que le leur l’avait faite frémir mais, au fond, était-elle vraiment plus heureuse ici ? Là-bas, elle n’aurait certainement pas débordé de bonheur, mais elle aurait au moins été près de sa famille, de ses amis. Elle aurait eu une communauté autour d’elle. Ici, elle était seule.
Absorbée dans ces pensées devenues quotidiennes, elle s’assit sur le fauteuil du salon et, aussitôt, le chat lui grimpa sur les genoux. Avec un petit sourire, elle le flatta entre les oreilles pendant qu’il malaxait sa cuisse en ronronnant.
— Tu viens me rappeler que je ne suis pas seule, c’est ça ? Je t’ai toi. Et Ted, bien sûr. Le reste, c’est à moi de prendre les rênes, de faire mon propre bonheur.
« Faire son propre bonheur », plus facile à dire qu’à faire. De plus en plus, elle pensait à retourner chez ses parents, leur demander pardon, réintégrer sa vie interrompue. Peut-être serait-il plus facile de rendre celle-là acceptable que de créer celle-ci de toutes pièces.
Elle soupira.
À ce moment-là, Ted entra dans le petit appartement et Andromeda se redressa tout de suite avec un sourire et posa une main sur le chat gris endormi.
— Du courrier pour toi, dit-il en lui déposant un baiser sur le haut de la tête et une enveloppe dans la main. Pas de timbre. Peut-être des nouvelles du monde sorcier.
Andromeda se dépêcha de déchirer l’enveloppe et d’en sortir le simple parchemin plié. Il n’y avait que deux paragraphes écrits de la plume toujours élégante de sa petite sœur, et presque aucune formule de salutation ni d’adieu. À chaque ligne, le sourire d’Andromeda flétrissait, jusqu’à ce qu’elle soit presque au bord des larmes en lisant la signature de Narcissa.
— Cissy m’annonce ses fiançailles avec Lucius, dit-elle à son copain d’une voix chevrotante. Le mariage est pour l’hiver prochain. Je ne suis pas invitée.
Elle prit une grande inspiration. Ted s’agenouilla devant elle, prenant une de ses mains dans les siennes. Il attendit qu’elle rencontre son regard, puis demanda :
— Est-ce que tu veux y retourner ?
Andromeda écarquilla les yeux.
— Y retourner ?
— Je vois que tu es malheureuse ici. Tu essaies de le cacher, mais je ne suis pas stupide. Je t’aime, je t’adore, je n’ai jamais rien voulu autant que je veux passer ma vie avec toi, mais je ne veux pas être la raison pour laquelle tu es triste.
Dans les yeux de Ted, la jeune femme ne voyait que de la sincérité. Il l’aimait – plus qu’il n’avait déjà aimé quoi que ce soit d’autre, lui avait-il déjà dit –, mais il la laisserait retourner dans une vie sans lui si elle le voulait. Il ferait n’importe quoi pour la rendre heureuse, elle le voyait, là.
Mais si elle retournait chez les Black, devenait madame Andromeda Yaxley, ce serait lui qu’elle rendrait malheureux. Et elle ne pouvait vivre avec cette idée non plus.
Son sourire revint sur son visage, son premier sourire sincère depuis une éternité lui semblait-il. Elle tira Ted pour qu’il se redresse et approcha son visage du sien pour y plaquer un long, profond baiser – le tout sans réveiller le chat. Quand ils se séparèrent, d’à peine quelques centimètres, leurs fronts toujours collés l’un à l’autre, Andromeda murmura :
— À partir d’aujourd’hui, je ne veux aller nulle part sans toi.