Bellatrix est assise en face de moi, sa belle moue dédaigneuse inerte malgré les allers et retours de nos comparses qui se saluent les uns les autres. Elle ne prête pas attention à eux, et pas davantage à Rodolphus qui tente de lui démontrer la faisabilité d’un sort quelconque de magie noire par les propriétés extraordinaires de sa baguette.
Je ne sais pas s’il est à plaindre.
Il est monnaie courante de se marier par intérêt dans leur milieu, où l’amour n’existe pas. Dans notre milieu, devrais-je dire. Et pourtant, à part Bellatrix qui m’a appris les usages les plus communs et enseigné des pratiques ancestrales telles que l’Occlumancie, personne ici ne daignerait admettre que j’en fais partie – moi incluse.
Sang-mêlée.
La croix et la bannière.
Tiens, encore une expression moldue qui fuse dans mon cerveau.
Bellatrix aime l’érudition, l’arithmancie, les runes gobelines, les rites de sang et les coups de poignard. Rodolphus peut toujours essayer de gagner de son estime : elle n’en a aucune pour lui. Même son argent n’a aucune valeur à ses yeux, et pour cause, sa dot aurait suffi à couvrir les dettes de la communauté magique tout entière.
Bellatrix est mon amie, elle n’est pas l’amie de Rodolphus. Bellatrix est mon amante, elle n’est pas l’amante de Rodolphus. Bellatrix est une femme, et j’en suis une. Voilà les différences qui la séparent de Rodolphus et qui nous rassemblent, elle et moi.
« Bonsoir Strictia, bonsoir Bella, marmonne Regulus qui s’assied avec élégance sur la chaise vide à côté de moi.
— Bonsoir, Regulus, je réponds.
— Regulus, abonde Bellatrix en lui accordant un sourire. »
Regulus a aussi le droit de l’appeler « Bella », parce qu’il fait partie de la Triade, notre petit groupe d’études. Notre Seigneur nous laisse notre liberté de penser : nous l’usons à des desseins quelque peu terrifiques, c’est pour la science. En ce moment, Regulus est très agité par ses récentes découvertes sur les Inferi ; il se fatigue et peine à venir à l’heure aux réunions. Il ne faudrait pas que cela nous coûte notre camaraderie : Notre Seigneur est d’humeur taciturne ces derniers temps.
Il avance, fauchant, tel La Mort elle-même, tous les germes de vie sur son passage, les réduisant en une boue fangeuse que nous piétinons sur notre procession. Sa Grandeur assombrit le chemin. Nous rentrons dans la partie la plus dure de la guerre – chaque pas doit être mesuré, mais Sa Victoire est proche, et avec la promesse que les Forces des Ténèbres auront englouti la lumière.
En théorie, ce soir est le Grand Soir. Notre Seigneur doit nous expliquer les derniers détails de Son plan machiavélique. En substance, il faut tuer Harry Potter ou Neville Londubat ; ce n’est plus une nouvelle pour la plupart d’entre nous. Cependant, étant donné qu’Il s’arroge la responsabilité de les départir et d’organiser le dernier acte qui scellera le destin du monde, nous ne devons que nous taire et suivre Ses ordres.
Je peux faire la maligne, c’est sûr… Si j’avais su que la Prophétie pouvait porter sur le fils de Lily, peut-être aurais-je modifié à temps ma conduite… Or, c’est la peur plus qu’autre chose qui me l’a dictée : je ne suis allée que d’échec en échec.
Je n’ai donc plus foi en l’avenir depuis que j’ai compris que tout était perdu, pour elle et pour moi. Il est déjà diablement incroyable que Notre Seigneur ait épargné trois fois, dans sa magnanimité, la vie de celle qui a longtemps éclairé mon cœur - avant que je ne me fasse happer par la lame de fond noire, et que je ne le regrette. Mais si son fils et son mari meurent avant elle, elle ne fera aucune distinction : tout lui paraîtra sombre, fade et triste, et un jour, elle mourra aussi.
Oui, j’ai des pensées bien lugubres lorsque je pense à elle.
Qui n’en aurait pas ?
Elle signifie pour moi la découverte de mes sentiments profonds, de mon homosexualité, mes aveux d’adolescente, mes murmures enflammés… Et aussi la perte, le néant, l’absurde. Je n’y avais jamais réfléchi avant – à sa possible bisexualité. Pour moi, tout était fluide, spontané, naturel, et il était devenu logique qu’il en soit de même pour elle. Or, elle regardait aussi les garçons. Et il y en a un qui lui a plu. Je ne sais toujours pas si ça m’aurait fait moins mal que ce soit quelqu’un d’autre que ce Dieu Vivant de Potter.
Acerbe, je suis ?
J’ai les yeux perdus dans le vague, la salle devient floue aux abords de mes yeux… Je me lamente à tort, je le sais bien. Tout est de ma faute. Je ressens d’autant plus le poids de la culpabilité que je n’avais jamais vraiment fait attention à quel point j’aime encore Lily. Ça ne change rien au sacerdoce que je voue à Bellatrix, pour d’autres raisons, même si parfois, j’ai le sentiment de la tromper.
Lily est une Sang-de-Bourbe.
C’est une phrase qui a sali ma bouche dans le temps. Je l’ai prononcée volontairement, pleinement volontairement.
Ironie du sort, elle me fait trembler aujourd’hui.
« Strictia, reviens parmi nous ! s’exclame Regulus. »
Il me donne un coup de coude. Merci, merci, Regulus : la séance commence. Toute l’assemblée se tait. Nagini s’avance, sa peau lacérée de couleurs – olive, sable, vase, lagune, charbon. Une chape de plomb scelle notre culte : nous restons immobiles, figés de terreur, comme si le sort létal pouvait s’abattre sur nos têtes à tout instant. Bellatrix, elle, ne craint pas Notre Seigneur : elle seule semble L’attendre placidement.
Elle Le regarde, les iris rougeoyants, des flammes et des ombres dansantes sur ses joues creuses. Elle est fascinée par Lui, et je suis fascinée par elle. Lily, observe ce que je suis devenue. Regulus m’enjoint à nouveau à écouter ce que Notre Seigneur a à nous partager.
Il nous explique qu’Il a fait son choix ; Il a été aidé par l’un des membres de l’Ordre du Phénix qui s’avère être un espion. Je déglutis à cette annonce, car je n’ai pas l’impression qu’Il parle de moi – je suis passée de l’autre côté par accident et grâce à la foi que Dumbledore place en chaque Être Vivant. Je songe, pathétiquement, que cette foi est aveugle si cet expert en Légilimancie n’en use guère sur ses propres disciples.
Notre Seigneur nous révèle son nom : Peter Pettigrow.
Le Destin est cruel : Il place en face de chacun de nous les personnes qui nous font du mal, et espère que l’on s’en sortira par la seule croyance que nous avons dans un avenir bâti par le Mal et les Forces des Ténèbres. Ô douleur ! Pique mes entrailles !
Regulus m’effleure avec compassion le coude. Lui sait quels maux j’ai endurés à l’École de Sorcellerie et l’intensité de ma souffrance – marquée à vie dans mon corps, bien avant que l’on me dessine sur l’avant-bras ce serpent palpitant autour d’une Vanité. Regulus sera toujours un fidèle compagnon de route.
Notre Seigneur poursuit son discours en nous informant de Sa volonté de tuer l’enfant qui a une mère Sang-de-Bourbe. Le choix est logique, je m’en doutais, d’autant plus depuis que nous savons qui est celui qui a œuvré en silence à l’Ordre pour Notre Seigneur. Malgré tout ce que j’avais imaginé, je ne suis pas arrivée à prévoir l’intensité du choc que me fait l’annonce publique de cette nouvelle : je regarde, hagarde, Bellatrix en face de moi.
Les flammes dansent encore sur son visage, et dans les tonalités orangées qui fusent sur ses cheveux, il se confond doucement avec celui de celle que j’ai tant aimée – que j’aime tant encore. Je revois les deux yeux en amande, leur vert profond et lumineux, le sourire qui éclairait ma vie comme un soleil de printemps – alors que derrière, ce n’est qu’un masque froid qui annonce l’hiver et la mort.
Ce sont les mots, tranchants comme des couperets, qui me ramènent à la réalité. Elle siffle de façon à ce que je sois la seule à recevoir ses semonces.
« Tu es nauséabonde, Strictia. Tu oses cette comparaison indue entre une vulgaire femme qui souille le lit de la pureté de Sang et une descendante du plus noble lignage sorcier d’Angleterre ? C’est fini entre nous, Strictia, je ne supporterai pas davantage cet affront. »
Je suis sonnée. Vouée à mes émotions, j’ai oublié de fermer correctement mon esprit.
Heureusement pour moi, Notre Seigneur sait quel penchant me tourmente encore le cœur. C’est pour cela qu’Il m’astreint aux tâches les plus ardues – je dois expier en silence mon péché. Que Bellatrix le Lui confirme ne Lui apprendra donc rien de plus, et je pourrai peut-être quémander encore Sa miséricorde, s’Il accepte en échange de plus grands sacrifices de ma part.
« Mon Seigneur, clame Bellatrix à la communauté. Je propose de m’occuper personnellement de l’enfant Sang-Pur, car il n’y a pas de raison néanmoins que des Traîtres-à-leur-Sang se croient le droit de vivre une fois le Royaume des Ténèbres fondé !
— Fais, Bellatrix, fais, répond Notre Seigneur en souriant. »
En souriant ?
Regulus me lance un regard de biais, effaré. Je ne suis donc pas la seule à avoir remarqué ce changement de tonalité dans la mise en scène générale de la réunion.
« Strictia a été une bonne serviteuse de mes desseins, ajoute-Il. Je lui épargnerai la mère de mon dernier accomplissement terrestre, qu’elle pourra user comme bon lui semble, en récompense de son engagement et signe de la clémence qui doit accompagner chaque victoire. »
A la peur succède désormais la joie. Passer de la certitude que l’élue de mon cœur sera morte à la certitude qu’elle sera vivante en quelques secondes fait battre mon cœur de façon complètement erratique. Si j’étais pragmatique, je dirais qu’il faudrait que je quitte la réunion et que j’aille m’allonger quelques instants. Mais je dois jouer mon rôle de fanatique – si tant est que je ne le suis plus, et dois rester rivée à ma chaise.
Bellatrix, elle, se lève d’un bond, le menton haut, les yeux hauts, le verbe a priori haut.
« Cela n’est pas possible ! bégaye-t-elle. »
Elle n’est pas si déterminée qu’elle cherche donc à le montrer… Mais que se passe-t-il donc ? Notre Seigneur souriant, Bellatrix troublée…
« Bellatrix. Je sais ce que c’est que de perdre un être cher. Mais à chaque amour peut en succéder un autre, encore plus fort et plus puissant. Je perçois ce qui est au fond de ton cœur, Bellatrix. Et crois-moi, tu n’as pas tout perdu aujourd’hui. »
Il dit tout cela d’un air joyeux, ce qui n’a l’air d’enchanter personne dans l’assemblée. Bellatrix hésite avant de se rasseoir, les sourcils froncés. Toutes ces attitudes sont inhabituelles.
« Il ne faut pas qu’ils se laissent griser par l’approche de la fin des temps, murmure Regulus. Je les aurais cru plus aptes à gérer l’imminence du sacre. »
Comme pour confirmer ses dires, Notre Seigneur sort du dessous de la table une espèce de petite guitare à motifs hispanisants sur la tranche. Et avant que l’effet de surprise ne se dissipe, il commence à jouer une mélodie qui se rapproche plus du tango, à moins que ce ne soit du flamenco – comme si j’avais le temps de m’y connaître en musiques traditionnelles espagnoles. Nous nous regardons tous les uns les autres. Notre Seigneur, ostensiblement guilleret, ne se formalise pas de nous.
Et soudain, il commence à chanter.
Bella, Bella
Bella, Bella
ouhouhou Bella, ouhouhou Bella
ouhouhou Bella, ouhouhou Bella
Elle répondait au nom de Bella
Les Serpentards la voulaient bien à Poudlard
Elle faisait trembler toute l’école
Rusard disait se méfier de cette fille-là
Elle répondait au nom de Bella
Le Ministère ne voulait pas qu’elle soit là
Elle faisait trembler tous les étages
Les agents disaient se méfier de cette fille-là
Elle est une sorcière, elle a le sang très pur
Le genre de femme qui change le plus grand mage en Voldemort
Une baguette sans pareille, tout le monde veut s’en emparer
Sans savoir qu’elle les mène Impero…
Stupéfixiés, on pouvait tout donner
Elle n’avait qu’à demander, aussitôt on se courbait
On cherche à l’impressionner, à devenir son préféré
Sans savoir qu’elle nous mène par le nez
Mais, quand je la vois, en magie noire
J’aimerais devenir le masque dans lequel elle respire
Ou moins que ça, un moins que rien
Juste la marque sur son bras.
Elle répondait au nom de Bella
Les parents Black la voulaient bien à marier
Elle faisait trembler toutes ses sœurs
Narcissa disait se méfier de cette fille-là
Elle répondait au nom de Bella
Les gens Lestrange la voulaient bien au manoir
Elle faisait trembler toutes les noces
Rodolphus disait se méfier de cette fille-là
Oui, c’est une phéromone qui aime hanter mes rêves
Cette femme sera nommée Bella Légilimens
Les Moldus la haïssaient, tous étaient apeurés
Mais les Sang-Pur ne pouvaient que l’aimer
Elle était Fourchelang, Serpentard, grande Occlumens
Synonyme de « Mangemorte », à ses pieds : que des disciples
Qui devenaient vite marqués, tremblants comme des feuilles
Elle lançait des sorts sans même formuler…
Mais, quand je la vois, sabrée de vert,
J’aimerais devenir la coupe dans sa grotte à Gringotts
Celle des Blaireaux, sans ambition,
Que je détruis sur mon chemin.
Elle répondait au nom de Bella
Le bar du coin ne voulait pas qu’elle soit là
Elle faisait trembler toutes les tables
Alberforth disait se méfier de cette fille-là
Elle répondait au nom de Bella
L’Ordre du Phénix ne voulait pas qu’elle soit là
Elle faisait trembler les Londubat
Car Sibylle se méfiait de cette fille-là
Allez, fais un endoloris, hé, hé
Endoloris, hé, hé
Rends-moi bête comme Dumby, hé, hé,
Bête comme Dumby, hé, hé
Je vais tuer le Potter, hé, hé
Tuer le Potter, hé, hé
Fais siffler le serpent, hé, hé
Siffler le serpent, hé, hé
Fais-moi tuer Jamesie, hé, hé
Tuer Jamesie, hé, hé
Ensuite la Sang-de-Bourbe, hé, hé
La Sang-de-Bourbe, hé, hé
Je suis l’ombre de Nagini, hé, hé
L’ombre de Nagini, hé, hé
Divise-moi la tête, hé, hé
Divise mes têtes, hé, hé
Elle répondait au nom de Bella
Les Mangemorts ne voulaient pas qu’elle soit là
Elle faisait trembler tous les villages
Même eux disaient se méfier de cette fille-là
Elle répondait au nom de Bella
Les loups-garous ne voulaient pas qu’elle soit là
Elle faisait trembler toutes les lunes
Les astres disaient : méfie-toi de cette fille-là
Elle répondait au nom de Bella
Les Détraqueurs ne voulaient pas qu’elle soit là
Elle faisait trembler tous les Patronus
Les pleurs même se méfiaient de cette fille-là
Elle répondait au nom de Bella
Les peurs du coin ne voulaient pas qu’elle soit là
Elles faisait trembler tous les Boggarts
Les peurs même se méfiaient de cette fille-là