Année 2180, Petite Terre quelque part dans l'Univers
Le conflit s'enlisait. Les manifestations s'enchaînaient, les tracts volaient, les journaux publiaient des tribunes, des interviews, des photoreportages. Les militants allaient sur le terrain. Des confrontations avaient lieu.
Elles opposaient deux visions du monde, du même monde. D'un côté, un demi-monde extractivisme qui quantifiait l'argent gagné à l'aune de la quantité produite - la définition du PIB n'avait jamais été révoquée, et pourtant il y avait de quoi songer. De l'autre côté, un demi-monde qui brandissait le symbole du feu GIEC et se référait à la science et aux lois intangibles de la physique - l'on ne peut envisager de croissance infinie dans un système aux ressources finies.
Au milieu, des humbles humains souffraient. Chaque été apportait son lot de Feudeymons, ces grandes canicules qui transformaient le Sud du Pays en brasier. Chaque hiver voyait l'Aguamanti, un unique mois de pluie, s'abattre sur le Nord du Pays, mais pluie inutile, trop drue, trop courte, trop intense, qui ne passait pas la barrière sacrée du béton et emplissaient les maisons. Des espèces invasives, Chauve-Furies criantes, Saule-Cogneurs rampants, Aragogs infectieux et Magyars dévastateurs s'installaient partout et broyaient les fragiles écosystèmes. Le Lac Noir et la Forêt Interdite, autrefois parcs naturels protégés, furent ainsi et malgré tout ravagés.
Le Royaume-Désuni était en proie au dérèglement climatique et à ses conséquences.
Et les gens d'en bas avaient faim. Ils demandaient, dans la rue, pancartes à la main, en grandes manifestations de désespoir, des tartes à la mélasse. La mélasse était un mélange insipide de diverses légumineuses et divers légumes. C'était le repas économique par excellence, alors la plupart des gens se nourrissaient de ça. La mélasse. Rien que le terme rime avec "dégueulasse" : c'est la juste impression.
Il faut dire que les ressources de production d'énergie était devenues affreusement inaccessible depuis les Temps Glorieux des Cent Décades. Or, l'énergie, c'était le travail, au sens thermodynamique du terme - travail mécanique, travail électrique - et le travail, en ce monde, était donc le travail, au sens économique du terme - la source des revenus. Donc, l'argent.
Les gens d'en haut continuaient à produire et acheter des biens avec le même entrain et la même ferveur qu'aux Temps Glorieux des Cent Décades. Ils avaient l'argent, donc ils avaient accès à tout : aux infrastructures de transport, au chauffage, à l'électricité. Les gens d'en bas, eux, entassés dans des logements insalubres, étaient réduits à trouver que leur dignité se trouvait dans des tartes à la mélasse. Toutefois, les informations circulaient vite sur les vieux téléphones portables des gens d'en bas : cette technologie éculée était largement suffisante pour diffuser le terreau de la colère, en dépit des beaux et nouveaux Miroirs à Double Sens de ceux d'en haut.
On aurait bien aimé que l'argent ruisselle un peu plus que l'information et un peu moins que le terrible Détraqueur.
Le Détraqueur était cette forme noirâtre, suffocante, étouffante, ce concentré de charbon qui flottait dans l'air au-dessus de Chemin de Traverse - le surnom que l'on donnait à Londres, tant y rester plus de quelques jours était épouvantable pour les poumons. Seuls les occupants de la City avaient les moyens de se procurer les Têtenbulles, ces dispositifs de respiration d'air conditionné et oxygéné.
Bref.
Tout revenait au fléau et à l'apogée des Temps Glorieux des Cent Décades, au progrès ambigu de l'humanité, à la source des remèdes et des problèmes, au tournant de l'Histoire sur tant de plans, à l'addiction effrénée et aux besoins pourtant primaires de l'Homme : le charbon et les hydrocarbures.
Le monde du charbon était représenté par la MANGEMORT Corporation. MANGEMORT était un acronyme signifiant : Mining of All the Naphtha, Gaz, Etane, Metane, Octane Resources Trade. On appelait, par facilité, ses actionnaires, directeurs, adhérents, sympathisants, les Mangemorts. Le PDG de cette association d'entreprises, elle-même SA monstrueuse de puissance, était Tom Jedusor. Son pouvoir politique égalait évidemment sa force de frappe économique : il était Lord Voldemort à la Chambre des Pairs, et murmurait à l'oreille du Roi Harold Minchum.
Les plus grands actionnaires de ce consortium étaient les Black et les Malefoy. La famille Black détenait le brevet de Kreattur, une machine capable de démultiplier encore et encore les capacités extractives. Le fils aîné, Sirius, avait refusé de rejoindre l'entreprise, ce qui avait fait jaser dans La Gazette, le journal que tout le monde, d'en haut comme d'en bas, lisait alors. La famille Malefoy, elle, avait le monopole sur le marché des Armoires à Disparaître, des dispositifs avancés et coûteux de raccordement aux transformateurs du courant créé à la turbine d'une centrale de production d'énergie électrique.
Les Mangemorts étaient les tenants à la fois d'un responsable du changement climatique - le charbon et les hydrocarbures, d'un symbole de l'inadaptation des sociétés au changement climatique - le refus de la sortie du charbon et des hydrocarbures, et d'une société au modèle économique injuste et égoïste - la capitalisation et l'infrastructure fondées sur le charbon et les hydrocarbures.
Pourtant, d'autres solutions existaient. En témoignait le récent arrangement de ceux qui y croyaient dans l'Ordre du Phénix, afin de gagner en visibilité, poids politique, temps de parole et écoute dans les médias. Phénix était un jeu de mots sur l'acronyme PHENIX, tenant pour Perséphone, Helios, Eole, Nilos, Idothée, Xaos. Patronymes grecs antiques de déesses et de dieux : de la terre souterraine pour la géothermie, de l'astre du jour pour le solaire, du vent pour l'éolien, du fleuve terrestre pour l'hydraulique, de l'onde océanique pour le marin, du vide autour duquel gravitent les choses pour l'atome.
Le point commun de cette organisation : tous ses représentants souhaitaient une production d'énergie décarbonée, raisonnée, pilotable dans l'ensemble mais aussi incitative à la sobriété énergétique pour tous. Ils voulaient un système harmonieux, certes pas parfait - car toute activité humaine a son prix carbone comme ses inconvénients pratiques - mais qui réponde aux enjeux de la transition énergétique et de l'adaptation au changement climatique.
L'association était présidée par Albus Dumbledore, qui avait été, il y avait bien longtemps, un actionnaire d'un fournisseur de gaz naturel allemand, GrüneWald, souvent détourné en "GreenWashing" par ses détracteurs. Malgré ce passé parfois reproché, il était désormais inflexible sur la question énergétique. Ainsi, comme aucun autre politique du Ministère ne semblait s'y intéresser, il était devenu le fer de lance naturel du mouvement.
D'autres organisations s'y retrouvaient. Des membres du Département des Mystères, y compris des Langues-de-Plomb tenus au secret industriel sur le sujet de la fusion nucléaire, en faisaient partie. C'était le cas de James et Lily Potter, jeunes chercheurs, et, d'après leurs pairs, prometteurs. Des membres du Bureau des Aurors (Autorité sur l'Utilisation du REP et Organisation pour le Respect de la Sûreté), c'est-à-dire de l'industrie de la fission atomique, étaient également à l'Ordre. Alastor Maugrey, le dirigeant de ce bureau sous contrôle de l'État, était extrêmement réputé pour son intransigeance. Expert en mécanique de métier, il s'appuyait sur la figure de Kingsley Shackebolt, docteur en sciences du combustible. Des jeunes ingénieurs qu'ils formaient se trouvaient aussi là : Alice et Frank Londubat, Gideon et Fabian Prewett...
Les rangs comptaient aussi notablement Sirius Black, certes fils déchu de Mangemorts, mais avant tout spécialiste en rayonnement solaire, Remus Lupin, professeur en analyse et gestion du risque, Molly Weasley, chimiste, Arthur Weasley, contrôleur qualité, Xenophilius Lovegood, directeur d'une revue de solide renommée scientifique sur les énergies renouvelables ou décarbonées, Mondingus Fletcher, prospectiviste sur le sujet des terres rares, des métaux et de l'uranium, Bathilda Tourdesac, historienne de l'anthropocène, et tant d'autres encore.
L'acmé du conflit se trouva au mois de juin.
Ci-dessous se retrouvent reproduits des extraits d'échanges de mails entre Lily et James Potter. Ils viendront, succinctement, en présenter la substance.
Lily : "Je suis contente de ce résultat. Cela voudrait dire que nous aurions brisé le dernier verrou technologique concernant la fusion."
James : "Je n'ose pas y croire. La nouvelle est trop bonne. Je te suggère de reprendre d'abord chacun nos parties depuis le début, puis de les passer à l'autre. Ensuite seulement nous chercherons à faire lire par des vérificateurs externes. Nous pourrions inclure Pandora Lovegood dans la boucle, elle saura nous apporter son éclairage sur l’ionisation."
Lily : "Ça marche. [...]
Pour ma part, j'ai supposé que la dernière hypothèse sur le facteur F était sous-conservative, qu'on ne prenait pas le maximum. Ça veut dire qu'il existerait un cas caché, si l'on peut s'exprimer ainsi. Je te donne ci-joint les comptes-rendus de mes calculs et mes scripts, comme cela tu verras le procédé d'automatisation par toi-même. Je l'ai fait en mode bourrin haha, mais au moins la preuve est exhaustive. Ça m'a donné de l'idée et j'ai trouvé un calcul mathématique de coin de table qui vient concorder avec nos ordres de grandeur. [...]
Pour la discrétisation spatiale du calcul, on est bon. J'ai pris plus raffiné, mais vraiment beaucoup plus, en mode un point un node (qui fait ça ? ==> personne) et forcément ça a planté, le calcul prenait trop de place en mémoire. Donc j'ai fait une sensibilité et en poussant au maximum la capacité de la machine, j'ai trouvé des choses intéressantes. Enfin, intéressantes : il ne se passe pas grand-chose, c'est pour ça qu'on est bon. [...]"
James : "J'y crois paaas. Tu es tellement, tellement forte, Lily. Je t'aime, épouse-moi."
Lily : "Pas de perso au travail. Emoji deux yeux. Emoji cœur. C'est un oui."
Leur démonstration tenait en une méthode, qu'ils avaient appelée Harry (Heuristic Analysis on the Reuse in Reactors of Ytterbium). Et elle était incroyablement solide. Le Bureau des Aurors la valida et l'Ordre du Phénix commença à songer à se positionner au Ministère de l'Énergie pour demander les fonds pour au moins un prototype, au mieux une industrialisation.
Cependant, tout bien considéré, et ayant conscience qu'ouvrir le principe de la fusion allait attirer aussi des gens aux principes éthiques douteux, ils furent d'accord avec Dumbledore pour ne pas ébruiter trop vite l'information. Ce dernier voulait s'assurer que la possibilité de la fusion n'allait pas ouvrir un nouveau marché spéculatif, une abondance de productions qui se décorrèlerait totalement de la finitude des ressources, enfin que les processus pourraient être contrôlés par l'État et une autorité indépendante et bien sûr la population en collégialité. Aucune des conditions politiques n'étaient réunies, même si, pour le bien commun, le plus tôt aurait lieu la sortie des énergies fossiles, le mieux ce serait.
La première chose à laquelle ils pensèrent tous fut de déposer un brevet. Dumbledore organisa donc la mise en place et le dépôt d'une enveloppe Fidelitas. Par les temps qui courraient, il demanda à James et Lily s'ils voulaient bien qu'une troisième personne appose sa signature. En effet, Lily et James participaient très activement aux manifestations et l'on avait peur parfois presque pour leur vie - oui, pour leur vie. D'ailleurs, ils étaient si réputés en tant que chercheur qu'ils avaient fait l'objet, par trois fois, de raids, d'accusations diffamatoires ou de tentatives de spoliations de la part de mercenaires peu scrupuleux, payés par Lord Voldemort. Le raisonnement pouvait de fait être étendu à tous les Langues-de-Plomb qui avaient travaillé sur le projet. Alors on savait des deux côtés que quelque chose se passerait un jour.
C'est tout naturellement que Lily et James décidèrent d'inclure leur ami Sirius dans le secret de leur invention. Celui fit d'abord très flatté, mais perçut tout de suite des motifs d'inquiétude. C'est ce que prouve sa conversation sur le réseau social Hiboux, dont quelques extraits peuvent être divulgués.
"..... Mec c'est incroyable ! Passez à la maison prendre une bière au beurre pour fêter ça ! La guerre de l'énergie est finie !!"
Après, il avait inséré un gif de centrale nucléaire, puis un emoji feu et enfin un emoji "j'ai chaud". Mais ses propos se firent alarmistes dès les jours suivants.
"Cornedrue, j'ai bien réfléchi. Franchement, tu me dis hein, pas de secrets entre nous, perso je pense que ça craint et ça ne veut pas dire que je refuse l'offre de Lily et toi. D'ailleurs tu vois j'écris "offre" : vraiment, pour moi, ce n'était pas un fardeau, vous me connaissez, j'aime le risque quoiqu'en dise ce ronchon de Lunard et je vous adore. C'est juste que c'est teeeeellement évident, t'as pas idée. Prenez plutôt Queudver, ça se verra moins, le temps que les choses se tassent."
Il avait tout de même mis un emoji loup derrière "Lunard", probablement un délire personnel que les historiens ne sauraient déchiffrer aujourd’hui. Cela illustre l'entente entre les deux hommes, diront certains, mais ce n'est qu'interprétation. Toujours est-il que la conversation prend un tour plus sombre.
"Frérot, j'ai bien réfléchi. Je passe à Godric's Hollow dès que vous le pouvez. L'heure est grave."
"Je crois que Regulus a voulu jouer le lanceur d'alerte. Fais chier... Ça fait quatre ans qu'on ne se parle plus du tout mais ça remue quelque chose en moi."
"L'enterrement est prévu mercredi. Il n'y aura presque personne de l'autre monde. C'est con, ils assument pas qu'ils avaient un mouchard mais maintenant tout le monde va le savoir."
"Non, pas vraiment espion. Disons qu'il a ouvert les yeux. Mais je ne peux pas t'en parler ici. Je passe ce soir stv."
Le langage s'abrégea de plus en plus pour devenir complètement SMS. L'urgence était là. A posteriori, on aura compris que Sirius se doutait des manœuvres de son frère Regulus, lequel enquêtait sur des soupçons de sept fraudes fiscales massives qui auraient pu expliquer aussi bien l'opulence privée de Lord Voldemort que l'absence de rentrées d'argent du pays. Regulus avait obtenu la preuve de la première d'entre elle, avant de mourir, jeune, par une cause inexpliquée. Et Sirius accusa alors les Mangemorts.
Très affectés par cette nouvelle, les amis admirent que le choix de Sirius aurait été trop évident. Ils furent d'accord pour livrer leur secret à Peter Pettigrow, un autre fidèle de leur groupe.
Mais, même parmi les fringants scientifiques du Phénix, la corruption n'était jamais très loin. Peter Pettigrow avait peur parce qu'il avait peur de ne pas manger à sa faim, parce qu'il avait peur d'être expulsé de chez lui et parce qu'il avait peur de se retrouver seul, le soir, au milieu des rats de Londres. Peter Pettigrow voulait d'un autre monde, mais qui vienne à lui sans qu'il n'ait besoin d'aller le chercher. C'était peu de dire qu'il voulait que les autres luttent pour lui : il n'hésita pas, par pur égoïsme, à saisir l'opportunité qu'on lui tendait.
Ce n'était que de l'argent.
Tant qu'on avait la fusion…
Et bien on aurait la fusion ! Qu'est-ce que cela pouvait faire que ce soit les Mangemorts ou l'Ordre qui pilote le projet ?
Il avait besoin d'argent.
Il avait peur.
L’argent dissiperait la peur. L’argent lui donnerait de quoi manger et se loger et il n’aurait pas à descendre parmi les rats de Londres.
Alors, rompant l'enveloppe Fidelitas qui contenait, sur un polycopié de trois cent quatre-vingt-quatorze pages, la dernière démonstration de Lily et James, il trahit tout à la fois le secret, Lily et James et Harry.
Harry fut livrée sans merci à Lord Voldemort, et Lily et James avec.
Ces derniers moururent aussi dans des conditions douteuses, jeunes et amoureux et heureux de vivre pourtant et militants pour un monde meilleur jusque dans la mort. Un monde d'énergie propre, respectueux de ses ressources, de sa biodiversité, de ses environnements et de ses écosystèmes. La fusion n'avait pas vocation à être parfaite, mais au moins pouvait-elle participer aux adaptations nécessaires de l'humanité pour y arriver.
Ce coup de maître de Lord Voldemort ne signifia pas l'avènement de la fusion. En effet, il fallut encore dix-sept ans et la perpétuation du travail de l'Ordre du Phénix pour qu’elle advienne. Ces hauts faits sont relatés dans la Chronique de la Fin de la Guerre de l'Énergie.
Il convient ici de stipuler tout de même pourquoi le récit de la Guerre de l’Energie Electrique ne touche pas ici sa fin : Tom Jedusor n'avait juste pas prévu que, malgré sa huitième manœuvre illégale, il n'avait rien compris à Harry.