- Comment va-t-elle ? Le maître demande à la voir.
- Elle est encore inconsciente.
- Mais, hier, tu m’as dit qu’elle était éveillée.
- L’espace d’une heure, oui. Mais elle était à peine cohérente et je n’ai pas réussi à la faire manger. Elle s’est rendormie presque immédiatement.
- Elle a sans doute avant tout besoin de repos. Regarde dans quel état elle est.
- Justement, c’est bien son état qui m’inquiète. Derwin l’a examinée. Selon lui, ça pourrait être très sérieux. La fièvre n’est toujours pas retombée. Il lui a donné quelque chose, mais, il dit que, épuisé comme il l’est, son organisme n’a tout simplement pas les ressources pour combattre l’infection.
Bellatrix entrouvrit les paupières, immédiatement assaillie par la lumière acide d’une pièce sans contours. Elle plissait les yeux mais ne discernait rien, son crâne prit dans l’étau douloureux d’un vertige aveuglant.
- Bella ?
Une tache sombre s’approcha et, lentement, prit forme humaine. Penchés sur elle, se tenaient Lucius et Narcissa. Bellatrix songea confusément combien ils étaient semblables. Cette blondeur éthérée, cette beauté froide et ces yeux pâles, délavés, comme perpétuellement pensifs. Jamais auparavant la ressemblance ne l’avait tant frappée. Mais, dans la lueur dévorante qui les englobait, elle parvenait à peine à les distinguer. Il n’y avait entre eux, après tout, qu’une quinzaine de centimètres de stature et quelques variations dans le dessin de leurs traits. Une mâchoire plus dure, un front moins bombé, une bouche plus fine. À ces quelques exceptions près, ils n’étaient que deux corps, coulés dans le même moule.
- Bella ?
- Je ne suis pas certain qu’elle t’entende.
On effleura son épaule.
- Bella, regarde-moi.
Avec effort, Bellatrix tourna son attention vers Lucius, qui la regardait avec tant de sollicitude. Il posa une main sur son front.
- Elle est toujours brûlante.
Bellatrix sentit ses lèvres s’étirer en un sourire. La paume de Lucius était si fraîche contre son visage et sa voix si douce.
- Je vais prévenir le maître que son état ne permettra pas qu’elle se présente devant lui, annonça Narcissa d’un ton que l’inquiétude rendait étrangement rauque.
- Tu crois qu’il risque de venir ici ?
Seuls un vague haussement d’épaules et un soupir répondirent à la question de Lucius, mais il pressa davantage, une anxiété stridente dans la voix.
- Je ne crois vraiment pas que ça soit une bonne idée. Elle n’a pas les idées claires et elle ne l’a pas revu depuis… enfin, elle… elle pourrait être plus déboussolée encore par son… apparence.
- Tu comprends bien que si c’est ce qu’il désire, je ne pourrais pas m’y opposer, et moins encore suggérer que son nouveau corps puisse être une source de désarroi pour elle.
Lucius se mordit la lèvre, quelque chose de larmoyant au fond des yeux.
- Bien sûr, mais, autant que possible, essaye de le faire patienter.
Narcissa hocha la tête, jeta un dernier regard lourd d’appréhension vers Bellatrix, puis disparut dans l’encadrement trouble d’une porte.
- Cissy, parvint à souffler Bellatrix d’un filet de voix douloureux.
Mais c’était inutile, sa sœur était partie. Bellatrix déglutit difficilement. Sa gorge était terriblement sèche.
- Shhh, susurra Lucius, lui passant une main dans les cheveux.
Il tint un verre contre ses lèvres et elle but avidement.
- Doucement, doucement, ne te rends pas malade.
- Le Seigneur…
- Ne t’inquiète pas, il attendra un peu que tu sois remise sur pied.
Bellatrix secoua la tête, mais les mots dont elle aurait eu besoin refusaient de franchir ses lèvres. Sa langue était pâteuse, ses paupières lourdes, tout son corps ankylosé.
- Lucius va lui parler, ne t’en fais pas. Il faut que tu te reposes. Tout ira bien, Bella, tout ira bien.
Les murmures de Lucius s’étaient faits de plus en plus lointains tandis que la pièce autour d’eux s’assombrissait et se refermait sur elle.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle se tenait au milieu d’une plaine aride. Un désert baigné d’une lueur crépusculaire, sans le moindre repère à perte de vue. Elle sentait à peine ses jambes, encore à demi-endormie, mais, en procédant doucement, pas à pas, elle parvint à avancer sans que le sol se dérobe sous ses pieds. Étrangement, elle ne laissait aucune empreinte sur le sol meuble. Quand elle se retournait, le paysage était exactement le même dans son dos que face à elle, sans le moindre signe de son passage. Le temps s’étirait sans qu’elle s’approche ou s’éloigne de quoi que ce soit, sans que la luminosité change, sans qu’elle sache si elle marchait depuis quelques minutes ou quelques heures.
- Bella.
L’appel, susurré comme au creux de son oreille, la traversa avec un frisson. Elle se retourna et elle le vit. Sa silhouette, étrangement à contrejour bien qu’aucun astre n’illumine la pénombre rougeoyante, mais reconnaissable entre toutes. Il était dos à elle. Elle essaya de s’approcher, pressant le pas malgré les fourmillements qui dévoraient ses jambes engourdies, mais la distance entre eux ne s’amenuisait pas. Pourtant, lui avançait paisiblement, son allure calme et souveraine.
Tandis qu’elle gardait ses yeux fixés dans son dos, le paysage autour d’eux avait changé et ils descendaient à présent en direction d’une dépression semblable à un cratère, l’empreinte fantomatique d’une mer évanouie. Des dépôts de sel blanchissaient le sol qui scintillait tandis que la lumière rasante du jour enflammait l’horizon. Bellatrix levait les yeux vers le ciel, encore sombre, mais déchiré de nuées incendiaires. Une aurore de sang, si vive qu’elle en avait le souffle coupé, si intense qu’elle en était presque douloureuse pour ces yeux qui, durant toutes ces années, n’avaient guère connu de couleurs.
Lorsqu’elle reporta son attention vers lui, elle vit qu’il pénétrait dans le cercle que dessinaient les rives de ce bassin à sec. Elle voulut l’y suivre, mais ses jambes, soudain exsangues et épuisées, perdirent toute sensation et elle s’écroula, à genoux dans la poussière. Elle ne put que l’observer tandis qu’il avançait jusqu’à se tenir au centre du lac tari. Il commença alors à se dévêtir, laissant sa cape tomber au sol à ses pieds, ouvrant sa robe et s’en dégageant doucement. Abasourdie et fascinée, elle contempla ce corps, dont quatorze ans n’avaient pas altéré le souvenir. Élancé et aguerri. Sa nudité sculpturale, marmoréenne.
Cependant, en laissant ses yeux courir sur son dos, elle remarqua une étrange ondulation. Un infime frémissement sous la peau d’abord puis, bientôt, de terribles convulsions, des rides profondes se creusant entre chaque côte tandis que le corps entier se tordait à des angles grotesques, désarticulés. Bellatrix, foudroyée d’horreur, regardait la scène sans pouvoir se lever. Elle était clouée au sol aussi sûrement que si ses jambes s’étaient jointes à la terre brûlée. Elle avait beau bander ses muscles, se débattre contre la torpeur, elle ne pouvait s’arracher au sable, soudain ardent comme de la braise.
- Maître !
Il ne l’entendait pas. Agité de soubresauts silencieux, il était hors d’atteinte. Elle pouvait voir les muscles se mouvoir et creuser des travées inquiétantes dans sa chair, mais il ne résistait pas. Ses bras restaient placidement le long de ses flancs, tandis que les doigts s’allongeaient, la peau s’étirant comme des gants trop grands qui glissaient vers le sol.
Un sanglot terrible était coincé dans la gorge de Bellatrix. Elle aurait voulu hurler. Elle ne pouvait qu’être le témoin haletant de cet atroce processus, la colonne vertébrale saillante, puis, soudain, défaite comme une rangée de perles, chaque vertèbre roulant sur son dos courbé tandis qu’il s’affaissait, sa nuque ne pouvant plus soutenir son crâne. La peau se détachait de la chair et la chair se détachait des os. Il se désagrégeait sous ses yeux. Les tissus, une fois fondus, dévalaient ses jambes en une matière épaisse, cireuse et irisée qui se répandaient à ses pieds. Bientôt, le cratère tout entier fut empli de cette substance laiteuse, miroitante, dans laquelle il disparaissait peu à peu. Incapable de le secourir, elle tendait tout son corps vers lui, vers le bassin qu’elle ne pouvait atteindre, l’eau semblant se retirer pour éviter le bout de ses doigts qui en effleurait presque la surface.
Il ne restait plus un signe de lui, plus une ride à la surface quand, enfin, Bellatrix put s’arracher au sol qui la retenait et se précipiter jusqu’au centre du lac, où il s’était tenu. Les eaux étaient poisseuses, aussi brillantes que du métal en fusion, mais douces, douces et tièdes et caressantes. Néanmoins, elle avait beau s’y accroupir, le cherchant à tâtons dans la vase soyeuse, ses mains ne trouvaient rien, remontant toujours vides. Quand, enfin, elles se refermèrent sur quelque chose, Bellatrix ne trouva qu’une poignée de dents au creux de sa paume et les regarda se dissoudre à leur tour, lui glissant entre les doigts pour n’y laisser qu’un résidu scintillant et visqueux.
Pourtant, au lieu de l'angoisse et du désespoir attendus, c'était un curieux bien être qu'elle sentait monter en elle. S’il avait véritablement été rendu au néant, elle aurait voulu l’y suivre, s’y noyer à son tour. Mais elle ne pouvait le croire parti. Il était partout, sous ce ciel rougeoyant, dans ces eaux troubles, dans la brise sifflante qui s'était soudain levée.
La fatigue, la terrible faiblesse qui l’avait rongée jusqu’à la moelle s’évaporait peu à peu au contact de ce fluide satiné. Une vitalité nouvelle lui courait dans les veines. Et, en baissant les yeux vers son propre corps, elle pouvait voir qu’elle avait retrouvé sa force d’antan. Ses mains n’étaient plus ce tressage ignoble de veines et de tendons. Là où elle avait eu des membres décharnés, tordus par les absurdes protubérances de ses coudes et de ses genoux, elle avait à nouveau des bras et des jambes, galbés et endurants, capables de courir et de se battre, capables de le servir.
La surface du lac était lisse, comme si elle ne l’avait jamais perturbée par ses recherches frénétiques. Lisse et brillante comme du verre, elle reflétait les nuées couleur flammes. Bellatrix, elle, ne jetait ni ombre ni reflet dans le bassin. Elle se tenait là, à attendre, sans qu’elle sache quoi, tandis que le temps perdait à nouveau toute consistance et que l’eau miroitante l’emplissait d’un curieux vertige, le ciel et le sol, inversé ou mêlé, se refermant sur elle comme une étreinte. Cette douce chaleur s’emparait d’elle, cette envie de s’allonger dans le bassin de mercure liquide, de s’y recroqueviller. Elle avait tout simplement besoin de repos. Tout irait bien. Tout irait bien.
Mais, alors même qu’elle s’abandonnait à cette sensation étrange, s’enfonçant en elle-même, une vibration l’arracha à l’engourdissement. Un murmure souterrain qu’elle sentait sous la plante de ses pieds, profondément enfoncés dans la vase. Un tremblement qui, bientôt, ridait l'eau de remous et résonnait en elle comme une sourde musique. Elle se tenait au beau milieu du bassin, en plein centre de ce tumulte. Là, le courant paraissait s'inverser, les cercles concentriques s'effondrant sur eux-mêmes, un ricochet revenant à sa source. Soudain, le bouillonnement cessa et l’eau elle-même se dressa à quelques pas de Bellatrix, formant une vague figée qui la surplombait mais ne déferlait pas. Tétanisée et fascinée, elle regardait l’étrange phénomène, l’eau qui se retirait doucement, tel un voile, laissant derrière elle un pilier de pierre, pareil à une stalagmite. En ruisselant pour rejoindre le bassin, l’eau creusait ce bloc calcaire, cette statue de sel aux contours imprécis, lui sculptant une silhouette de plus en plus distincte. Des siècles d'érosion en une poignée de secondes. Et cette forme, blanche comme l'émail, comme la perle, comme le marbre, Bellatrix la connaissait si bien, même couverte comme elle l'était de cette curieuse cape iridescente qui dissimulait ses traits.
- Maître ?
- Pas tout à fait.
La voix était peut-être un peu plus aiguë que dans son souvenir, mais c'était indubitablement la sienne, douce et froide, avec cette pointe d'ironie, une caresse du tranchant de la main.
D’un geste lent, semblant vouloir ménager son effet, il saisit le bord de son capuchon et le retira. Bellatrix fit un pas en arrière, manquant de trébucher. Là où elle avait été si certaine de trouver son maître se tenait une femme. Un sourire sardonique étirait ses lèvres fines, illuminant les traits ciselés dans l'ivoire.
- Eh bien, ne me reconnais-tu pas ?
- Si, bien sûr
Elle avait répondu sans réfléchir, pour apaiser le reproche qu’elle sentait poindre, mais, étrangement, elle n’avait pas menti. Ce haussement de sourcil inquisitif, ces yeux écarquillés par une surprise feinte, cette fossette moqueuse. Sous les traits redessinés, c’était les mêmes expressions. Dans la voix, les mêmes inflexions. La même odeur, la même présence. Le même regard posé sur elle. Envers et contre tout, oui, elle le reconnaissait. Elle le reconnaissait malgré les boucles sombres et ruisselantes qui cascadaient sur ses épaules et encadraient l’ovale de son visage, se collant à sa peau que l’eau du bassin avait imprégnée de son lustre miroitant. Elle reconnaissait les pommettes saillantes et le relief ourlé de ses lèvres, le rougeoiement de ses iris, l’intensité sourde sous cette surface si paisible.
Cette femme ressemblait à la fois au Seigneur des Ténèbres et à Bellatrix elle-même. Cette dernière levait les yeux vers ce visage si étrange et si familier, le vertige des premiers instants laissant place à un soulagement désespéré qui lui serrait la poitrine. Elle avait tant attendu de le revoir. Elle aurait voulu le toucher, ce mirage, ce miracle. Mais elle craignait qu'il ne s'efface, cascadant comme de la cendre entre ses doigts. Et puisque, assurément, c'était bien lui, elle craignait aussi qu'il la réprimande pour l'insolence de ce geste. Elle aurait également voulu parler, l'interroger, percer le secret de cette étonnante gémellité et savoir ce qu’il était advenu de lui pendant toutes ces années. Mais quels mots poser sur tout cela, après quatorze ans de silence, quatorze ans à lui parler tout bas, plongée dans un puits sans fond qui ne lui renvoyait que les échos difformes de sa propre voix ?
Comme en réponse à son trouble, il lui tendit la main. Elle esquissa un geste pour la saisir, mais il fit un pas en avant et attrapa plutôt son coude, entrelaçant leurs avant-bras. Pouls contre pouls. Un frisson la parcourut. Le même frisson que toujours. Qu’il lui apparaisse à présent sous les traits d’une femme n’y changeait rien. Elle avait entendu les murmures de Lucius et Narcissa, leurs messes basses à son chevet, parlant à mots couverts du nouveau corps du maître. Comme si cela avait la moindre importance. Elle l’aurait aimé s’il lui était revenu défiguré, difforme, infirme. Une femme. Une femme, ce n’était au final pas grand-chose. S’il le fallait, elle l’aimerait en femme. Qu’importe l’enveloppe. Ce qu’elle chérissait était bien plus profond. Qu’importe le flacon, car l’ivresse était là, inaltérée, frémissante à son toucher.
Il prit ses mains entre les siennes et les guida vers son cou, les posant contre le laçage qui fermait sa longue cape nacrée. Elle leva les yeux vers lui, incertaine, et il lui enjoignit d’un hochement de tête de dénouer le flot. Bellatrix, dans un état second, se vit obéir, tirant doucement, regardant le lacet glisser et quitter un œillet après l’autre, ouvrant l’encolure peu à peu. Elle lui ôtait cette tunique comme il lui avait retiré autrefois sa robe de mariée, rejouant la scène dans le miroir déformant de ce bassin opalescent.
L’étoffe était légère et froide, liquide comme de la soie, coulant sur lui pour rejoindre l’eau à leurs pieds et s’y dissoudre à nouveau. Bellatrix osait à peine le regarder. La regarder. Et pourtant, elle ne parvenait pas non plus à la quitter des yeux. Si le corps avait toujours cette même stature, imposante et affutée, la nudité rendait les changements indéniables. Sous ses clavicules, ce n’était plus une ligne pure et ininterrompue de son torse à son ventre, mais la courbe de deux seins, à hauteur de regard, puis le creux de la taille et le bombé des hanches et, plus bas le discret relief du pubis. Bellatrix sentit une main se refermer à l’arrière de sa nuque, la forçant à lever la tête et plonger ses yeux dans les siens. Il pouvait bien sonder son esprit, il n’y trouverait aucun dégoût, aucun rejet, aucun doute.
Elle n’avait jamais regardé une femme de cette façon. Mais, après tout, elle n’avait jamais posé ce regard-là sur aucun autre homme non plus.
Derrière ce masque changeant, derrière ces yeux inchangés, il y avait des décennies de mémoire, de leur mémoire, les couloirs étouffants du manoir de son enfance, le premier cadavre qu’elle avait couché à ses pieds, son mariage et toute sa colère, le serment scellé dans les reflets de la fontaine, tout ce qu’il lui avait appris, toutes ces choses confiées au-delà des mots. Dans ce regard, comme dans aucun autre, elle trouvait une image d’elle-même qu’elle reconnaissait.
Elle fit un pas, fermant tout à fait la distance entre eux, pressant son corps contre le sien et un baiser sur sa gorge, là où sa pomme d’Adam s’était autrefois trouvée. Elle aurait voulu, si elle avait pu, se tenir plus proche encore.
Elle sentit sa main quitter sa nuque et ses doigts se glisser sous l’ourlet de sa robe, contre ses épaules. Il tira, mais le tissu se désagrégea plus qu’il ne se déchira. Puis, une fois qu’elle fut nue face à lui, il posa la pointe de son index dans le creux à la base de sa gorge et, lentement, sans la quitter des yeux, traça du bout du doigt une ligne, la même que les couteaux des chasseurs et des bouchers dessinent sur les bêtes qu’ils éviscèrent. Une ligne qui descendait entre ses seins, au centre de son ventre, passant sur son nombril, et jusqu’entre ses jambes. Tandis que les cercles qu’il décrivait en elle lui tirait des soupirs haletants, son autre main saisit la sienne et, entrelaçant leurs doigts, la guida vers sa poitrine, la laissant caresser cette peau d’albâtre, veinée de bleu, palpitante. Ce corps qui avait semblé si évanescent, voilà qu’il était solide et ferme et vivant sous ses paumes, se soulevant au rythme de leurs deux souffles.
Penché sur elle, il pressait ses lèvres contre sa tempe, répétant encore et encore cette phrase sifflante, ce mantra susurré, ces mots qu'elle ne pouvait discerner mais qui avaient toujours sonné à ses oreilles comme une promesse. Elle ne les avait jamais oubliés. Et, dans un souffle, elle les lui répéta, comme un secret, comme un sésame. Il se redressa pour la regarder, une lueur nouvelle dans les yeux. Il déposa un baiser sur son front. Elle sentait, au mouvement de ses lèvres, qu’il souriait, la crénelure de ses dents se pressant contre la courbe de son crâne.
- Ma fidèle, ma plus fidèle, ma précieuse.
Puis, cette dernière sonorité sifflante s’allongea tandis qu’il glissait à nouveau dans cette langue qui lui échappait, tissant autour d’elle son inintelligible litanie, ses caresses se faisant plus ferventes encore.
Il jetait sur elle son ombre immense, obscurcissant le ciel et les reflets irisés du bassin. Elle enfuit son visage contre son cou. Il n’y avait, de toute façon, rien au monde qu’elle aurait voulu voir maintenant qu’elle l’avait retrouvé. Rien d’autre que lui. Qu’elle. Sous cette forme ou sous une autre. Sa main au creux de son dos, sur sa poitrine, entre ses cuisses. Ses doigts crochetés en elle. Il lui semblait que ses bras étaient partout, innombrables et caressants, tandis qu’ils s’enfonçaient ensemble dans la vase soyeuse comme dans des sables mouvants et qu’ils s’enfonçaient l’un dans l’autre, entremêlés, indissociables. Sans frontière. Une seule et même substance, en fusion, qui se faisait et se défaisait, se refusant à tout moule.
Lorsque Bellatrix entrouvrit à nouveau ses paupières, la lumière s’y ficha comme une aiguille chauffée à blanc, lui arrachant un faible gémissement. La fatigue s’était à nouveau abattue sur elle comme une chape de plomb la clouant à son lit. Loin de l’iridescence du rêve, elle était toujours confinée à ce corps rongé et maladif. Elle levait une main pour protéger ses yeux lorsqu’une forme à sa droite se déplaça, s’interposant entre son lit et la fenêtre qui la baignait d’un jour aveuglant. Elle ne pouvait pas distinguer ses traits tant sa vue était trouble, mais elle savait que c’était lui, cette figure à contrejour. Et, déjà, elle devinait qu’une nouvelle métamorphose avait eu lieu, car la lumière s’accrochait à son crâne nu. Ni les cheveux noirs d’autrefois, peignés en arrière, ni les rivières de boucles sombres, si semblables aux siennes. Tandis que ses yeux se faisaient à la luminosité, les ombres lui dessinaient peu à peu un visage. Un visage glabre, sans cils ni sourcils. Une bouche sans lèvres. Des yeux presque sans pupilles. Un nez comme dépourvu d’arête. Et sa peau, blanche comme la cire, comme l’ivoire, comme les os. Et, alors qu’elle le détaillait, ses yeux à lui cherchaient les siens, cherchaient la peur, l’horreur, la répulsion.
Rien. Rien ne pourrait jamais me détourner de vous.
Elle leva une main et la tendit vers son visage mais il eut un mouvement de recul et arrêta son geste en saisissant son poignet. Il reposa sa main sur le couvre lit, entre les siennes.
- On m’a dit que tu étais souffrante. A les écouter, on aurait pu croire que tu avais un pied dans la tombe. Je suis venu m’assurer qu’ils mentaient.
Elle inspira et s’humecta les lèvres, ne voulant pas lui répondre de cette voix souffreteuse qu’elle sentait lovée en travers de sa gorge, malingre et rauque.
- Je serai remise bientôt, mon seigneur, et prête à vous servir.
Je ne vous abandonnerais jamais ainsi.
Il hocha la tête.
- Non, je le sais bien.
De son pouce, il caressait le dos de sa main. Ses yeux se fermaient à nouveau, doucement, et le soleil à travers ses paupières était aussi rouge que le ciel de ce désert qu’ils avaient traversé ensemble.