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La victoire de June
1 : Souvenir de June Elusiver, Noël 1985, Salle de réception du château de Cornbury.
La fête était à son apogée. Cinq types, debout sur une scène avec un synthé et une guitare électrique rose, jouaient une chanson qui s’appelait The Funk of Howler. Un tube. Les sorciers qui dansaient et sautaient au centre de la salle reprenaient le refrain en cœur. Le groupe s’appelait Glow in the Dark. Des stars du Glam-Rock de la communauté magique anglaise et, évidemment, des anciens élèves de Slug. June en reconnut un, celui qui était à la guitare et qui devait être entré à Poudlard en 1977. Comment s’appelait-il déjà ? Newton Split… Ou Spurk. Un Serdaigle peut-être. Ou pas. Qu’importe.
Rémus dansait. La soirée était déjà bien avancée. La demi-bouteille de Whisky-Pur-Feu qu’il avait avalé avait largement rompu ses barrières d’inhibition. Mais il n’était pas plus ridicule que les autres et il avait l’air de bien s’amuser.
June remarqua Ludo Verpey en bien mauvaise posture. Il tenait encore sur ses jambes, mais plus pour longtemps. Il ne tarderait pas à vomir. En début de soirée, il l'avait félicitée pour le match et elle avait trouvé ça bien gentil de sa part. Tellement gentil qu’elle s’était sentie obligée de lui renvoyer le compliment. Elle observa Oliver Knight le récupérer juste avant la catastrophe et le pousser vers les toilettes. Ce bon vieux Oliver, toujours prêt à porter secours au premier venu.
Il travaillait au ministère maintenant et la qualité de sa tenue de soirée suggérait sans subtilité que le poste était important. Lui aussi l’avait félicitée pour le match. Elle n’avait pas pu lui retourner le compliment. Il n’avait pas gagné de match récemment, et ça se voyait qu’il ne jouait plus au Quidditch. Il y avait Amos Diggory en grande discussion avec Amélia Bones et Isadora McLaggen à côté du buffet. Elle repéra aussi Warrington, les Malefoy et Nott avachis dans les fauteuils, buvant et riant sans gêne. Elle n’avait pas vu tous ces gens depuis une éternité. À part Ludo, qu’elle croisait sur le championnat, et Rémus. Ils avaient tous tellement vieilli. Ils étaient tous tellement pâteux dans leurs costumes du soir. Ils n’avaient même pas trente ans.
Peut-être qu’elle aussi devrait aller bouger son corps dans tous les sens avec Rémus. Finalement, elle pourrait faire ça. Comme avant. Comme quand personne ne vous présentait sa femme, comme quand le nom de ses enfants ou la taille de son CV n’étaient pas un sujet de conversation. Peut-être que ce serait un remède à l’aigreur plus efficace que l’hydromel. Peut-être que pendant un instant, elle oublierait.
- Alors, Elusiver, il paraît qu’il faut te féliciter.
June reconnut sans difficulté la voix mielleuse qui venait d’interrompre ses divagations. Elle ne l’avait pas vu arriver, le corbeau de malheur qui s’était posé juste derrière son dos. Elle se retourna.
Rogue…
Lui n’avait pas vraiment changé. Il était toujours aussi maigre, toujours aussi blafard. Il la surplombait de toute sa hauteur, ses mains osseuses posées comme des griffes sur le dossier de son fauteuil. Il la regardait avec ce même regard froid et sérieux qu’elle lui connaissait depuis qu’ils avaient onze ans. Il semblait juste mieux habillé que dans ses souvenirs et il ressemblait à un adulte. Mais bon… La lumière n’était pas idéale pour se faire une idée.
- Diggory a dit à Slughorn que le geste était « légendaire »…
Il se payait sa tête.
- Je ne signerai pas d’autographe sur ton maillot, Severus. Laisse-moi tranquille.
- Dommage…
Il s’assit dans le fauteuil vide qui faisait face à June, de sorte qu’elle ne pût plus rien voir d’autre que son nez crochu et ses cheveux gras. Elle soupira.
- Qu’est-ce que tu veux ?
Il reprit son sérieux et rapprocha son visage du sien.
- Je voudrais avoir des nouvelles de tes amis.
Elle ne savait pas dans quelle direction cette conversation était en train de glisser, mais elle sentait qu’au bout elle ne trouverait que la cruauté sans limite de ce sale type.
- Comme tu as pu le constater par toi-même, Rémus va bien.
- Oui, en effet, je n’ai jamais vu Lupin aussi… Joyeux… Ah si ! En 78, à Poudlard, il était un peu comme ça. Ça n’a pas duré longtemps. Après, il est redevenu… Lunatique. C’est curieux, tu ne trouves pas ?
Ce que June trouvait curieux, c’était le mot « joyeux » dans la bouche de Rogue.
- Je ne comprends rien à ce que tu me racontes.
- C’est ce que je vois, oui. En vérité, j’espérais avoir des nouvelles de tes autres amis, June. Vont-ils aussi bien que Rémus ?
June se dit que Severus Rogue était la pire personne qui existait sur cette terre.
- Mes autres amis, comme tu le dis, sont morts et tu le sais très bien. Je ne sais pas à quoi tu joues, mais je veux que tu partes. Immédiatement.
Évidemment, Rogue n’avait pas l’intention de partir. Il allait falloir qu’elle trouve le courage de se lever.
- Ne me dis pas que tu ignores qu’Adamovitch a été libérée.
Les mains de la jeune femme agrippèrent les accoudoirs de son siège, mais elle ne trouva pas la force qu'il lui aurait fallut pour s'appuyer de dessus. Combien de verres d’hydromel avait-elle bu ? Severus Rogue se pencha vers son oreille.
- Tu l’ignores. Mais quelle importance ? Tu es une championne maintenant, tu es une légende, tu en as plein des nouveaux amis. N’est ce pas ? Tu es l’invitée d’honneur des soirées de Slughorn. On ne va quand même pas remuer les vieilles bouses ?
Il fit une pause. Il la fixait avec une intensité presque effrayante. Puis il reprit comme si leur conversation était d’une banalité ennuyeuse.
- C’était le championnat du monde, c’est bien ça ? L’Irlande bat l’Australie avec dix points d’avance grâce à son attrapeuse qui s’est laissée tomber de balai à 40 mètres d’altitude pour attraper le vif d’or, qui se trouvait 5 mètres en dessous d’elle. L’autre attrapeur n’a pas compris ce qu’elle faisait. Il est resté planté comme un con au milieu du terrain. C’était dans le journal. Ta petite cascade s’étalait sur cinq colonnes. Jolie Une... Je te félicite. Mais voilà, page 4, il y avait un tout petit entrefilet. J’imagine que tu ne lis pas la gazette au-delà de la deuxième page. Alors je te l’ai rapportée. C’est mon petit cadeau de Noël pour toi… En souvenir du bon vieux temps.
Rogue sortit d’une des poches de sa robe un petit bout de papier plié en quatre. Il le lui tendit en souriant. Elle le prit lentement. Elle lut à la lueur des torches magiques qui ne cessaient de changer de couleur. Du rose au vert, du vert au bleu. Glow in the Dark jouait Dorothy and the Whirlwind. Il y avait toutes les raisons de penser que Rémus dansait toujours, et l’odeur de l’hydromel irritait les narines de June.
Elle lut : « Le Magenmagot clôture définitivement les trois dernières affaires de disparition encore non résolues depuis la fin de la guerre. Une manière pour le Ministère d’enterrer celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom une bonne fois pour toutes. Les enquêtes sur les cas Dearborn, Fenwick et Fishflatt s’arrêtent définitivement faute de piste. Le bureau des Aurors a rendu hommage hier après-midi à Benji Fenwick pour son engagement dans la lutte contre les Mangemorts. Alastor Maugrey, l’Auror chargé des enquêtes, en a profité pour rappeler, qu’à l’heure d’aujourd’hui, il n’y avait aucune preuve effective de la mort de Caradoc Dearborn ou de Scarlett Fishflatt. »
June relut plusieurs fois la dernière phrase. Severus se pencha un peu plus. Elle pouvait sentir son souffle sur son oreille.
- Tu ne sais rien, n’est ce pas ? Je le vois. Ça s’est passé sous ton nez, dans ta salle commune pendant des mois et tu n’as rien vu. Personne ne t’a rien dit. Même Lupin, cette loque que tu portes à bout de bras depuis quatre ans. Tu en sais moins sur eux que le type que vous avez insultés tous les jours pendant sept ans. Ce n’est pas parce que tu es une planquée que tu n’as pas le droit de savoir, June..
2 : Note introductive de Neuville Londubat pour le Chicaneur, 04 décembre 2012.
Le document que vous allez lire est le résultat d’une enquête menée par June Elusiver entre le milieu des années 80 et la fin des années 2000. Elle s’intéresse aux faits et gestes de ses amis sur une période qui s’étend entre la fin des années 70 et la fin des années 90 : toutes les années de la guerre et la période de trêve qu’il y eut entre 1981 et 1995. Pour ceux qui l’aurait oublié, June Elusiver était un grande joueuse de Quidditch et, quand elle gagna la coupe du monde de 1985, elle était la capitaine de l’équipe irlandaise. Elle avait 25 ans.
June Elusiver est née le 19 juin 1960 à Belfast dans une famille de sorciers et elle était la dernière d’une fratrie de cinq enfants. Elle est entrée à Poudlard en 1971 et elle a été répartie à Gryffondor. Elle était donc la camarade de Lily et James Potter, de Rémus Lupin, de Sirius Black, de Scarlett Fishflatt et de Peter Petitgrow. Minerva McGonagall la décrit comme une élève discrète qui a longtemps vécu dans l’ombre de ses camarades.
Au début de l’été 1977, elle a passé deux jours à Londres avec ses amies. Sur les photos qu’elles ont pris, on les voit rire dans des autocars à étages et manger des glaces. On y voit Lily Potter, ses long cheveux roux et ses yeux verts, fouiller dans les étagères d’une librairie. On y voit Scarlett Fischflatt, la blonde, danser dans sa chambre d’adolescente. On y voit June, et ses cheveux noirs coupés au carré, s’ennuyer dans un musée et faire des grimaces devant l'objectif. Elles ne se ressemblent pas mais elles ont en commun ce rire d’insouciance qui va bientôt voler en éclat. Des trois, June Elusiver était certainement celle qui avait le moins de chance faire de l’écriture son métier. C’est pourtant l’écriture et le métier de journaliste qui lui ont permis de gagner sa vie pendant toutes ces années. Elle écrivait sur tout et pour tout le monde. À l’exception de la Gazette du Sorciers. Et surtout, pour Lily et pour Scarlett.
En janvier 1986, elle mit fin à sa carrière de joueuse de Quidditch avec cette phrase : « Quand les mouettes suivent le chalutier, c’est qu’elles pensent qu’on va leur jeter des sardines ». Personne n’avait rien compris et il n’y avait rien à comprendre. De ses camarades de classes et de dortoirs, il ne restait que Rémus Lupin et, de l’équipe des Gryffondor 1977-78, il ne restait qu’Hector Flyborn. La guerre était passée par là. June Elusiver, qui n’avait jamais arrêté de dire qu’elle était devenue la joueuse qu’elle était grâce à James Potter, se devait de comprendre comment il était mort. Elle se devait de comprendre comment presque tout son entourage avait disparu.
En 1986, il y avait encore beaucoup de mystères. Elle pensait que la guerre n’était pas finie et qu’il fallait y mettre un terme. Elle s’est donc attachée à faire ce travail que presque plus personne ne voulait faire. Pour cela, elle a dû convaincre les survivants de témoigner et de lui donner leurs souvenirs. Ce n’était pas une mince affaire. Pendant les premières années, il s’agissait surtout de comprendre comment Sirius Black avait pu trahir son meilleur ami et qui était vraiment Anastasia Adamovitch.
Elle aurait pu s’arrêter à la fin des années 90 quand l’innocence de Black est devenu une évidence. À ce moment là, il avait bien d’autres choses à faire. Mais l’enjeu n’était plus le même, et il était devenu pour elle plus important encore que le reste. L’histoire qui est racontée ici diffère de celle qui a été publiée dans les livres officiels. Pourtant, elle a été réalisée avec sérieux et elle est documentée. C’est Alastor Maugrey qui a ouvert les archives du ministère à la fin des années 80 et c’est Harry Potter et Hermione Granger qui ont ouvert les archives de Dumbledore en 1999.
Pour que l’on se souvienne que, pour tous ces jeunes gens qui avaient la vie devant eux, il y a eu un jour où il leur avait fallu dire : s’il le faut ce sera nous. Pour que l’on n’ignore pas que ce « nous » s’est concrétisé de bien des manières. Pour que l’on sache que cette histoire est aussi l’histoire d’une promesse. Une promesse faite pour eux-mêmes et pour l’avenir. Une promesse qui nous concerne tous.
L’enquête de June Elusiver est donc publiée dans Le Chicaneur, le journal qui a publié l’interview d’Harry Potter en mars 1995 et la Réponse des Amis de la Tour d’Astronomie en avril 1978. Parce que c’est là qu’est sa place. Nous l’avons découpée en épisodes à paraître une fois par mois et nous promettons que quelles que soient les révélations qui y seront faites et la réaction de la communauté magique à cette parution, nous irons jusqu’au bout de sa publication.
Ce qui est enfoui finit toujours par resurgir. Bonne lecture.
« Nous savons que la nuit la plus sombre prend fin avec l’aube. Si cela est nécessaire, le soleil qui vient, ce sera nous. La belle magie, on la connaît, elle nous lie les uns aux autres. (…) Elle est ici et là, chaque fois qu’ensemble nous rions. »
Extrait de la Réponse des Amis de la Tour d’Astronomie, publié le 1er avril 1978 dans le Chicaneur
3 : Note de June Elusiver, rédigée en Janvier 1986
Pour moi, la guerre a vraiment commencé en Juillet 1977 quand ma mère a échappé de justesse à l’attaque de Cork.
Elle y faisait ses courses dans un marché, non loin d’Elizabeth Fort quand des Mangemorts ont attaqué un bus de ville. Ils l’ont fait léviter à plus de dix mètres au-dessus du sol et ils l’ont jeté. Le bus s’est écrasé dans la cour du château. Il y a eu dix morts dans cette attaque. Il y avait des enfants dans ce bus. Ma mère n’a rien fait. Quand le bus s’est levé, elle était envahie d’une peur horrible qui l’a tétanisée.
La peur n’est jamais partie. Il a fallu vivre avec. À la maison nous étions en colère, en colère contre notre impuissance et en colère contre le Ministère de la Magie qui avait fait porter la responsabilité de cet attentat sur le dos de l’IRA. À Cork. Quelle idée stupide. Comme si l’IRA était une version Moldue des Mangemorts. Comment pouvions-nous accepter ça ? Il fallait vivre aussi avec cette colère. Nous avions compris que nous n’étions pas à l’abri de la guerre des sorciers.
Nous avions déjà quitté Belfast en 1970 parce qu’il devenait trop difficile pour mes parents de ne pas enfreindre le Code International du Secret. En 1977, nous avons quitté Cork. Nous nous sommes installés dans la vallée de Kilflynn. Loin de tout. Nous nous sommes terrés.
Ma mère n’a plus jamais fait ses courses, la colère alimentait toutes les conversations, l’impuissance était dans tous les silences et la peur s’est infiltrée dans ma maison.