Elle allait le faire.
Mary fut encore plus silencieuse que d'ordinaire lors du voyage. Face à elle, Lily, Marlene, Remus, Sirius et une fille de Serdaigle jouaient au tarot. Mary ne connaissait pas du tout celle-ci, probablement une connaissance de Lily, et pas très bien Remus et Sirius. Ils étaient chacun ami de l'une de ses amies, c'était tout. James, à côté d'elle, discutait avec Peter de poèmes français. James lisait parce que c'était une habitude dans son milieu social, Peter avait de ça aussi, mais il y avait surtout de la passion qui prédominait dans sa voix. Mary les écoutait d'une oreille distraite.
À choisir entre le jeu et l'art, elle préférait l'art.
Elle en profitait pour regarder Marlene. Cette dernière levait de temps en temps les yeux sur elle, et souriait alors en rentrant sa tête dans ses épaules, les yeux plissés de joie. Puis, elle se concentrait à nouveau sur sa manche. Là, elle était partie à carreau et on venait de découvrir que Remus, abattant sa dernière carte, était le porteur du roi, alors que Marlene avait spéculé sur Lily depuis le début. Il en résulta des cris vifs et enthousiastes. Marlene, donnant tous ses points à Lily, avait bel et bien perdu.
Ils recommencèrent. La fille de Serdaigle réussit à récupérer une carte maîtresse du jeu en deux coups. Sirius fit rire tout le monde en mimant le fait de quitter la ronde ; on devina bientôt, à ses gloussements, que Lily était avec lui.
Mary se sentait bien ici, dans cette atmosphère à la fois criante et sereine, parce que toutes les velléités ici étaient aussi futiles que vite pardonnées. Elle était ici avec tous ses amis, tout ce qui donnait du sens à sa vie à Poudlard, tout ce qui lui donnait de l'amitié et de l'amour. La fille de Serdaigle et Remus gagnèrent la dernière partie avant que l'on décide de manger.
Elle allait le faire.
***
"Maryyyyy !"
Mary n'aurait pu manquer son petit frère crier et s'agiter sur le quai. Grâce à lui, nul besoin de définir de point de rendez-vous ! Il avait encore bien grandi, le petit John. Il enserra la taille de Mary de ses bras potelés et elle put déposer un bisou sur le haut de son crâne.
"Maman, dit-elle lorsque sa maman s'ajouta au câlin collectif."
Cette dernière écourta l'étreinte, au motif qu'elle trouvait que sa voiture était garée dans un coin propice à se faire érafler la peinture du rétroviseur. Elle déchargea rapidement sa fille de sa valise, et la petite famille se dirigea vers la sortie du hall.
"Tout le monde est-il bien installé ? Les ceintures sont-elles bien mises ?
- Oui Maman ! s'écria John, plein d'enthousiasme.
- Oui, Maman, répondit Mary, davantage réservée, comme à son habitude."
Leur maman leur sourit à travers le rétroviseur, puis elle installa le contact et démarra. Ils passèrent d'abord au supermarché faire des courses en gros pour la quinzaine à venir, puis enfin retournèrent chez eux.
"John, ne porte pas des choses trop lourdes, nous ferons un aller-retour ! Mary, laisse ta valise, je vais m'en occuper."
Une fois les choses courantes de la vie réalisées, à savoir enlever ses chaussures, se laver les mains, ranger les affaires et surtout mettre la nourriture fraîche au réfrigérateur, chacun put vaquer à ses occupations. Mary s'occupa en premier de ranger convenablement ses justaucorps, ses collants et ses chaussons de danse bien à leur place dans son armoire. Elle tria ensuite ses trois paires de pointes, en pensant mentalement au moment le plus propice pour faire son annonce. Sa maman était en train de passer un coup de téléphone pour le travail, ce qui pouvait durer longtemps.
Elle allait le faire.
Elle sortit son matériel, dont l'odeur la charmait toujours, puis alla s'installer sur la table à manger, étendant du papier journal pour ne pas l'abîmer. Elle posa dessus sa paire de pointes la plus usée, un pinceau et un pot de vernis à bois. Elle l'agita, l'ouvrit, trempa l'extrémité du pinceau et entreprit de couvrir l'intérieur du chausson, au niveau de la partie dure, d’un peu cette pâte gluante, pour que ses pointes puissent durer plus longtemps.
Elle était concentrée. En face d'elle, sa maman allait et venait dans le salon, s'asseyant brièvement dans le canapé pour noter deux ou trois choses dans son carnet, posé sur une table basse en verre, puis reprenant sa marche.
"Écoute, on en reparle demain au bureau. Ça n'est pas aussi urgent que tu ne le penses, si tu demandes à Robert de te donner un mot sur le dossier."
Mary n'entendit pas la réponse, étouffée dans le combiné. Elle avait fini de réparer ses chaussons, et les posa à plat sur le papier journal, les rubans soigneusement éloignés de la colle, avant d'aller s'installer dans le canapé, elle aussi.
"À demain ! Bonne soirée. Oui, oui. Bien sûr. Non, ça ira. Bonne soirée !"
Sa maman raccrocha, puis s'approcha de Mary, toujours assise.
"Alors, Mary, contente de revenir ?"
Elle hocha rapidement la tête.
"Tu n'as pas eu les résultats de tes examens, je présume.
- Non, nous les recevrons cet été.
- Je crois que tu veux me dire quelque chose. Me trompe-je ?"
Mary fit un signe de tête. Son cœur commença à battre plus fort.
Elle allait le faire.
Maintenant.
"C'est juste... Il y a une fille que j'aime beaucoup à l'école.
- À la danse, ou à Poudlard ?
- À Poudlard.
- C'est bien, non ? Ma chérie, tu n'avais pas l'air très heureuse de devoir aller là-bas, on a dû batailler pour que tu puisses continuer la danse à côté, c'est bien que tu y aies des amis ! Non ?
- Euh, oui, oui. Mais quand je veux dire que je l'aime beaucoup..."
Elle se baissa les yeux, tritura les plis de sa jupe. Elle contempla le bleu sur son genou droit - restant d'une chute après avoir glissé à la réception d'un saut. Sa maman se rapprocha d'elle, passa un bras autour de ses épaules et lui caressa le coude de sa main restée libre, puis se pencha vers elle.
"Oui ?
- Nous nous sommes embrassées.
- Embrassées ?
- Sur la bouche."
Elle l'avait fait.
"Oh, Mary, c'est de ton âge, d'embrasser des garçons sur la bouche, alors pourquoi pas les filles ? Tu n'as jamais rien fait comme personne, ma chérie. Je m'en suis un peu doutée, tu le penses bien, c'est Marlene, cette jeune fille que tu vois souvent l'été, n'est-ce pas ?
- Oui, c'est Marlene.
- C'est normal, Mary, tu es une danseuse, les danseuses sont des filles libres et indépendantes. Les danseurs aussi sont des garçons libres et indépendants, d'ailleurs. Vous êtes des artistes, vous êtes en avance sur votre temps. Voilà tout."
Voilà tout.
***
Après le dîner, sa maman entraîna John dans sa chambre, sous un prétexte que Mary n'entendit pas, car la porte du salon-salle à manger s'était refermée. Elle se trouva donc seule avec son papa.
"Tout va bien, Mary ? Heureuse de passer en année supérieure ?
- En danse, oui, bien sûr, en magie, je ne sais pas.
- Mais c'est la danse qui compte pour toi, même si je sais bien que c'est important de s'assurer derrière sur le plan scolaire...
- J'ai de très bons camarades de classe à l’école."
Mary se rappela fugacement les scènes du Poudlard Express. L'image de Marlene, faussement boudeuse d'avoir donné toutes ses cartes à Lily au lieu de Remus, s'imposa encore à elle.
"Et j'ai aussi, en particulier, une très bonne amie à Poudlard. Je veux dire, une, euh, petite amie."
Mary se sentit rougir.
"Est-ce que ça se passe bien ?
- Avec elle ? Oui, très bien.
- Parce qu'avec les autres, ça ne va pas ? s'inquiéta tout de suite son papa.
- Avec mes autres amis, ça va très bien. Avec d'autres gens, ça va un peu moins bien.
- Oh, ma chérie."
Son papa lui prit la main.
"Est-ce que tu vas bien ?
- Ne t'inquiète pas, Papa, répondit hâtivement Mary, sur la défensive. Je vais bien."
Son papa lui sourit.
"Tant que toute la petite famille est heureuse, je suis heureux."
Mary n'était pas très communicative, alors, elle se contenta de lui rendre son sourire.
"Tu nous le dis, Mary, si jamais ça ne va pas. Je compte sur toi, dit soudain gravement son papa.
- Oui, mentit Mary, en pensant à Avery et Mulciber."
Mais cette ombre au tableau ne fut que passagère. Mary savait que ses parents risqueraient leur vie si ceux d'Avery et Mulciber savaient qu'ils cherchaient à obtenir justice auprès de la direction de l'école. Il valait mieux en rester là, et, quitte à se confier à quelqu'un, à en parler avec James. Elle n'avait pas tout saisi mais savait que sa mère était très impliquée en politique, ce qui faisait bien l'affaire.
***
Mary dansa un peu après le dîner pour se délier les jambes d'avoir été assise une journée en train, puis s'étira le plus doucement possible, afin d’éviter une blessure.
"Tu fais ta barre de vacances ? demanda John, aussi avide que peu intéressé par la réponse, comme les enfants savent l'être. Tu as dit quoi à Papa, tout à l'heure ?"
Mary s'arrêta dans ce qu'elle était en train de faire. Devait-elle en parler à John ? Elle décida que oui, car il n'y avait aucun mal. Elle voulait le protéger, qu'il ne se passe rien de mauvais à l'école pour lui, mais au fond, presque personne ne la connaissait, alors, qui est-ce qui irait donc lui demander des informations sur la vie sentimentale de sa soeur ?
"Que je suis amoureuse d'une fille.
- Oh, c'est possible, ça ?
- Oui, comme tu le vois."
John rit.
"Tu sais, Mary, quand on te regarde danser, on ne dirait pas que c'est humainement possible non plus."
Mary reprit ses développés arabesques ; avec son dos courbé, son pied à terre tourné vers l'extérieur, son pied en l'air pointé, ses genoux cagneux tendus et étirés, ses épaules très basses et son long cou, elle n'avait pas effectivement l'air d'une humaine. John la regarda avec plus d’attention.
"Moi, je t'aime bien parce que tu es bizarre, la vie serait moins marrante si tu n'avais pas plein de petits trucs en plus. Tout le monde n'a pas la chance d'avoir une sœur extraordinaire comme moi.
- John, tu vas me faire rougir, plaisanta Mary.
- Ça ne te changera pas de d'habitude, fit-il en tirant la langue."
Elle se sentit rosir. Il avait raison, le petit John.
***
Mary s'endormit le soir avec un grand sourire collé aux lèvres et le cœur qui battait un peu fort, cette fois-ci de joie et non d'appréhension.
Elle l'avait fait.
Et voilà, c'était tout.