La Banane Rose
Partie I : Vivent les Bananes
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1. La Banane, Philippe Katerine
« Non mais laissez-moi… manger ma banane, tout nu sur la plage ! »
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« On ne vous laissera pas, on ne vous laissera pas… Planter des bananes ! »
Rose Weasley leva sa pancarte plus haut encore, et répéta en chœur le refrain que ses collègues militants martelaient depuis deux heures. Vers les dernières terres acquises par le groupe « La Banane de Lucius », un troupeau de machines féroces affluait depuis une demi-heure afin de défricher en masse dix hectares de forêt supplémentaires, et d’en faire leur nouveau territoire cultivable.
Mais la fondation « La forêt de Rose » ne laisserait pas faire cet entrepreneur qui ne mettait jamais un pied hors de chez lui. Il vendait déjà plus de bananes que nécessaire à travers le monde et avait déjà détruit trop de terres. Rose et ses amis restaient plantés devant le champ, et attendaient des négociations.
Tout d’un coup, un silence assourdissant régna sur la place. Rose ne réussit plus à bouger non plus. Puis elle comprit qu’ils avaient reçu des sortilèges de pétrification et qu’on commençait à les déplacer afin de laisser les machines accéder au terrain. Elle voulut hurler après ces gens qui se croyaient tout permis et abîmaient toujours plus de forêt. Puis elle se rappela que ce n’était que des intermédiaires, et que le vrai coupable était Lucius Malefoy, et qu’il n’était même pas là.
Une idée germa dans son esprit : pour arracher sa stupide banane buccale et sa stupide banane capillaire à Lucius Malefoy, elle n’avait plus qu’à s’infiltrer dans son entreprise et à la faire exploser de l’intérieur.
Après tout, la banane était le fruit le plus nucléaire sur terre, en faire une bombe atomique était carrément possible.
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2. Yellow Submarine, The Beatles
“We all live in our yellow submarine”
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Le lendemain matin, Rose poussa la porte du siège social de « La Banane de Lucius » habillée de sa veste verte préférée et secondée d’une mallette pleine de plans, de croquis, de dessins et de calculs. Elle était en mission d’infiltration si top secrète, qu’elle n’en avait alerté que les membres les plus fidèles de son association. Ou plutôt, elle n’avait alerté que les membres les plus fidèles du caractère espion de son entreprise. Les autres pensaient qu’elle avait trouvé une solution scientifique aux plantations de bananes de Lucius Malefoy. Elle grimaçait quand elle pensait qu’elle leur avait menti, mais elle avait besoin de mettre toutes les chances de leur côté dans cette mission de repérage.
Quoi qu’il en soit, la première impression qui s’imprima en elle fut jaune. Du sol au plafond, toutes les surfaces des locaux étaient d’un jaune banane ad nauseam. Même les cadres plastiques des prises électriques étaient d’un jaune fluo et sans doute phosphorescent – la raison pour laquelle Lucius Malefoy avait fait installer l’électricité dans ses locaux sorciers étaient un mystère qu’elle ne releva pas tout de suite.
Même les vestes des employés était d’un camaïeu de jaune solaire et éblouissant. Pire, les cinq personnes de la pièce avaient également les cheveux teint en un blond-jaune artificiel. Seuls le bleu du ciel et le vert de sa veste contrastaient significativement avec l’ambiance générale du lieu. Peu importait ; comme sa mère avant elle, Rose Granger-Weasley avait toujours été regardée comme une extravertie aux idées folles. Avoir le sentiment d’être l’étrangère éternelle d’un monde qu’elle ne comprenait pas toujours lui était habituel.
D’un pas assuré, elle se dirigea vers la secrétaire de l’accueil qui annotait des parchemins et semblait trier des courriers importants.
« Bonjour Madame, je suis Rose Granger-Weasley et je viens solliciter un entretien avec Lucius Malefoy au sujet d’un plan révolutionnaire qui place la banane comme avenir des espoirs scientifiques et magiques de notre monde.
La secrétaire leva la tête avec ennui, détailla Rose de la tête aux pieds autant que le lui permettait l’immense comptoir jaune en forme de… banane derrière lequel elle était assise, puis retourna à son travail.
« Mr Malefoy est un sorcier très occupé, je lui dirai que vous êtes passée. »
Rose ne se démonta pas, posa sa mallette sur le comptoir et se pencha vers la secrétaire pour lui chuchoter quelques mots qui lui ouvriraient toutes les portes.
« Vous n’êtes pas sans savoir qui je suis, Madame. Fondatrice de « La forêt de Rose », je cherche des solutions propres et éthiques pour la planète dans divers projets agro-alimentaires. Et il semblerait que j’ai découvert comment exploiter une caractéristique physiologique de la banane qui pourrait révolutionner son rôle dans l’apport de sources énergétiques durables. Mais je peux aussi m’adresser à « La Banane de Cornelius ». Je suis certaine de que Mr Fudge…
— Argh, taisez-vous, l’interrompit la secrétaire avec un ton agacé.
Rose se redressa et la laissa réfléchir. Cornelius Fudge produisait des bonbons à la banane enrobés de caramels. Il était de notoriété publique que Lucius Malefoy et lui menaient une guerre économique et idéologique sans merci. Si un tel projet arrivait entre les mains de son concurrent alors que ceci aurait pu être évité, jamais Lucius Malefoy ne le pardonnerait à sa secrétaire.
— Suivez-moi, céda celle-ci avec exaspération en se levant de son fauteuil en forme de banane ouverte.
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3. Venus, Bananarama
“I’m your Venus,
I’m your fire,
At desire”
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Scorpius Malefoy pensait s’ennuyer singulièrement aujourd’hui, mais il se trompait lourdement.
Aujourd’hui, il était sur le point de découvrir… Mais reprenons depuis le début de la matinée.
« Dois-je vraiment venir voir grand-père dans son bureau ? soupira-t-il en accrochant cette horrible cravate jaune que son père lui avait tendue.
— Tu sais bien qu’il ne quitte plus son bureau depuis la mort de ta grand-mère, Scorpius. Si tu veux le voir…
— Je n’y tiens pas particulièrement, précisa-t-il en jetant un coup d’œil répugné au miroir.
Le jaune lui seyait si mal. Lui, c’était le vert qui lui allait comme un charme. Le monde n’aurait pas dû être jaune, il aurait dû être vert.
— Scorpius, ton grand-père…
Était un imbécile ? Un idiot ? Un fada du jaune ?
— Aide-moi à la raisonner, s’il te plaît, le pria son père.
Et comme Scorpius aimait son père et s’inquiétait pour lui en constatant sa détresse actuelle, il l’avait suivi dans les hideux locaux jaunes de « La Banane de Lucius ». Voilà comment il était entré dans l’immeuble en forme de banane et pourquoi il avait mis un pied dans le bureau de son grand-père qui mangeait actuellement son petit-déjeuner composé exclusivement de… eh bien, bananes.
— Mon petit Scorpius ! s’exclama Lucius Malefoy avec un sourire monstrueusement bananesque sur le visage. C’est gentil de venir voir ton Papy-Banane.
Le plus dérangeant dans cette histoire était sans doute la coupe de cheveux de son grand-père. Il avait gardé la banane qu’il s’était fait faire des années plus tôt pour une affiche publicitaire, mais comme il perdait désormais ses cheveux, le résultat était… étonnant.
— Bonjour grand-père.
En gagnant en âge, son grand-père perdait en cases. On aurait dit le fou d’un roi disparu.
Il en était là de sa lassitude de jeune en manque de but dans sa vie, quand il eut l’audace de sortir son carnet à dessin et de colorier avec le vert de son stylo quatre couleurs. Son grand-père cessa aussitôt d’opposer des refus à toutes les propositions de son père pour diversifier la production avec d’autres fruits et légumes, car il s’en prit alors à Scorpius.
— Du vert ! comment oses-tu écrire en vert dans mon bureau, Scorpius ! dramatisa-t-il en jetant ses bras au ciel.
— Père, ce n’est qu’une couleur, tenta de le calmer son propre père en faisant signe à Scorpius de ranger son stylo.
— Qu’une couleur ? Drago, cet enfant tourne mal, et tu minimises son comportement ainsi ? Et tu veux que je te cède la direction de « La Banane de Lucius » ?
Voilà pourquoi Scorpius était las de voir son grand-père : il y avait un désaccord de couleur fou entre eux.
Mais c’est à ce moment-là que la porte du bureau de son grand-père s’ouvrit, et que le monde se renversa. Derrière la secrétaire de son grand-père se trouvait une jeune femme aux yeux immensément clair, à l’aura splendide, à la chevelure rousse, et… habillée tout de vert.
Une jeune femme dont il se sentit immédiatement compris.
Ce jour-là, Scorpius découvrit qu’il n’était pas le seul à aimer le vert plutôt que le jaune. Il découvrit l’amour au premier regard. L’innamoramento. Le coup de foudre. Sa Vénus paraissait comme un feu qui laissait son cœur reverdi pour l’éternité.
— Bonjour, bafouilla-t-il aussitôt en bondissant sur ses pieds.
— Bonjour, répondit-elle, et il fut certain qu’elle ressentait elle aussi l’univers tourner mille fois dans le fond de son cœur.
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4. Tout rebarbouiller, Alain Schneider
« On va tout changer,
Tout rebarbouiller,
Badigeonner le monde entier…
Tout peinturlurer ! »
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C’était bien la première chose d’une autre couleur que le jaune (et le blanc et le noir, tout de même) que Rose voyait dans cet immeuble. Le plus jeune des trois hommes – des trois Malefoy, visiblement – tenait un carnet à la couverture verte et un stylo à bille de couleur bleue – un stylo quatre-couleurs – dans ses mains. La boucle métallisée sur son oreille était sertie d’une petite pierre verte de la même couleur que ses yeux, et ses lacets étaient d’un rouge cerise rayé de rose pâle.
Quoi qu’il en soit, elle n’attendit pas que la secrétaire parle davantage, et déroula son raisonnement avec le plus de conviction qu’elle pouvait trouver au fond d’elle. Elle n’était plus très sûre de son plan. Mais, même au cas où ces trois idiots la prenaient pour une savante folle et la jetaient dehors, elle avait déjà accompli sa tâche. Elle était entrée dans le bureau du directeur de la « La Banane de Lucius ». Elle n’avait plus qu’à jeter un discret sortilège d’écoute, et « la forêt de Rose » récupérerait forcément quelques informations compromettantes qui lui permettrait d’intenter un procès contre leurs plantations de bananes.
« La banane étant le fruit le plus nucléaire sur terre, j’ai mis au point un système de récupération de ce nucléaire naturel qui pourrait être réutilisé afin de fabriquer de l’énergie.
— Ah oui ? l’attaqua tout de suite le vieux Lucius Malefoy de derrière son bureau – il ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’homme de la publicité. Ne croyez-vous pas que j’ai déjà tenté de récupérer tout ce que ce fruit merveilleux pouvait nous offrir, Miss Weasley ? J’ai même fait installer tout un réseau électrique dans mon immeuble, au mépris des dangers sorciers, mais jamais mes précieuses bananes n’ont pu produire une goutte d’énergie…
— De quoi parles-tu, père ? demanda avec une inquiétude et un désespoir visibles celui qui devait être Drago Malefoy.
— Occupe-toi de tes oignons, puisque tu les préfères aux bananes… traitre !
— Tu deviens vraiment fou, Père, se lamenta Drago Malefoy et Rose aurait bien abondé dans son sens si elle avait pu finir de déployer son raisonnement.
— J’ai déployé un protocole qui est très prometteur, insista Rose. Mais pour ce faire, j’ai besoin d’un grand champ de bananes. La banane étant une mauvaise herbe, je veux dire, une herbe à croissance rapide, se reprit-elle en voyant Lucius Malefoy bondir de son siège, avant la prochaine pousse, il faudrait que j’installe des tuyaux badigeonnés de magie dans le sol qui seront chargés d’un sortilège d’attraction longue durée, et qui pourront récupérer la moindre particule nucléaire. Le tout coulera dans les tuyaux jusqu’à former un yellow cake – à la manière de la première mouture de l’uranium – qui tombera dans une cuve soumise à moult protections et de fait, il suffira de relier la préparation à une centrale et…
— J’ai déjà essayé tout ce que vous dites, Miss Weasley, et jamais mes gentilles petites bananes n’ont pu produire la moindre énergie ! Le complexe électrique sous le bâtiment n’a jamais fonctionné et n’a jamais produit le moindre courant dans les fils électriques des locaux de « la Banane de Lucius » !
— Tu n’as pas tout écouté, grand-père, intervint le plus jeunes des trois hommes, celui au carnet vert. Et puisque tu sembles avoir déjà tout le matériel nécessaire, essayons.
Rose Weasley aurait pu avoir été changée en glace tant elle ne bougea plus à cette proposition si crédule, puis tant elle se sentit fondre en attrapant le sourire qu’il lui offrit.
— Je suis sûr que Rose réussira là où tu as échoué.