Ne concocte jamais une potion dans la colère, mon ange. Les erreurs se payent au prix fort. Un esprit apaisé, une prière au bout des lèvres, le cœur vaillant. Il y aura des images qui te resteront à vie, c'est la contrepartie. Attends-toi au goût de l'impuissance. Amer, rance. Tu verras, dans l'action, on ne pense pas. Juste ce qu'il y a à faire. Ici et maintenant. Pas ce qu'on aurait dû, ni la peur de ce qui sera. L'angoisse et les mains qui tremblent, il te faudra être forte. Les larmes, ce sera pour après. C'est comme ça quand on soigne ses proches. Pas si facile, de beaux conseils, je sais. Fais de ton mieux et prends le temps de respirer aussi. C'est un combat que l'on ne choisit pas, ma fille. C'est lui qui vient à nous. Long et usant mais comment pourrait-on fuir ? C'est ça tenir à quelqu'un.
Cette porte était spéciale, la plus précieuse de toutes dans leur cocon. Bill l'avait ensorcelée contre les voleurs et les accidents magiques. Gabrielle n'avait pas le droit d'accéder seule à cette pièce. Et, sa mère, Apolline, avait participé à sa création, forte de ses talents de potionniste.
Devant cette porte, en ce début de matinée, Fleur ne pouvait pas s'empêcher de se répéter les paroles de sa mère comme à chaque fois qu'elle devait entrer. Aujourd'hui, elle allait devoir concevoir une caisse entière d'antidouleur. La potion la plus basique mais aussi la plus essentielle.
C'était l'endroit où elle passait le plus de temps ces dernières semaines, sans compter le nombre d'aller-retour au square Grimmaurd pour les livraisons. C'était aussi elle qui recevait le plus de patronus au moindre signe d'un blessé. Sans diplôme dans le domaine, elle pouvait tout de même assister les quelques médicomages auxquels l'Ordre avait accordé sa confiance.
- Mon chou, allons faire un tour.
Fleur sursauta et sortit vivement sa baguette, surprise par cette nouvelle arrivée avant de se rappeler que l'accès à la Chaumière aux Coquillages était restreint. Molly se tenait devant elle, les lèvres pincées.
Fleur n'était pas encore habituée à sa charismatique belle-mère, la vélane sourit timidement avant de ranger sa baguette. Son invitée surprise se dirigea vers la porte, marchant ensuite sur le sable avec agilité.
La propriétaire des lieux avança à son tour après avoir saisi au passage son chapeau en paille. Les deux femmes contemplèrent le va-et-vient des vagues. Fleur croisa les bras avant de les serrer contre son buste. Sa belle-mère avait perdu deux frères dans le précédant conflit. Comme souvent, son esprit vagabonda jusqu'à sa petite sœur qui insistait pour prendre part aux affaires de l'Ordre.
Toutes deux supportaient mal leur séparation mais Gabrielle devait terminer sa scolarité avant de pouvoir passer plus de temps ici. Sa cadette l'avait toujours suivie comme son ombre, même à l'école. Fleur ne se le pardonnerait pas si il lui arrivait quelque chose.
Le son d'une vague frappant violemment un rocher attira son attention. Bill, dans un élan de romantisme, la comparait souvent à l'océan. Hypnotisante et puissante. Elle fixa la mer uniquement quelques instants avant que son esprit ne divague de nouveau.
Comment allait Ronald, Harry et Hermione dont ils étaient sans nouvelles depuis des semaines ? Elle avait de l'affection pour son beau-frère qui avait choisi de suivre Harry par amitié, risquant tout par fidélité. Et, elle se souviendrait toujours de lui, assis à côté de sa sœur, emmitouflé, pâle comme un linge à la fin de l'épreuve du lac lors du Tournoi.
Fleur ne pouvait s'empêcher de penser aussi à Cédric. Puis à Alastor Maugrey avant d'être de nouveau rappeler au présent par la voix de Molly, éloignant ses pensées de ceux qui les avaient déjà quittés. Elles ne s'entendraient jamais réellement. Parfois on était tout simplement trop différent pour pouvoir se comprendre. Le même problème se posait d'ailleurs avec Ginny.
Avec une expression grave, Fleur écouta le rapport contenant les dernières informations de l'Ordre. Un quart d'heure plus tard, la jeune française se retrouva seule sur la plage. Du coin de l’œil, à la frontière de la propriété, elle aperçut soudainement du mouvement. Quelqu'un venait de transplaner et ce n'était pas le départ de Molly qui favorisait toujours la poudre de cheminette.
Un sourire fit une timide apparition en constatant l'arrivée de son père. L'homme l'approcha d'un pas jovial, un sac coincé sous le bras.
- Bonjour ma puce. Je t'ai apporté quelques kilos de ta glace préférée.
- Bonjour papa. Merci, c'est gentil.
Arrivé près d'elle, le sorcier la fixa avant de poser ses deux mains sur les joues de la jeune femme après avoir posé son colis à terre.
- Tu as une drôle de tête, ma petite fleur. Est-ce que c'est Bill ? Sa blessure s'aggrave ? Demanda-t-il d'un ton incertain.
Ce n'était pas une supposition déraisonnable. Depuis l'attaque de loup-garou qui avait laissé son mari défiguré, il y avait eu des changements. Les mots se bousculaient dans son esprit en réponse.
Bill ne dormait plus très bien, sa qualité de sommeil dépendait dorénavant du cycle lunaire. La cicatrisation de sa joue avançait bien mais il cachait sa douleur. Sa patience avait beaucoup diminué. La fatigue et la douleur pouvaient changer quelqu'un. Ils avaient discuté avec des spécialistes mais Bill refusait de prendre des potions de sommeil à vie.
Il y avait la honte aussi. Parce qu'admettre que changer de cuisson pour la viande revenait à reconnaître qu'il y avait un problème. Et puis une blessure par loup-garou était tabou. Certains collègues l’évitaient dorénavant.
La peur aussi était là à chaque pleine lune, que la maladie se propage et qu'il se transforme. Et une forme de colère car ils avaient dû prendre quelques décisions comme renoncer à adopter un croup, les animaux étant dorénavant craintifs en sa présence.
Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Parce que la douleur de Bill était aussi indirectement la sienne et qu'elle ne pouvait rien faire. Il n'y aurait jamais de guérison.
- Maman a raison. L'impuissance, c'est terrible.
Son père tendit les bras vers elle avant de la bercer légèrement.
- Oh ! Ma très chère fille, rentrons manger un petit quelque chose, je vais te raconter les derniers potins de la maison, ça va te changer un peu les idées,. Ne le dis pas à ta mère mais il se pourrait que je te laisse manger de la glace alors qu'on est à une heure de déjeuner.
Fleur éclata d'un rire étranglé. Combien de fois avait-il prononcé ces mots dans le passé ?
Tous deux restèrent là de longues secondes avant de prendre le chemin de la maison.