De gros flocons de neige tournoyaient paresseusement vers le sol de Godric's Hollow. Avec ses maisons paraissant faites de pain d'épice et saupoudrées de sucre glace, le village semblait moins appartenir au monde réel qu'à une féérique boule à neige en ce mois de décembre.
Du haut de mes sept ans, je riais et courais en tous sens dans le jardin de mon arrière-grand-tante Bathilda. J'étais emmitouflée dans une parka bleue qui entravait légèrement mes mouvements. Avec mes joues rebondies de l'enfance, rosies par le faible vent d'hiver, et mes cheveux d'un blond pur, j'avais l'air d'un petit chérubin. Un minuscule ange pourchassant les flocons.
Mes pieds dérapèrent alors brusquement. Envolée la légèreté pour ne plus laisser que la peur saisissante de chuter. Les yeux agrandis par la surprise, je basculais en arrière, battant vainement des bras pour conserver mon équilibre. Le muret du jardin se rapprochait inexorablement, inébranlable, et en cet instant, terriblement mortel. En cette fraction de seconde où je tombais, ma vie bascula. Puis aussi imprévisible que prodigieux, un souffle d'air chargé de neige vint me cueillir, s'offrit à ma délicate nuque et à mon dos en un doux coussin. Je me retrouvais à nouveau sur pied. Tout s'était passé si rapidement, le temps d'un battement de cils étourdissant.
Ma magie venait de se manifester.
Ma stupeur fut bien vite oubliée au profit de l'exaltation et j'éclatais à nouveau de rire. Je voulais recommencer, utiliser la magie comme le faisait ma grand-tante. Je piochais une poignée de neige dans ma main et paume tournée vers le ciel, m'évertuais à la faire virevolter en spirale. Un immense sourire illuminait mon visage. Je tournais la tête en direction de la fenêtre de la cuisine, où Bathilda me surveillait tout en cuisinant le repas du soir. Surexcitée, je lui fis de grands signes. J'étais aveuglée par mon bonheur, mon insouciance de jeune sorcière, aussi ne perçus-je pas l'inquiétude qui était venue assombrir son regard.
Quelques jours plus tard, un feu ronflait et craquait dans la cheminée. Un magnifique sapin de Noël se dressait dans un coin du salon, éclairé par quelques étoiles magiques et décoré par de grosses boules rouges qui renvoyaient cent fois la scène. Bathilda avait préparé la traditionnelle dinde de Noël, bien trop grosse pour deux personnes, surtout quand l'une d'entre elles n'était qu'une demi-portion comme moi. Mais peu importait à ma grand-tante, qui voyait toujours les choses en grand. Qui s'escrimait à me faire plaisir, convaincue qu'elle devait combler un vide dans ma vie. Nous étions heureuses, toutes les deux.
Mes yeux d'enfant ne remarquèrent pas ses coups d’œil appuyés vers la fenêtre, ni ses doigts qui s’accrochaient anxieusement autour de sa baguette magique. Ce ne fut que lorsque des coups frappés brutalement à la porte résonnèrent que j'avisais de son teint livide.
- Cache-toi ! souffla-t-elle précipitamment, tendue à l’extrême.
La température de la pièce semblait avoir chuté de plusieurs degrés. Interloquée, je ne bougeais pas. On martelait à présent la porte, chaque vibration terminant de faire imploser notre joyeux réveillon.
- Ayden ! beugla Bathilda en me voyant toujours pétrifiée.
Mon corps réagit enfin. Je bondis de ma chaise et rampais à quatre pattes sous les branches du sapin. Ces dernières me griffèrent le visage et les bras, mais je n'en avais cure. La peur de Bathilda s'était insinuée en moi. Quelque chose de dangereux se tenait devant notre porte, autrement plus dangereux que le muret qui avait manqué me rompre la nuque. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, petit oiseau affolé qui se cognait contre mes côtes avec l'énergie du désespoir.
La porte explosa alors, déversant une pluie de bois dans le hall d'entrée. J'entendis ma grand-tante pousser un hurlement, jeter des sorts, mais un éclair de lumière violet la réduisit violemment au silence. La respiration affolée, trop tétanisée pour émettre le moindre son, je me blottis un peu plus dans ma cachette de fortune. À travers les branchages, je vis avec horreur deux grandes bottes noires s'avancer dans la pièce et s'arrêter près du fauteuil où Bathilda avait l'habitude de s'enfoncer. Je fermais les paupières. Si je le faisais suffisamment fort, peut-être pourrai-je disparaître. Plusieurs secondes s'étirèrent sans un bruit. Un de ces silences qui prédisent le pire, aussi lourd comme un ciel d'orage, aussi pesant qu’au cœur d’un œil de cyclone. Puis sans crier gare, l'arbre qui me dissimulait fut projeté contre le mur, labourant profondément ma cuisse droite. Je hurlais à mon tour. Moins à cause de la douleur qu’à la vue de la haute silhouette cauchemardesque qui se dressait en face de moi.
Le meilleur Noël de ma vie s'était transformé en mon pire cauchemar.
Je me redressais dans un sursaut dans mon lit, le souffle court, des mèches blondes collées à mon front en sueur. La cicatrice à ma cuisse me brûlait comme si le sapin venait à peine de la transpercer. Grimaçante, j'appuyais ma main dessus dans un massage maladroit, tout en m'employant à calmer ma respiration. De mon autre main, j'écartais mes cheveux trempés et dégageais les lourds rideaux bleus qui entouraient mon lit. Tessa, une de mes camarades de Serdaigle, me lança un regard désapprobateur avant de quitter le dortoir. Sans m'en préoccuper, je savourais l'air frais qu'avait libéré le baldaquin sur ma peau moite et me laissais retomber sur mon oreiller, les bras en croix.
Une demi-heure plus tard, j'avais déjà pris le chemin de la classe où avait lieu le cours de sortilège, commun pour les sixièmes années de Serdaigle et de Serpentard. Je n'avais pas pris la peine de m'arrêter à la Grande Salle, le souvenir de mon cauchemar m’obstruant encore la gorge, et j'étais déjà installée quand la cloche annonça le début de la journée. Les élèves arrivèrent petit à petit en bavardant allègrement des vacances imminentes.
Le son grinçant d’une chaise tirée près de moi me força à relever la tête de mes bras croisés sur la table. À peine, juste de quoi laisser apparaître mes yeux pour découvrir Regulus Black, ses lèvres retroussées en un sourire en coin goguenard.
- T'as une sale gueule.
Je lui décochais un regard noir.
- Que dirait ta mère si elle t'entendait parler de cette façon... répliquai-je. Mais bien le bonjour à toi aussi.
Son sourire s'élargit, mais l’entrée du professeur Flitwick l’empêcha de répondre. Tandis que mon directeur de maison commençait son exposé, Regulus se pencha vers moi pour me murmurer plus sérieusement :
- Encore ton père, c'est ça ?
Je hochais doucement la tête, sans quitter l’enseignant des yeux.
Le cadet Black était à bien des égards un petit crétin arrogant. Peu de temps après notre entrée à Poudlard, il était venu me trouver à la bibliothèque. Comme beaucoup d'autres, il voulait voir à quoi je ressemblais. Imbu de son sang pur, pourri gâté et enfant chéri de la maison Black, ce gamin était tout simplement insupportable. Je le revis se planter devant moi, ce petit roi enveloppé d’arrogance, pour me jauger non sans un certain dédain. Il m’avait examiné pendant de longues secondes, la curiosité se muant rapidement en résignation, avant de se décider à s’asseoir face à moi. Comme s’il me gratifiait d’un grand honneur, comme s’il me bénissait de sa présence. J’avais serré les dents, déterminée à ne pas broncher, jusqu’à ce qu’il prenne la parole en évoquant la suprématie de nos sangs. Il ne m’en avait pas fallu plus pour voir rouge : j’avais ramassé mes affaires et asséné que la maison Black n’avait rien de noble. Avant de faire volte-face, j’avais pu lire un égo profondément blessé à travers ses traits aristocratiques déformés par l’indignation.
Ce premier échange houleux avait été le point de départ d’une animosité réciproque, qui aurait tout aussi bien pu perdurer toute notre scolarité si je ne l’avais surpris dans les cachots pendant notre seconde année. Je venais de m’échapper des griffes du professeur Slughorn, qui m’avait retenu une bonne vingtaine de minutes après la fin de son cours. Au détour d’un couloir, j’avais vu la silhouette d’un Sirius Black visiblement tendu monter quatre à quatre les marches menant au hall d’entrée. Je m’étais apprêtée à emprunter le même chemin, quand j’avais entendu du bruit un peu plus loin derrière moi. Un mélange d’objets tombant au sol et de respiration laborieuse. Je n’avais pas hésité longtemps malgré la faim qui me tenaillait le ventre. Un tel vacarme pouvait signifier bien des choses, mais j’avais immédiatement imaginé le résultat d’une mauvaise farce. Qu’elle ait été concoctée par le Gryffondor que je venais de voir passer ou par Peeves, je n’avais décemment pas pu en abandonner la victime. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’avais reconnu Regulus, le visage strié de larmes de fureur et occupé à renverser, lancer ou exploser tout ce qui lui tombait sous la main. En s'apercevant de ma présence, il s'était brusquement immobilisé et j'avais discerné dans son regard une indicible peine.
Ce jour-là, j'avais commencé à comprendre que le jeune Regulus avait plus de profondeur que je ne voulais le croire, ainsi que des démons que je ne soupçonnais pas. De son côté, il avait fini par se rendre compte que le nom que j'avais hérité de mon père relevait plus du fardeau pour moi que d'une orgueilleuse fierté.
D'éternel emmerdeur, il était passé au statut d'ami, puis de meilleur ami.
- Bientôt Noël... marmonnai-je.
Nous échangions un regard entendu. Il savait à quel point je détestais cette période. Elle ravivait immanquablement le souvenir de mon père tentant de m'arracher à ma grand-tante. Quant aux sapins que Hagrid ramenait dans la Grande Salle pour la décorer, j'en avais une sainte horreur.
- Tu restes à Poudlard pour les vacances cette année ? lui demandai-je tandis que nous sortions de classe à l’heure du déjeuner.
Remarquant que sa réponse ne venait pas, je lui jetais un coup d’œil pour noter immédiatement le durcissement de ses lèvres et sa mâchoire crispée. Un regard à l’autre bout du couloir m’éclaira sur sa soudaine raideur.
Sirius.
Les Maraudeurs se trouvaient à quelques mètres. James, dont les cheveux étaient soigneusement ébouriffés comme au sortir d'un match de Quidditch, semblait en plein débat avec Peter, qui trottinait à ses côtés en se débattant pour faire rentrer un parchemin récalcitrant dans son sac. Remus, légèrement en retrait, referma le grimoire qu’il consultait et avisant le combat acharné de son ami avec son rouleau, donna un coup de baguette fluide pour lui faire entendre raison. Et enfin, l'aîné des fils Black. Le séduisant, le mauvais garçon, le si populaire Sirius. Les mains dans les poches, la démarche nonchalante sans être dénuée de grâce, il lança une remarque à Remus, qui venait de se retourner pour échanger quelques mots avec lui.
Je n'avais aucune Némésis personnelle contre Sirius, il n’avait jamais fait plus que me démontrer de l’indifférence au fil des années, indifférence que je partageais la plupart du temps. Car même si je faisais mon possible pour ne pas me mêler de leur relation épineuse, il m'était parfois difficile de rester complètement neutre en raison de mon attachement à Reg. Je ne pouvais m'empêcher d'être révoltée par l’attitude de l’aîné envers son cadet.
- Black !
Les deux frères tournèrent vivement la tête à l’appel tonitruant d'un Gryffondor de septième année dans notre dos. J’étais suffisamment proche pour voir mon ami serrer les dents quand il réalisa qu'il n'était pas le bon Black. Un regard vers son frère, qui avait la bouche déformée par un rictus, acheva de transformer son visage en masque de froideur. Il tourna les talons, avec pour seul signe de sa fureur sa main empoignant l’anse de son sac à en rendre ses jointures blanches, et me planta là.
Une tornade de cheveux roux envahit mon champ de vision avant que je n'aie pu esquisser le moindre geste pour le suivre. Il m’arrivait régulièrement de me demander comment il était possible que mes deux meilleurs amis soient si opposés l'un à l'autre.
- Te voilà enfin ! s'exclama Lily.
Je cherchais Regulus par-dessus son épaule, mais il avait déjà disparu dans la cohorte d'élèves. Je ravalais un soupir, consciente qu'il avait besoin d'être seul, et reportais mon attention sur la jolie Evans. Elle faisait une moue significative.
- Je ne comprendrais jamais ce que tu lui trouves...
- Tu veux vraiment qu'on en parle ? rétorquai-je en haussant un sourcil.
Je me souvenais parfaitement de l’amitié qui l’avait lié à Severus Rogue, Rogue qui, de mon point de vue, était loin devant Regulus en matière d'antipathie. Elle esquissa une grimace pour toute réponse et cela suffit à m'arracher un semblant de sourire.
Une partie des Maraudeurs arrivèrent à notre hauteur. Tandis que Sirius s’entretenait avec le garçon qui l’avait apostrophé, James vint tendrement attraper la taille de Lily pour l'attirer à lui et l’embrasser. Peter me jeta une œillade gênée, mais avant qu’un silence pesant ne puisse s’installer entre nous, Remus se porta à ma hauteur. J’échangeais un sourire avec lui. Si j'avais toujours fait preuve d’une certaine retenue avec les trois autres Gryffondor, j'appréciais en revanche énormément le jeune Lupin, et cela même avant que Lily ne cède aux avances de James. À dire vrai, je m’étais même rapprochée de lui bien avant de me rapprocher de Regulus. Cela remontait à ma première année, lorsque pendant de longs mois nous avions emprunté plusieurs mêmes livres à la bibliothèque. À l’époque, j’avais remarqué le nom de Remus Lupin régulièrement inscrit sur la fiche d’emprunt des ouvrages que j’utilisais et à quelques reprises, Mrs Pince avait dû m’informer que le titre dont j’avais besoin avait déjà été réquisitionné par un autre élève. Cela c’était très vite transformé en jeu, à savoir qui grillerait la priorité à l’autre, jusqu’à ce que nous tombions finalement l’un sur l’autre la veille des vacances de Pâques. J’avais enfin pu mettre un visage sur ce fameux Remus et nous nous étions immédiatement pris de sympathie.
Il m’emboîta le pas sans hésiter, laissant derrière nous ses acolytes et Lily.
- Alors ? Qu’est-ce que tu penses de l’essai du professeur Namutebi ?
Éminent sorcier-astronome, professeur réputé de l’école de magie Uagadou, Hermand Namutebi avait écrit un essai controversé sur l’aptitude des centaures à interpréter les mouvements des planètes pour prédire l’avenir. En plus de son étude, il affirmait que ces derniers possédaient un savoir largement supérieur à celui des sorciers en matière d’astrologie et exhortait la communauté magique à cesser de les mépriser, car ils avaient beaucoup à nous apprendre. Bien entendu, depuis la publication de son livre, le respect qu’on lui vouait avait largement chuté et certains allaient même jusque le qualifier de vieux sénile alors qu’une longue et brillante carrière le précédait. La fierté des sorciers et leur conviction d’être supérieur à tout être ou animal n’était malheureusement plus à prouver.
En ce qui me concernait, la passion que je vouais à la voûte céleste me poussait à m’intéresser à tout ce qui la touchait de près ou de loin. Toutes les méthodes pour interpréter les étoiles, tous les mouvements des planètes, toutes les façons dont elles pouvaient impacter la nature, tout, tout me captivait et j’avais dévoré chaque ligne qu’avait écrite le professeur Namutebi. Et curieux de nature, Remus avait bien volontiers accepté l’exemplaire que je lui avais prêté.
Tout en discutant, nous avions descendu les escaliers jusqu’à arriver à la Grande Salle. Nous nous étions arrêtés devant les portes quand je captais le regard suspicieux d’une de mes camarades de Serdaigle sur moi. Je me crispais imperceptiblement.
- Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour faire mes études à Uagadou… lâchai-je.
Une pointe d’amertume avait dû réussir à se glisser dans mes paroles car quand je reportais mon attention sur Remus, son expression s’était faite plus grave.
- Ils ont un programme nettement plus avancé en astronomie, renchéris-je pour faire bonne mesure.
Mais il ne se laissa pas prendre à ma tentative de justification. Car bien que cela fut vrai, ce n’était pas la seule raison qui me poussait à parfois vouloir quitter Poudlard et il le savait pertinemment.
- Comment tu vas ?
Son ton était calme et posé, fidèle à son visage empreint d’une inquiétude sincère. C'était une des choses qui me plaisait le plus chez Remus. Il se souciait réellement du bien-être de son entourage. Contrairement à beaucoup, il ne demandait jamais à tort et à travers comment une personne allait sans attendre de véritable réponse. Mieux encore, il ne portait aucun jugement, ne laissait aucun a priori décider de ce que valait une personne.
C’est pourquoi je haussais vaguement les épaules avec un sourire contrit avant de répondre sans langue de bois.
- Les gens se méfient de moi. Peut-on espérer mieux quand on s'appelle Grindelwald ?
Bien que Gellert Grindelwald ait moins sévi en Angleterre que dans le reste de l'Europe, il n'en restait pas moins un puissant mage noir à la sinistre réputation. Et malgré sa disparition depuis de longues années, son nom continuait à résonner lugubrement. Tout le monde était prêt à croire que sa fille chercherait à faire perdurer son héritage, d’autant plus en ces temps troublés. Tout l'été, la Gazette avait informé de nombreuses disparitions et autres nouvelles des plus inquiétantes. La peur se distillait dans toute la Grande-Bretagne et bientôt, l’appellation de Vous-Savez-Qui était murmuré à chaque coin de rue. Poudlard n'avait pas été épargné et tout ce temps passé à convaincre mes camarades que je n'étais pas une adepte de la magie noire avait été réduit en cendres.
Car en s'appelant Grindelwald, on ne peut qu'éprouver de la sympathie pour Voldemort, n'est-ce pas ?