Le pinceau à la main, Luna recouvre une ancienne fresque enfantine délavée de nouvelles couleurs éclatantes. Un coup de rouleau pour le fond, puis elle peut laisser libre cours à ses fantaisies. Le mur est une nouvelle page blanche pour exprimer tout ce qu'elle a à dire.
Son père est allé lui acheter de nouvelles teintes, il n'est pas encore revenu, mais elle commence avec les anciennes, elle pourra toujours retoucher plus tard. Elle n'a pas le temps d'attendre.
D'un geste flou, elle repousse la mèche de cheveux qui lui tombe sur le visage. Elle s'est sans doute mis de la peinture bleue sur le front, mais cela n'a pas d'importance. Ce qu'elle est en train de réaliser sera son plus bel accomplissement, parce que cela viendra de ce qu'il y a de plus beau dans sa vie. L'amitié. La gentillesse. La force qu'on obtient quand on est plusieurs. Cette forme d'amour-là qui, quoi qu'on en dise, vaut mille fois la romance, ses présents et ses richesses.
Au moment d'attaquer le premier visage, elle sent la tension monter. Elle veut que les traits soient réalistes, elle veut qu'on y lise toute la bienveillance qu'on peut y trouver. Elle souffle profondément par le nez, rejette les épaules en arrière... Elle peut le faire.
Elle ne fait pas d'esquisse. Elle n'a pas de crayon, que ses pinceaux. Elle laisse son instinct la guider. Elle est à deux doigts de fermer les yeux, pour voir à quel point son cœur décide juste. D'une main, elle lâche la palette, la pose sur une tablette, pour repousser dans son dos le collier en capsules de bièraubeurre, qui la gêne dans ses mouvements lorsqu'il pend au bout de son cou.
Encore quelques coups de pinceau, et le visage apparaît.
Celui de Ginny. Les couleurs sont simples, des associations de couleurs primaires mélangées à la hâte, mais elles rendent justice au visage de son amie.
Ses vieilles peintures lui conviennent, finalement. De toute façon, son père ne revient pas, elle n'aurait jamais eu la patience. En vérité, elle ne le regrette pas.
En réalité, Luna ne saurait que faire de riches pigments. Ce n'est pas ce qui compte. Elle aurait pu broyer les plantes de son jardin, que cela aurait été tout aussi bien. Ce qui importe, c'est cette vague d'affection qu'elle ressent en voyant se dégager des couleurs un visage aimé. Et ça, ça vaut de l'or.
Nouveau visage. Luna remonte les manches de sa robe, verte aujourd'hui, même si elle est déjà maculée de taches de peinture. Elle a tenté tous les mélanges, mais n'arrive pas à obtenir la teinte de noir dont elle a besoin. Tant pis. Ce n'est pas grave.
Elle laisse le pinceau poursuivre sa danse. Bientôt, il apparaît. Harry Potter, aux cheveux trop clairs, mais c'est lui, il lui sourit. Luna sourit aussi.
Plus tard, quand elle finit son œuvre, elle l'admire. Et elle sent une douleur, là, au fond de son ventre. Elle se rappelle, les moqueries, les quolibets, ses affaires perdues et volées, la solitude. Et puis elle pense à eux, et la douleurs disparait. Celleux dont les visages l'entourent désormais. Hermione. Ginny. Harry. Ron. Neville. Ses amis comptent. Les autres, elle les envoie valser.
Cela fait longtemps que son père est rentré, maintenant. Il a déposé les peintures dans sa chambre et l'a quittée avec le sourire. Il sait.
Qu'il ne faut pas la déranger quand elle crée.
Alors Luna ouvre un nouveau pot. Un pot de peinture dorée. Et d'un mouvement habile, elle commence une longue chaîne de mots en or, un collier qui vaut plus que tous les trésors. Elle encadre les portraits, les relie, les magnifie. Avec un mot.
Amis.